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L’asile, entre passé et enjeux du futur

Couverture du livre.

A l’occasion des 50 ans de son Service d’aide aux réfugiés, le Centre social protestant publie "Genève, terre d’asile?" Un livre humaniste et engagé. Entretien

A Genève, le Centre social protestant (CSP) joue un rôle clé dans la défense du droit d’asile. Et pour célébrer le demi-siècle de son Service d’aide aux réfugiés, l’ouvrage Genève, terre d’asile? a été publié fin 2022. Un hommage à ces femmes, ces hommes et ces enfants qui ont vécu des parcours du combattant lors des différentes vagues de migrations qu’ont connu la Suisse et Genève, mais aussi une réflexion sur les enjeux actuels et futurs de notre politique d’asile. Photos d’archives et témoignages à l’appui, ce livre touchant a pour objectif de redonner un visage aux réfugiés, souvent «réduits à des statistiques».

Aldo Brina et Raphaël Rey, chargés d’information du Service réfugiés au CSP Genève, répondent à nos questions.


Comment décririez-vous ce livre?

Commençons par ce qu’il n’est pas: un livre d’histoire, avec pour vocation d’établir des faits objectifs et de montrer «la» réalité. C’est un livre engagé. Il a été rédigé par les collaborateurs du Service réfugiés, qui ont consulté les archives du CSP, et qui se sont entretenus avec d’anciens du service qui ont eux-mêmes maintenu la flamme avant eux. Ce texte est un regard sur le passé, qui a pour but d’apporter un nouvel éclairage sur les événements récents et à venir. Ce regard est engagé, parce qu’il est imprégné des valeurs qui nous animent: la justice sociale, le droit d’asile, la dignité humaine, entre autres.

De quelle manière résumer l'évolution de l'asile à Genève sur un demi-siècle?

Il s’est passé beaucoup de choses en 50 ans! La situation à Genève a toujours été étroitement liée à la politique fédérale et celle-ci a eu tendance à se centraliser toujours plus. Influencée par un discours de «chasse aux abus» et une volonté politique majoritaire de faire de la Suisse un pays dissuasif pour les personnes cherchant une protection, la procédure d’asile s’est encombrée de mille et un obstacles juridico-administratifs.

Au milieu de tout ça, il y a Genève. Dans notre livre, nous avons tâché de synthétiser une histoire de sa politique d’asile. Ce regard rétrospectif montre une Genève qui a pu être attachée à certaines valeurs humanistes et qui a parfois été capable d’orienter la politique fédérale, et surtout de lui résister. Un réflexe qu’on n’a malheureusement plus vu depuis un moment…

Comment imaginez-vous les 50 prochaines années?

La récente guerre en Ukraine – imprévisible quelques jours avant son déclenchement – nous rappelle bien la volatilité de l’histoire et de la situation en matière d’asile. Après, on peut tout de même évoquer quelques tendances. La première, c’est l’imbrication progressive de la Suisse dans les politiques migratoires européennes et leur volonté d’externaliser la gestion des frontières et des procédures d’asile aux pourtours de l’Europe et même au-delà. Cela fait des années que la Suisse applique déjà mécaniquement le règlement Dublin, qu’elle applaudit l’imperméabilisation des frontières et participe avec enthousiasme aux dispositifs européens comme Frontex. Autre évolution probable qu’on peut mentionner, c’est celle des mouvements de population en lien avec le climat qui seront de plus en plus fréquents, selon les rapports du GIEC. La problématique n’est pas nouvelle, parce qu’au fond, les facteurs climatiques, l’accaparement des terres et les tensions politiques, économiques et sociales liées à la raréfaction des ressources sont déjà générateurs de mouvements de population depuis les origines des êtres humains. Mais il faudra rester vigilant au fait que la menace d’une augmentation des «réfugiés climatiques» n’alimente pas le moulin de dirigeants qui font de la réduction de l’immigration leur cheval de bataille.

Plus immédiatement, l’évolution de la politique d’asile dépendra notamment de la mise en œuvre de la restructuration adoptée en 2019. Et là, la situation est déjà plus tendue que jamais: en ce moment, les centres fédéraux sont pleins, les conditions de vie s’y dégradent et des personnes dorment dans les couloirs. Les mineurs ne sont plus séparés des adultes et l’accès aux soins est quasi inexistant. Comme les centres sont saturés, la Confédération envoie les requérants d’asile dans les cantons qui eux-mêmes manquent de places… Bref, on n’a vraiment pas l’impression que ce modèle, qui posait déjà de nombreux problèmes en temps «normal», puisse vraiment résister aux inévitables fluctuations du nombre de demandes d’asile.

Quelles sont les revendications actuelles du CSP en matière d’asile?

Ce qui peut sembler assez paradoxal, c’est que la politique d’asile suisse – en fait, toute la politique migratoire suisse – est à la fois sans cesse modifiée et complexifiée, tout en donnant l’impression d’un éternel recommencement. En matière d’asile, les logiques de dissuasion, de lutte contre les abus et d’efficacité sont tellement ancrées à différents niveaux qu’elles prennent le pas sur d’autres valeurs, sur le respect des droits fondamentaux, sur l’idée d’un accueil digne et humain de toutes et tous.

Ce que nous revendiquons, c’est que le disque change; c’est que d’autres discours et une politique d’asile à proprement parler prennent le pas sur les innombrables obstacles qui se dressent sur la route des personnes en quête de protection. Nous demandons que les personnes que nous accompagnons puissent trouver ici un cadre de vie accueillant. Que les mondes politiques cessent d’entretenir des réflexes et des peurs xénophobes. Que les personnes puissent vivre en Suisse auprès de leurs familles et des gens qui leur sont proches. Qu’elles puissent faire leur vie, vivre leurs rêves, poursuivre leurs projets et se sentir chez elles, ici en Suisse et à Genève.

Et pour cela, nous continuerons jour après jour notre travail sur le terrain juridique, sur le terrain social et sur le terrain politique. Heureusement, ce qui ressort de notre livre et de notre regard historique, ce qui traverse le temps, c’est qu’il y a toujours une solidarité qui est exprimée par toute une partie de la population genevoise envers les populations exilées.

Genève, terre d'asile? Peut-on finalement répondre à cette question?

Pour le moment, nous garderons le point d’interrogation… Laissons-le résonner et nous accompagner pour les prochaines années, en espérant qu’un jour, il pourra être remplacé par un point d’exclamation.

Le livre Genève, terre d’asile ? peut être commandé sur: csp.ch

Couverture du livre.

 

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