L’écologie, son premier combat
L’apprentie ébéniste Layla Outemzabet s’engage dans la grève pour le climat et aspire à une convergence des luttes
«La perte de la biodiversité et la crise climatique, je suis née dedans.» L’écologie coule de source pour Layla Outemzabet, 21 ans le 12 mai prochain. Son militantisme est, lui, né en même temps que le festival Alternatyv en 2016 à Yverdon, ville où elle a grandi et étudié. Alors gymnasienne, elle participe à l’événement, devenu annuel, qui regroupe les alternatives écologiques et citoyennes de la région. «Au début, on pensait sauver le monde en montrant des projets positifs, mais ça ne suffit pas.» Elle n’en perd pas son beau sourire, tout en suivant le mouvement Extinction Rebellion avec grand intérêt et en s’engageant activement dans le mouvement étudiant de la grève pour le climat.
«Plus on s’informe, plus c’est logique de ne pas manger de viande, ni d’acheter de fringues. J’avoue, avec le temps, je me radicalise, mais je ne veux rien imposer à personne», explique Layla Outemzabet qui tend au zéro déchet, au végétarisme et à ne plus voyager en avion. «Mais je dois aussi être prête à des compromis humains. Comment faire pour aller voir ma famille par exemple?» s’interroge celle dont le père est Algérien et la mère d’origine américaine. Une mixité qui a marqué Layla, baignée dans la religion musulmane et une culture anglophone, un certain patriarcat et une liberté revendiquée par sa mère, sa grand-mère maternelle et ses tantes kabyles. Ce patchwork d’influences s’est élargi encore lors de son séjour dans sa famille américaine, dont une partie a, depuis, voté pour Trump. «C’était une véritable expérience ethnologique. Ma bulle alternative magique a éclaté! Finalement pour un mieux: je suis davantage consciente du système capitaliste…»
Système incohérent
D’aussi loin qu’elle se rappelle, elle a toujours été attachée à la Vie sous toutes ses formes. «Je me souviens avoir été choquée à l’école de l’extinction des espèces. Comment peut-on laisser disparaître des animaux?» Layla Outemzabet n’accuse personne, mais un système et les politiciens. «C’est leur travail que de s’informer et d’informer sur l’urgence écologique. Leur irresponsabilité est criminelle! Hormis les Verts et l’extrême gauche, les politiciens sont aussi incohérents que le système. Ils ne veulent pas mettre en péril le système économique capitaliste, alors qu’il est voué à disparaître, puisqu’il repose sur la pollution. Ce n’est pas un avis, ce n’est pas une question d’être pour ou contre, c’est un fait. Des mesures contraignantes doivent être mises en place, et vite!»
Et de rappeler que les jeunes qui manifestent n’ont pour la plupart pas d’autres choix que de suivre ceux de leurs parents. «Comment leur demander une cohérence absolue, alors que leur prise de conscience ne date que de quelques années! Si j’avais 50 ans et n’avais jamais fait d’efforts pour réduire mon empreinte carbone, je me sentirais mal. Attention, je ne dis pas qu’ils doivent se sentir mal.»
Le mot «bienveillance» revient à plusieurs reprises dans ses paroles passionnées. «La justice climatique est centrale. On ne pourra pas éviter un effondrement, mais il faut se préparer pour limiter la casse, atténuer la souffrance de millions d’êtres humains. Les plus pauvres vont être les premières victimes, d’où l’importance de la convergence des luttes. La gauche devrait être beaucoup plus offensive, car c’est une question de bien commun. Il est essentiel que chacun ait les moyens de prendre le train. Et que le paysan se reconvertissant au bio n’essuie aucune perte.»
Féministe
Pour Layla Outemzabet, le féminisme est essentiel dans tous les mouvements sociaux. Elle explique la grande attention apportée à la parité et à l’égalité dans les prises de parole lors des réunions des étudiants de la grève pour le climat, lors de leurs mobilisations ou de leurs contacts avec les politiciens. «Plus largement, les besoins et les limites de chacun, les différences de radicalité par exemple, sont respectés. Même quelqu’un de timide trouve une place pour s’exprimer.»
L’apprentie de première année en ébénisterie est aussi confrontée à la question féministe dans son univers professionnel, encore largement masculin. «A l’école, dans ma volée, nous sommes trois filles sur 40 élèves. Alors que ce métier n’est pas plus difficile pour une femme que pour un homme.» Layla Outemzabet est tombée amoureuse de cette profession à la suite d’un stage improbable chez le père d’un ami. «Le système, après mon gymnase, me destinait plutôt à l’université. J’hésitais surtout à faire prof de musique (elle joue du piano et de la clarinette, ndlr). Mais mon année sabbatique, durant laquelle je me suis occupée de chevaux en Finlande, m’a permis de réaliser que j’adorais travailler avec mes mains, que je me sentais plus libre dans ma tête», relève celle dont les yeux vert forêt pétillent en parlant de son métier dans «la meilleure ébénisterie du monde». «On ne travaille qu’avec du bois suisse, de manière éthique, et pour des pièces uniques. Je ne me lasse pas du bois, de toutes ses colorations étranges, ses nœuds.» Un atelier «atypique», selon elle. D’ailleurs son patron, Pierre-Yves Schenker, l’encourage à participer aux grèves pour le climat et à celle des femmes le 14 juin prochain.