Si l’on suit la conseillère d’Etat Nathalie Fontanet, les éditorialistes bourgeois, les députés PS et Verts alignés sur la droite en échange d’un plat de lentilles (ce n’est pas la première fois qu’ils font le coup), les fonctionnaires genevois seraient totalement irresponsables de poursuivre le mouvement contre la baisse de leurs salaires, tant vis-à-vis du déficit cantonal, que de la situation sanitaire, mais aussi par rapport aux personnes au chômage, en RHT ou en faillite (là on ne voit pas le rapport, mais bon). Léonard Vincent, dans Eloge de la grève, explique le sentiment de nos édiles: «Il faut les comprendre. Ils croient avoir affaire à une simple procédure – moins encore, pour eux: un droit. Ils pensent que nous faisons grève pour nos salaires et c’est l’ombre des siècles qui se dresse devant eux. Nous allons donc leur révéler, poliment, pourquoi ils sont désemparés: parce qu’en réalité, la grève est une grande aventure, exaltante et tragique.»
Cet ouvrage, tout récemment paru aux Editions du Seuil, est une version bien augmentée d’un billet publié en 2018 et dont la lecture filmée par le comédien Jean-Pierre Darroussin a pas mal tourné, notamment durant le mouvement contre la réforme des retraites qui a agité la France l’hiver dernier. Sans être un livre d’histoire, ni un essai, ce texte aux forts accents rimbaldiens, à ranger au rayon poésie, retrace l’épopée des têtes dures et des grands emmerdeurs, ces casse-pieds, idiots, hors-la-loi et irresponsables, qui depuis l’aube des temps dérèglent les hiérarchies et les servitudes. Reporter au service Afrique de RFI, l’auteur ouvre son récit sur le plus ancien conflit social connu, sous Ramsès III, lorsque faute d’être payés 120 ouvriers de la vallée des Rois posèrent leurs outils. Evidemment assez centré sur l’Hexagone – Révolution française, Loi Le Chapelier sur les coalitions ouvrières, Révolte des canuts ou Mai 68 –, Eloge de la grève n’est toutefois pas dénué d’intérêt pour les Suisses.
Léonard Vincent évoque différents modes d’action, comme la grève du sexe, il imagine également une «grève de l’amitié» puisque «nos maîtres ne veulent pas seulement jouir sans entraves de nos corps, de notre temps, de nos mains expertes, de nos courtes vies; ils veulent aussi qu’on les aime». «La grève impose une révélation, sans même une gifle; et cette révélation tombe alors comme un couperet: ce que l’on disait normal n’était qu’un assentiment de tous. Si nous tous prenions réellement la chose au sérieux, la terre tremblerait.» L’ouvrage sent bon la poudre, il trouvera sans peine sa place sous le sapin d’un syndicaliste. Et ce «livre-Molotov à l’usage des timides, des affligés et des gueulards», comme l’annonce sa quatrième de couverture, servira aussi bien de devoirs de vacances aux députés PS et Verts.