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Les syndicats genevois exigent de réelles mesures contre les patrons fraudeurs aux assurances sociales

Lors d’une conférence de presse donnée devant un chantier où des fraudes ont été constatées, à Châtelaine, les représentants des syndicats Unia, Syna et le Sit ont évoqué plusieurs cas emblématiques ayant fait l’objet de dénonciations pénales de leur part.
© Jérôme Béguin

Lors d’une conférence de presse donnée devant un chantier où des fraudes ont été constatées, à Châtelaine, les représentants des syndicats Unia, Syna et le Sit ont évoqué plusieurs cas emblématiques ayant fait l’objet de dénonciations pénales de leur part.

La «charte» de la conseillère d’Etat Delphine Bachmann n’est pas jugée crédible par Unia, Syna et le Sit, qui lui opposent l’élaboration d’un «pacte social»

«Vous pensez que signer une charte va faire trembler les fraudeurs? questionne d’emblée Thierry Horner, secrétaire syndical du Sit. Ce n’est pas sérieux. Les patrons voyous qui sévissent à Genève ne craignent déjà pas les sanctions pénales, alors une charte…»

Unia, Syna et le Sit, les syndicats genevois actifs dans le bâtiment, ne cachent pas leur irritation vis-à-vis de Delphine Bachmann. Au début du mois, la cheffe de l’Economie et de l’Emploi a annoncé dans un communiqué «intensifier la lutte contre la fraude aux assurances sociales sur le terrain». Le montant des cotisations impayées à l’AVS, à l’AI, au chômage, à la Suva ou encore à l’assurance maternité s’élève à plusieurs millions de francs chaque année à Genève. Mais en fait d’intensification de la lutte, les employeurs s’affiliant à une caisse de compensation sont désormais tenus de signer un document, qualifié de «charte» par la conseillère d’Etat, rappelant leurs obligations légales et les sanctions encourues en cas de manquements. «C’est un coup médiatique», juge José Sebastiao, secrétaire syndical d’Unia Genève.

Nombreuses faillites dans le ferraillage...

La semaine dernière, lors d’une conférence de presse donnée devant un chantier où des fraudes ont été constatées, à Châtelaine, les trois syndicats ont évoqué plusieurs cas emblématiques ayant fait l’objet de dénonciations pénales de leur part. Tel celui d’Eli Sàrl, une entreprise du bâtiment spécialisée dans le ferraillage, «qui a fait faillite en août dernier avec plus de 300000 francs de créances auprès des caisses de compensation, mais qui a simplement rouvert sous le nom d’Eli.K. Sàrl», dénonce Pedro Leite, secrétaire syndical de Syna Genève. 

José Sebastiao cite, de son côté, le cas d’un patron du ferraillage qui, en dix ans, a déposé à cinq reprises son bilan, avec, à chaque fois, des ardoises de l’ordre de 100000 à 200000 francs de charges sociales. «Il y a une complicité crasse des entreprises générales, qui savent pertinemment que les cotisations sociales ne sont pas payées, mais elles profitent d’un ferraillage à moitié prix», indique le syndicaliste d’Unia.

«Sans les ferrailleurs, il n’y a pas de construction. Genève ne dénombre que 350 ferrailleurs, mais, en sept ans seulement, la branche a connu une cinquantaine de faillites et de radiations», souligne Thierry Horner.

Mieux réglementer la sous-traitance

Le ferraillage n’est pas la seule branche victime des mauvais payeurs, le syndicaliste du Sit mentionne le cas d’Eco Clean Parquet Services Sàrl, dont le patron a laissé une trentaine d’employés sur le carreau à l’été 2022. Si le syndicat a pu obtenir le versement des salaires impayés, l’employeur indélicat a cumulé les poursuites des caisses. Ce qui n’empêche pas ce Monsieur de poursuivre ses activités entrepreneuriales, puisqu’il a ouvert une cave à vins à Confédération Centre.

Thierry Horner note qu’«un expert financier à mi-temps seulement est dévolu aux faillites frauduleuses alors que 700 faillites sont prononcées chaque année». «Constituer les dossiers est un travail monstre, est-ce que c’est à nous, les syndicats, d’aller chercher l’argent!?»

Les syndicats ne se contentent toutefois pas de dénoncer, ils avancent quatorze propositions concrètes (lire ci-dessous). L’idée est que les partenaires sociaux concluent un «pacte social» sous l’égide de l’Etat afin de disposer des moyens de tordre le bras des fraudeurs. Ces derniers évoluent surtout dans la sous-traitance, qu’il s’agit de mieux réglementer. En particulier le ferraillage, dont les prix se sont effondrés ces dernières années en raison de la concurrence sauvage imposée par le marché. Selon les estimations des syndicats, 80% des ferrailleurs sont sans statut légal et, de fait, particulièrement exposés à une précarisation extrême. Toutes les sociétés de ferraillage ne sont pas malhonnêtes, précise José Sebastiao. Mais ces patrons réglos sont certainement désavantagés par une concurrence déloyale.

La balle est dans le camp de Delphine Bachmann, conclut le syndicaliste: «Il y a des solutions, maintenant c’est une question de volonté politique.»

Jérôme Béguin


Les propositions des syndicats genevois

1. Les entreprises principales procèdent à la réinternalisation des travaux de ferraillage au sein de leurs effectifs;

2. A défaut, elles revalorisent les prix de la pose de la ferraille;

3. Les partenaires sociaux abordent sans tabou avec le Conseil d’Etat la possibilité de régulariser les ferrailleurs;

4. Les entreprises principales annoncent désormais l’ouverture de tout chantier impliquant de la sous-traitance aux commissions paritaires concernées aux fins de contrôle en amont;

5. L’Attestation multipack, outil patronal censé attester qu’une entreprise est en ordre avec ses obligations légales, mentionne désormais tout accord de paiement concernant des retards de cotisations;

6. Aucune entreprise ne peut sous-traiter des travaux sans que le sous-traitant ne fournisse une attestation de conformité conventionnelle à solliciter auprès des commissions paritaires de secteur;

7. Les effectifs de l’Office des faillites sont renforcés avec la création d’un pôle consacré au traitement des faillites frauduleuses;

8. Les entreprises principales prévoient un fond visant au paiement des éventuelles créances salariales des ouvriers ayant œuvré sur leurs chantiers pour le compte des sous-traitants;

9. A l’instar du Règlement sur les marchés publics, les entreprises principales n'engagent des sous-traitants que dans la mesure où ces derniers figurent au Registre du commerce depuis 3 ans au moins;

10. La brigade financière et le pôle d’investigation du Ministère public sont renforcés pour les affaires de délinquance financière;

11. Un accès systématique des syndicats aux dossiers pénaux est garanti par le Ministère public;

12. Les administrateurs ayant fait l’objet de faillite sont poursuivis sur leurs deniers personnels;

13. Les fiduciaires véreuses qui organisent la fraude sociale avec des montages financiers frauduleux et le contournement des CCT sont poursuivies;

14. Le Conseil d’Etat mène un travail de lobby à Berne pour modifier la loi sur l’AVS afin que soit exigée l’annonce des travailleurs dès leur prise d’emploi et non pas l’année suivante comme actuellement, ce qui laisse la possibilité aux fraudeurs de ne pas annoncer leurs employés.

«Encore un sous-traitant qui ne paie pas les salaires!»

Deux jours après la conférence de presse organisée par les syndicats genevois contre les patrons fraudeurs, Unia dénonçait un nouveau cas de salaires impayés. L’entreprise G.C.T.M. SA, active dans le secteur des métiers techniques et de la métallurgie du bâtiment, n’a pas réglé les rémunérations du mois de février à l’ensemble de sa vingtaine d’employés. Selon Unia Genève, l’entreprise sous-traitante accumule, de surcroît, plus d’un demi-million de dettes aux assurances sociales.

En vertu de la responsabilité solidaire, dix travailleurs, accompagnés par Unia, de l’entreprise G.C.T.M. se sont rendus vendredi au bureau de la principale société qui sous-traite pour demander d’assumer les salaires impayés en les déduisant notamment des factures ouvertes. «L’administrateur responsable de l’entreprise n’a manifestement pas apprécié la démarche des travailleurs, indique Unia, dans un communiqué. Il a fini par admettre qu’il était au courant de la situation des salaires impayés de l’entreprise sous-traitante. Il a ajouté qu’en effet, afin de maintenir les bénéfices de son entreprise, la main-d’œuvre qui travaille sur ses chantiers doit être sous-traitée, ce que le syndicat sait et dénonce depuis longtemps. Cela dit, il s’est personnellement engagé à faire le nécessaire auprès de son sous-traitant pour que celui-ci accepte de faire une cession de créance aux travailleurs impayés.»

«Les employés de G.C.T.M. n’ont pas pu entrer sur le chantier de cette grande entreprise genevoise et ont été remplacés par des intérimaires, précise Mathieu Rebouilleau, secrétaire syndical d’Unia Genève. Le risque est que G.C.T.M. opte pour la mise en faillite faisant ainsi peser sur la collectivité toutes ses dettes. Quant aux travailleurs, ils demandent urgemment à être libérés pour pouvoir bosser ailleurs.» Et le syndicat de marteler: «La pratique de la sous-traitance est devenue un mécanisme pervers qui ne sert qu’à maintenir les bénéfices des entreprises sur le dos des travailleurs et des charges sociales. Les syndicats sont fatigués de traiter les conséquences sur les employés et leurs familles de faillites d’entreprises qui n’existeraient pas si la sous-traitance était limitée et contrôlée. Ils appellent à un pacte social pour stopper ce fléau.»

Aline Andrey

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