Les profits au-dessus des êtres humains
Amnesty International pointe du doigt l’égoïsme et la cupidité des entreprises pharmaceutiques en matière de vaccins contre le Covid
Monopolisation de la technologie liée aux vaccins, refus du partage de la propriété intellectuelle, vente à des prix élevés des doses salvatrices et en majeure partie à des pays riches: l’égoïsme et la cupidité des sociétés pharmaceutiques ont contribué, estime Amnesty International, à la «catastrophe des droits humains» l’an dernier. Ses conclusions se fondent sur sa nouvelle évaluation des pratiques des principaux laboratoires élaborant des vaccins contre le virus. L’ONG note que dix milliards de doses ont été produites en 2021, ce qui aurait pu, potentiellement, protéger 40% de la population mondiale comme le préconisait l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Or, à la fin de cette même année, à peine plus de 4% des personnes vivant dans des pays à faible revenu présentaient un schéma vaccinal complet. Selon Amnesty International, si les nations les plus fortunées ont accaparé les vaccins, «épuisant impitoyablement les stocks avant que les régions les plus pauvres puissent y accéder», les pharmas ont clairement leur part de responsabilité. Le rôle des fabricants, peut-on lire dans le rapport, a été décisif, puisqu’ils ont limité la production des doses à l’échelle mondiale et entravé l’accès à un produit de santé vital. Entre maintien du monopole sur les brevets, blocage des transferts de technologie, pressions diverses et ce en dépit des milliards de dollars de financement public et de précommandes reçues, éliminant les risques inhérents à la mise au point d’un nouveau médicament.
Changer de cap
«Les entreprises pharmaceutiques ont tourné le dos aux personnes qui avaient le plus besoin de vaccins et ont simplement continué de faire des affaires comme si de rien n’était, plaçant les profits au-dessus des êtres humains. Si nous voulons que l’année 2022 soit la dernière de cette pandémie, nous devons changer de cap dès maintenant», a déclaré Danièle Gosteli Hauser, experte en économie et droits humains à Amnesty International Suisse. L’organisation détaille les agissements des six plus grands fournisseurs de vaccins. On apprend par exemple que Pfizer/BioNTech et Moderna ont projeté des gains atteignant jusqu’à 54 milliards de dollars américains et, pourtant, moins de 2% de leurs vaccins ont été envoyés à des pays à faible revenu. De leur côté, les entreprises chinoises Sinovac et Sinopharm ont fourni respectivement seulement 0,5% et 1,5% des doses à ces mêmes destinataires. Plus généreux, Johnson & Johnson et AstraZeneca ont distribué la moitié de leurs stocks, dont un grand nombre de doses à titre de dons, hors accords commerciaux. En revanche, et comme leurs concurrents, les deux sociétés refusent toujours de partager leur technologie et leur propriété intellectuelle dans le cadre des initiatives coordonnées par l’OMS. Elles abandonnent par ailleurs leur modèle tarifaire sans but lucratif. Si les pays à revenu intermédiaire inférieur ont été un peu mieux servis, les efforts de mutualisation des ressources n’ont de loin pas rencontré le succès escompté, comme le montre le dispositif Covax qui visait, à la fin de 2021, à rendre deux milliards de doses disponibles: en septembre dernier, seules 243 millions avaient été acheminées par ce biais. Amnesty International souligne aussi la responsabilité des investisseurs dans cette crise, eux qui «ont prospéré et n’ont rien fait», alors qu’ils auraient pu user de leur influence sur les pharmas pour qu’un accès équitable aux vaccins soit garanti. Dans ce contexte, l’ONG leur demande d’agir. Comme elle exhorte les laboratoires à partager leur savoir-faire et à pratiquer des prix abordables, sans faire passer leurs intérêts avant leurs responsabilités en matière de droits humains.