La Communauté genevoise d’action syndicale a adopté un manifeste contre l’accord-cadre négocié avec l’Union européenne. Trois questions à Alessandro Pelizzari, secrétaire régional d’Unia Genève
Front genevois uni contre l’accord-cadre négocié par le Conseil fédéral et la Commission européenne. D’entente avec le Parti socialiste, les Verts et Ensemble à gauche, la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS) a adopté la semaine passée un manifeste refusant ce pacte qui met en péril la protection des salaires. Assouplissement de la règle dite des huit jours lors de détachement de travailleurs – délai d’annonce nécessaire à l’organisation de vérifications –, affaiblissement du système de cautions et de surveillance des (faux) indépendants, réduction des contrôles, menaces sur les Conventions collectives de travail... Autant de points particulièrement problématiques dénoncés par les syndicats. Réitérant leur rejet de l’accord en question ouvrant large la porte au dumping, ils ont néanmoins réaffirmé leur soutien à la libre circulation des personnes. «Rien d’anti-européen dans notre démarche. Au contraire. Notre position se trouve aux antipodes de celle de l’UDC», relève Alessandro Pelizzari, secrétaire régional d’Unia Genève.
Pourquoi avoir rédigé ce manifeste?
Nous souhaitons préciser les raisons de notre rejet de l’accord-cadre face aux reproches formulés à l’encontre des syndicats accusés de bloquer le processus de signature. En effet, il est important de démontrer que, derrière le débat sur la fameuse «règle des huit jours», l’accord-cadre prévoit une attaque en règle des mesures d’accompagnement à la libre circulation, orchestrée par les lobbys d’entreprises à Bruxelles et profitant également à des sociétés suisses. Il ne s’agit pas, d’une question nationale ou européenne mais d’une question sociale. Car il ne faut pas oublier que ce sont ces mesures qui ont permis, contrairement à beaucoup de pays en Europe, de maintenir le niveau salarial en Suisse, en garantissant des protections supplémentaires pour les quelque 250000 travailleurs avec des permis de courte durée et, au-delà, pour l’ensemble des salariés en Suisse. Et, en nous alliant avec les partis de l’Alternative, nous délivrons aussi un message univoque destiné aux autorités cantonales. Face aux attaques contre les droits des salariés, nous entendons, à Genève, non seulement protéger les mesures d’accompagnement, mais aussi les renforcer.
Le PS suisse semble assouplir sa position. Vous craignez qu’il lâche du lest?
Le PS suisse a adapté son discours pour satisfaire son aile sociale-libérale. S’il se montre favorable à l’accord-cadre, il ne veut pas non plus qu’on touche aux mesures d’accompagnement. Donc il ne peut défendre ce pacte-là. Le Foraus (groupe de réflexion sur la politique étrangère suisse, ndlr) cherche aujourd’hui à convaincre la gauche et les syndicats de soutenir l’accord moyennant l’introduction d’une liste de mesures compensatoires susceptibles d’atténuer ses effets négatifs. Ces outils sont très proches de nos revendications mais ils ne pourront se substituer aux mesures d’accompagnement. Si l’on signe l’accord-cadre, la Cour de justice européenne aura son mot à dire sur le droit du travail suisse. Ses décisions prévaudront sur des dispositions internes. Et on connaît la doctrine de cette instance visant à soumettre toute mesure de protection des salariés aux impératifs du libre commerce. Définitivement, l’accord ne peut être signé. Il faut le renégocier.
Et dans le cas contraire, quels seraient alors les risques?
Si on ne signe pas, rien ne se passera dans l’immédiat. Par contre, la signature de l’accord-cadre préparerait le terrain à l’initiative de l’UDC visant à mettre un terme à la libre circulation des personnes et sur laquelle nous voterons l’an prochain. Car un affaiblissement des mesures d’accompagnement générera inévitablement une pression salariale, et chaque pourcentage de salaire perdu élargira l’électorat de l’extrême droite. Refuser aujourd’hui l’accord-cadre, c’est donc dire oui à la libre circulation des personnes. C’est renforcer les droits de tous les travailleurs. D’ici et d’ailleurs. Et si une libre circulation sans protection salariale n’est pas viable, le contraire vaut aussi: une protection salariale sans libre circulation est un leurre. C’est le projet de l’UDC qui veut, elle, priver la main-d’œuvre étrangère de ces droits et revenir à des statuts précaires, comme celui des saisonniers. C’était la pire période d’exploitation et de sous-enchère.