Le rêve d’un monde nouveau
Militante écologiste, Franziska Meinherz incarne la solidarité au quotidien
Les trois premières mesures de la partition de la Symphonie «Du Nouveau Monde» de Dvořák tatouées sur son avant-bras donnent le ton du personnage. Une musique adorée au titre évocateur pour cette passionnée de violoncelle, qui s’engage pour la terre et ses habitants au point de ne plus trouver le temps de jouer. Militante, Franziska Meinherz est aussi doctorante en sociologie. Sa thèse porte sur les questions de développement durable, et plus précisément sur les transformations de mobilité, au sein d’une équipe interdisciplinaire à l’EPFL.
Elle confie avoir dû faire sa place au sein de ce monde scientifique masculin. «C’est toute une culture, issue d’une socialisation encore difficile à contrer. A l’EPFL, il y a 30% d’étudiantes, 20% de doctorantes et 9% de professeures…» souligne la féministe rencontrée sur l’une des terrasses du campus. Son parcours fait écho à celui de sa grand-mère, biochimiste à la fin des années 1950, et qui s’est lancée en politique en 1973, deux ans après le droit de vote accordé aux femmes.
Le 14 juin restera gravé dans le cœur de Franziska Meinherz qui en parle, les larmes aux yeux, tant cette journée a relevé du magique. «C’était tellement émouvant de voir toutes ces femmes déterminées crier leur ras-le-bol. Nous nous sommes rendu compte de notre force.» Eco-féministe, elle l’est dans les faits depuis le gymnase, mais se revendique comme telle depuis peu.
Sa sensibilité écologique remonte à sa petite enfance, inspirée par ses grands-mères et l’engagement de ses parents. «Je me rappelle avoir voulu écrire une lettre au Conseil fédéral pour protéger les loups», relate-t-elle. A 10 ans, elle reçoit un livre sur les écosystèmes. Une révélation. Son désir de sauver les animaux s’élargit alors à la protection de la terre.
Conscience politique
Si Franziska Meinherz est née à Zurich en 1991, a grandi quelques années dans l’agglomération bernoise, elle a surtout vécu dans les Grisons. «Je me souviens du dispositif policier pour le Forum économique de Davos. Mon village, pourtant à une heure du site, était quasiment sous état de siège. J’ai commencé à réfléchir sur les rapports géopolitiques», partage-t-elle. A la maison, elle lit la NZZ et le journal de la Déclaration de Berne. Et se sent de plus en plus à l’étroit dans le conservatisme grison. «Même certaines de mes potes pensaient que ce n’était pas cohérent de faire des enfants pour les mettre à la crèche ensuite, ou que l’avortement ne devait pas être légal…»
Après le gymnase, elle s’envole pour l’Equateur où elle travaille en Amazonie dans un projet environnemental. Parallèlement, elle s’intéresse au processus mis en place par le président Rafael Correa, aux avancées sociales freinées par la dépendance économique aux puissances occidentales. «Tout est lié, donc on peut agir depuis chez soi, apprend-elle. Mais quand je suis rentrée aux Grisons, j’avais l’impression que rien n’avait bougé. Je retrouvais mon rôle social, mes étiquettes. J’ai alors travaillé comme serveuse et réfléchit à ce que je voulais étudier: glaciologie, nanotechnologies, sociologie, météorologie...» Finalement, c’est la sociologie qui l’emporte, à Genève, ville que Franziska Meinherz – au français alors balbutiant – n’a jamais foulée, mais qui lui offre l’exil dont elle a besoin.
La sociologue prolonge ses études par un aster de deux ans entre la Norvège, le Portugal, les Pays-Bas et le Chili. Avant de trouver un poste de doctorante à Lausanne. «Maintenant, j’ai envie de m’incruster», lance l’ex-nomade, qui vit dans une colocation de huit personnes dans la capitale vaudoise.
Militante et candidate
Engagée dans la grève du climat au quotidien, Franziska Meinherz est depuis peu candidate aux élections fédérales dans la coalition vaudoise Ensemble à gauche. «Je n’avais pas prévu de me présenter, mais je pense qu’il est important que la gauche radicale ouvre le débat et soit présente au Parlement. La grève du climat est perçue en opposition à la politique institutionnelle. Mais le Parlement devrait représenter le peuple et l’appuyer lorsqu’il lève la voix!» dénonce celle qui confesse avoir été gênée de se retrouver sur scène lors du «Forum des 100» organisé par Le Temps en mai. «Avec d’autres camarades écologistes nous manifestions dehors, sans penser que nous serions invités à entrer. J’avoue que je voulais me faire discrète, puisque c’était sur le site de l’EPFL, mon employeur…» C’est pourtant elle qui lira le message des jeunes attaquant les agissements des multinationales présentes. «Comment la Suisse peut-elle leur dérouler le tapis rouge alors qu’elles pillent des terres et des matières premières aux populations du Sud qui crèvent de faim ou meurent en Méditerranée? On ne demande pas grand-chose: un environnement viable pour les humains et toutes les espèces, un système économique et social qui permette une vie digne sur la planète pour toutes et tous», résume la pacifiste, entre calme et révolte à fleur de peau, débordante d’énergie.
Face à la surcharge de travail et à ses émotions qui la submergent parfois – les injustices et les violences peuvent la rendre insomniaque –, la montagne est son salut. «Elle me permet de garder ma santé mentale, rit-elle. Il n’y a personne et, donc, aucun rapport de violence, de domination. Certains de mes amis pensent que mes expéditions sont extrêmes, mais je suis toujours bien en-dessous de mes limites. J’aime avoir de la marge. Je n’ai pas le goût du risque ni en montagne, ni dans les manifs…»
Si ses ascensions la ressourcent, cela ne l’empêche pas d’observer que les sapins poussent de plus en plus haut en altitude, preuve tangible du réchauffement. «Les rapports du GIEC sont paniquants. La catastrophe écologique aura lieu, mais, pour y faire face, nous avons besoin d’une société solidaire afin de limiter les dégâts et de la surmonter. En ce sens, la grève du climat et celle des femmes me donnent des raisons d’espérer.»