Jeune physicienne, Lucie alias Lulu Wite s’adonne aussi à l’effeuillage burlesque. Un art libérateur dans lequel elle peut exprimer sa créativité et qui lui a appris à s’aimer
A la ville, Lucie vient de terminer sa thèse de doctorat en physique des particules. En tant que scientifique, elle se décrit comme une personne rigoureuse et très structurée. A la scène, Lulu Wite est artiste burlesque. Amoureuse de la première moitié du XXe siècle, elle se produit dans des numéros d’effeuillage coquin, dans lesquels elle crée ses propres costumes de toutes pièces, et elle pose aussi en tant que modèle rétro. «Depuis petite, je suis passionnée de bricolage, de couture, de photographie. J’aime tout ce qui a trait à l’art. J’ai grandi sans télévision à la maison, du coup, je lisais beaucoup et j’allais tout le temps dans notre grande armoire à bricolage piocher des idées. Quand la question de mon orientation s’est posée, j’ai beaucoup hésité entre les arts visuels et les maths/physique. Et puis, je me suis dit que j’aurais toujours l’occasion de continuer à créer en parallèle de mes études scientifiques, ce qui, à l’inverse, n’était pas le cas.»
Complexée…
Jeune, cette Fribourgeoise a une mauvaise image d’elle: «J’étais nulle en sport et je n’aimais pas mon corps. J’ai beaucoup souffert des publicités et des images véhiculées par les magazines féminins qui me faisaient culpabiliser. Physiquement, j’avais l’impression que toutes les autres filles étaient mieux que moi.» Lorsqu’elle intègre l’EPFL de Lausanne, un milieu très masculin, elle se rend compte qu’elle est capable de séduire. «Comme on était peu de filles, je ne me comparais plus en permanence aux autres, et j’ai commencé à me sentir mieux.» Mais les stéréotypes de genre ont la peau dure. «Dans ces cercles élitistes, on entend encore qu’une femme douée est forcément moche ou alors qu’elle a dû coucher pour réussir. C’est ce qui m’a poussée à montrer que je pouvais être féminine et une bonne scientifique.»
… puis épanouie
Il y a un peu plus de quatre ans, alors qu’elle a 25 ans, Lulu – comme l’appellent ses proches – commence à prendre des cours de burlesque. «J’ai toujours été attirée par l’esthétique des années 1920, 1930 et 1940. J’aime aussi le vieux jazz, notamment celui de Duke Ellington.» Une évidence, donc. Lulu explore ce nouvel univers, dans lequel elle tombe corps et âme, et construit son personnage petit à petit, d’abord avec de l’aide, puis en solo. «Sophisticated Lady, c’est mon premier numéro qui sera entièrement moi, que j’ai construit de A à Z.» Elle devient alors Lulu Wite, en référence à Lulu White, tenancière d’une maison close de luxe dans les années 1910 à la Nouvelle-Orléans, berceau du jazz où Louis Armstrong, entre autres, a fait ses débuts. Sa façon à elle de faire revivre cette partie de l’histoire. «Lulu Wite me permet d’exprimer une autre facette de ma personnalité que je ne peux pas montrer en dehors de ce cadre. En mettant mon costume et en me maquillant, j’entre dans le personnage et, à travers lui, j’ose prendre le contrôle de mon corps et exprimer ma sensualité.» Sur scène, l’épanouissement est à son apogée. «Un show dure entre quatre et cinq minutes, c’est très rapide. C’est un grand “whaou!”, un vrai shot d’adrénaline. J’ai confiance en moi et je me sens libre. Grâce à cela, j’ai fini par trouver une image de moi qui me plaît et que j’ai envie de montrer.» Un rôle qui lui permet d’exprimer toute sa créativité, à travers ses costumes et ses plumes qu’elle affectionne tant, ses numéros ou encore ses pasties (cache-tétons) qu’elle confectionne elle-même avec toute sa précision académique. Elle va jusqu’à monter sa propre troupe d’artistes burlesques, les Edelroses.
Une femme, deux facettes
Lucie aime l’idée de mener ces deux vies en parallèle, c’est son côté bipolaire, plaisante-t-elle. Etre dans les extrêmes, c’est son équilibre. Elle apprécie son existence bien remplie et agitée, mais aussi le calme de son foyer où elle passe du temps à coudre, à lire ou à écrire. Des poèmes, des sensations, des émotions. Bien que Lulu Wite a tendance à être omniprésente. «Le processus de création est permanent, j’y pense continuellement. Dès que j’ai un moment creux, quand je prends le train, je réfléchis à une chorégraphie ou à un futur tissu que je pourrais transformer…» Cela dit, inimaginable pour elle d’y consacrer tout son temps. «C’est important pour moi de garder le burlesque comme une passion, pour pouvoir faire ce que je veux, quand je veux, sans devoir en dépendre.»
Libérer le corps des femmes
Lulu Wite est aussi le fruit d’un engagement féministe et une ode à la libération des corps, de tous les corps. «Dans le burlesque, il y a une liberté qu’on ne retrouve pas ailleurs, avec la mise en avant de corps qui sortent des codes standardisés de beauté.» C’est donc tout naturellement que Lucie a participé à la grève des femmes du 14 juin dernier, à Lausanne. «C’était un grand mouvement que je ne pouvais pas louper. Toutes les revendications m’ont parlé, mais la principale à mes yeux est liée au corps et à la sexualité des femmes.»
Grande admiratrice de Mistinguett et de la danseuse des Folies Bergère Loïe Fuller, le burlesque est une façon pour notre artiste de rendre hommage à ces femmes remarquables, même si elle n’aurait pas aimé vivre à cette époque. «J’aime l’esthétique de ces années mais je suis reconnaissante de mon confort de vie actuel, je n’aurais jamais pu devenir physicienne un siècle plus tôt!»
Plus d’infos
Site web: luluwite.com
Blog: luluwite.com/news
Page Instagram: instagram.com/lulu.wite