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Les syndicats réclament jusqu’à 5% d’augmentations salariales

Un caddie de supermarché vide avec un billet de 100 francs
© Thierry Porchet

De nombreux salariés et salariées n’ont pas bénéficié de l’indexation au coût de la vie, tandis que l’inflation plombe le budget des ménages

Alors que l’économie se porte bien, les salaires réels, après déduction du renchérissement, sont inférieurs à ceux de 2019. L’Union syndicale suisse exige un rattrapage.

Tout augmente, sauf les salaires. Voilà, en résumé, le constat que dresse l’Union syndicale suisse (USS), en soulignant que les prochaines négociations salariales seront déterminantes pour la Suisse. En vue de la manifestation nationale du 21 septembre sur ce sujet, la faîtière a exigé, lors d’une conférence de presse à Berne, un rattrapage avec des augmentations allant jusqu’à 5%.

Alors que l’inflation plombe le budget des ménages, de nombreux salariés et salariées n’ont pas bénéficié de l’indexation au coût de la vie, même si la conjoncture économique est globalement bonne, ce qui a permis aux entreprises d’augmenter leurs prix et d’accroître leurs ventes. Résultat: les salaires réels, c’est-à-dire après déduction du renchérissement, sont aujourd'hui inférieurs au niveau de 2019. «La compensation du renchérissement allait autrefois de soi lorsque la situation le permettait, note l’USS dans son communiqué de presse. Ce retard salarial doit maintenant être rattrapé. Les salaires devraient augmenter aussi fortement que la productivité du travail additionnée du renchérissement, afin que la répartition entre travail et capital ne change pas.»

 300 à 500 francs de plus par mois

Selon Daniel Lampart, économiste en chef de l’USS, «les bas et moyens salaires gagneraient aujourd’hui 300 à 500 francs de plus par mois si le potentiel de croissance salariale avait été exploité». Il rappelle que ces dernières années, la productivité a augmenté de plus de 1,5% par an et que le secteur financier notamment, mais aussi de larges pans de l’économie intérieure comme la construction, le commerce de détail ou l’industrie alimentaire ont réalisé des marges supérieures à la moyenne.

De plus, la situation est très favorable sur le marché du travail et la pénurie de main-d’œuvre qualifiée reste forte. Malgré cela, les négociations ont souvent été difficiles et les accords salariaux insuffisants, déplore Daniel Lampart. «Dans de nombreuses branches, une plus grande partie des bénéfices va dans la caisse de l’entreprise ou aux actionnaires plutôt qu’au personnel.»

S’appauvrir en travaillant

Le président de l'USS, Pierre-Yves Maillard, regrette que le consensus qui existait sur le principe de l’indexation au coût de la vie fasse défaut dans la crise actuelle du pouvoir d’achat, et que les salaires réels aient baissé en Suisse dans des proportions jamais connues depuis la Seconde guerre mondiale. «Le travail a perdu de sa valeur au sens économique du terme, dénonce-t-il. Des centaines de milliers de ménages qui vivaient sans excès, mais avec une certaine sécurité, voient les fins de mois arriver avec inquiétude. Les milieux patronaux et politiques dominants veulent-ils vraiment défendre un modèle économique où on s’appauvrit en travaillant?»

Pour Vania Alleva, présidente d’Unia, «l'évolution des salaires en Suisse est alarmante, notamment dans le commerce de détail, l'industrie, la construction, la restauration ou les soins aux personnes âgées». Elle rappelle que les écarts entre bas et hauts salaires se sont encore accrus, comme l’a montré la récente étude d’Unia. «Un poste sur dix en Suisse reste un poste à bas salaire, c’est donc un demi-million de travailleuses et travailleurs qui sont concernés.» La syndicaliste ajoute que les femmes et les personnes migrantes sont les premières concernées. Sachant que les revendications peuvent varier d’une branche à l’autre, Unia demande une revalorisation salariale dans les secteurs à basses rémunérations, et ne veut plus de salaires minimums inférieurs à 4500 francs, et à 5000 francs pour les personnes au bénéfice d’un apprentissage.

Selon Natascha Wey, secrétaire générale du Syndicat des Services publics, le secteur public n’est pas mieux loti, au contraire: «De nombreux cantons et la Confédération sont en retard dans la compensation du renchérissement. Ces dernières années, les salaires réels dans le secteur public ont parfois baissé plus fortement que dans le secteur privé.»


Toutes et tous à la manifestation!

Tout augmente, sauf les rémunérations. Participez à la grande manifestation pour une hausse des salaires qui se déroulera le samedi 21 à Berne. Le rendez-vous est fixé à 13h30 à Schützenmatte. Informations et inscriptions pour bénéficier d’un transport gratuit: unia.ch/inscription-manif-salariale

Des salariées s'expriment sur la nécessité d'augmenter les rémunérations

Un salaire d’homme réclamé

Virginie, militante au comité industrie et au groupe d’intérêts femmes d’Unia Neuchâtel, employée dans l’industrie horlogère: «Dans mon ancien emploi au sein d’un grand groupe horloger, je me suis rendu compte que mon salaire était inférieur de 1500 francs à ce qu’il devait être. En effet, à la suite d’un changement de poste pour lequel une augmentation de salaire m’avait été promise, on m’a baladée pendant quelques années avec des excuses économiques pour ne pas me l’octroyer. Je suis finalement remontée jusqu’à la direction, j’ai obtenu quelque chose, mais de loin pas suffisant. Certains collègues de production se sont carrément entendu dire qu’ils avaient été engagés à tel salaire et que celui-ci ne changerait pas. Heureusement, j’ai maintenant trouvé un autre poste dans une entreprise qui paie plutôt bien. Et j’ai demandé clairement le salaire d’un homme! Rappelons que, dans l’horlogerie, le salaire moyen des hommes est de plus de 1300 francs supérieur à celui des femmes. Il y a quand même quelques entreprises correctes. Certes, pour une personne travaillant dans les bureaux, comme moi, c’est un peu plus facile. Dans la production, souvent les salaires n’évoluent pas, ils restent les mêmes du début à la fin de la carrière. Alors, comme les indexations ne couvrent pas toutes les augmentations du coût de la vie, les revenus disponibles diminuent. Si je participe à la manifestation salariale, ce n’est pas pour moi, c’est parce que je trouve inacceptable que l’horlogerie verse des salaires aussi bas alors que c’est une industrie du luxe qui dégage de plus en plus de bénéfices reversés aux actionnaires. Je ne trouve pas normal que les riches soient de plus en plus gourmands au détriment des ouvriers et des ouvrières qui bossent comme des fous et se dévouent pour leur entreprise. Les fruits du travail doivent être mieux redistribués.» 

Propos recueillis par Jérôme Béguin


Les loisirs passent à l’as

Emma (prénom d’emprunt), gérante de boutique de mode en Valais: «En Valais, il n’y a pas de convention collective dans la vente, alors chacun fait ce qu’il veut. En quinze ans, j’ai peut-être eu deux fois une augmentation de 100 francs, mais aucune depuis la crise du Covid, confie cette mère célibataire quadragénaire. Et en ce moment, aller voir mon employeur pour lui demander une augmentation, c’est peine perdue. Ça va très mal dans le textile, la vente en ligne est en train de nous tuer à petit feu. Beaucoup de boutiques ferment. Comme c’était le seul moyen de gagner un petit peu plus, il y a quelques années, j’ai accepté de nouvelles responsabilités. Mais bien que j’aie un statut de cadre, je ne touche que 4900 francs brut par mois, alors que ma charge de travail a énormément augmenté, avec des semaines à plus de cinquante heures. C’est difficile de joindre les deux bouts. Je vis seule avec deux enfants qui ne sont pas encore indépendants financièrement. Et comme ils sont majeurs, leur père ne me verse plus de pension alimentaire. Les allocations familiales ne suffisent pas, et en plus, je suis dans une tranche salariale qui ne me donne pas le droit à des aides. Une fois que j’ai payé le loyer, l’assurance maladie et toutes les factures, il me reste 400 francs pour tenir le mois. Je ne fais plus rien, je n’ai plus de loisirs, je ne sors plus boire des verres avec des amis. Ça fait déjà longtemps que je ne pars plus en vacances. Je reste chez moi. Ma vie, c’est maison-travail, maison-travail.»
Propos recueillis par Antoine Grosjean


Impossible de subvenir seule à ses besoins

Une coiffeuse à Lausanne, 26 ans: «J’ai fait mon apprentissage en 2015. Depuis, malgré l’augmentation salariale dans la Convention collective de travail (CCT) de la coiffure, notre pouvoir d’achat a reculé. Mes collègues et moi, nous touchons, selon nos formations, entre 3800 et 4400 francs brut par mois environ pour des semaines à 43 heures et en travaillant tous les samedis. Avec le coût de la vie actuel, une coiffeuse ne peut pas subvenir seule à ses besoins. Soit on vit chez ses parents, en colocation ou avec son chéri. Depuis quelques années, nous n’avons quasi plus de bonne-main. Avant, je me souviens qu’une collègue gardait tous ses pourboires pour payer ses impôts ou partir en vacances. C’était comme un 13e salaire. Depuis quatre ans (soit depuis le Covid, ndlr), ce n’est plus le cas. Ce qu’il nous faudrait en fait, c’est un 13e salaire. Je confie que j’ai adoré mon métier. Je l’ai choisi par passion. Ma mère m’avait mise en garde sur le fait que le salaire était petit, mais je n’y pensais pas à l’époque. Au fil des ans, on se rend compte des inconvénients du métier: le stress de faire du chiffre, notre rôle social qui fait qu’on entend des plaintes du matin au soir, la pression de la clientèle de plus en plus exigeante qui veut telle ou telle coupe sans permettre à la coiffeuse de développer sa créativité – et je comprends ces exigences, car je fais pareil – ou encore le peu de possibilités d’évolution. Résultat: beaucoup de coiffeuses, comme moi, se reconvertissent après dix ou quinze ans de métier. Il n’y a plus que des jeunettes dans les salons. Je n’irai pas manifester le 21 septembre, car je travaille et que je n’ai pas l’énergie. Mais tant que je ferai ce métier, je resterai membre d’Unia, car c’est important de contribuer à ma petite échelle.»

Propos recueillis par Aline Andrey

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