Les grévistes de Smood poursuivent leur lutte. Epaulés par Unia, ils attendent toujours des solutions de leur employeur. Dans l’intervalle, une pétition de soutien munie de plus de 12000 signatures a été remise à la direction de la plateforme de livraisons et à Migros, partenaire de l’entreprise
Lundi, à l’heure du bouclage de ce numéro, la grève chez Smood entrait dans sa cinquième semaine. Démarré le 2 novembre à Yverdon, le mouvement a fait boule de neige en Suisse romande. Après le chef-lieu du Nord vaudois, le conflit s’est étendu à Neuchâtel, puis, au fil des jours, à Nyon, Sion, Martigny, Lausanne, Fribourg et, pour finir, Genève.
Une centaine de coursiers de la plateforme de livraisons et de Simple Pay, une société sous-traitante, ont formé des comités dans toutes ces villes avec des revendications convergentes: le paiement de toutes les heures de travail et des vacances, une indemnisation correcte pour l’utilisation des véhicules privés et des téléphones, l’amélioration de la planification du travail, ainsi que l’augmentation des salaires. «Selon nos calculs, les livreurs de Smood ne gagnent que 14,70 francs de l’heure. Les salariés de Simple Pay sont, eux, payés à la minute. Une fois déduits les attentes des commandes et les frais, ils ne perçoivent qu’entre 5 et 10 francs par heure seulement», indique Roman Künzler, responsable de la logistique pour Unia. Comme si cela ne suffisait pas, les coursiers dénoncent des relevés d’heure systématiquement incomplets et une nouvelle planification du travail sous la forme de shifts, de courtes tranches horaires délivrées de jour en jour. «Ces derniers mois, de plus en plus de livreurs sont venus frapper à la porte du syndicat, ils ont vu leurs conditions tellement se dégrader qu’ils ont fini par se mettre en grève», explique Véronique Polito, vice-présidente d’Unia.
Smood n’est pourtant pas une start-up sans moyens, l’entreprise livre 2000 restaurants et 80 succursales Migros. Son fondateur, Marc Aeschlimann, est assis sur une fortune de plus de 100 millions d’après Bilan. Les 35% des actions de sa société sont détenues par Migros Genève, qui occupe deux des quatre sièges du conseil d’administration. «Pourquoi Migros, qui se présente comme un employeur exemplaire, accepte une ubérisation des conditions de travail contraire à toutes ses valeurs? questionne Anne Rubin, responsable du commerce de détail chez Unia. Pour nous, Migros ne peut pas cautionner ce système. Sa direction doit prendre ses responsabilités et peser de tout son poids pour que Smood accepte d’ouvrir des négociations.»
Pour l’heure, les discussions avec l’entreprise sont restées informelles. La responsable du marketing de la société a soutenu au Temps que «jusqu’à présent, il n’y a pas eu de grève, il y a eu des événements organisés par Unia» afin de «faire du buzz pour attirer l’attention»… Cette non-grève a tout de même forcé la direction à annoncer son intention de conclure une convention collective d’entreprise avec Syndicom. Sans doute jugé plus conciliant qu’Unia, le syndicat actif dans la logistique a cependant déclaré soutenir les revendications des grévistes et appelé à entamer les négociations «avec toutes les parties concernées». «Smood a adopté une stratégie pour casser la grève et a joué tous les registres en ce sens. Mais c’était tellement transparent que les travailleurs ne se sont jamais fait leurrer», souligne Roman Künzler.
«Votre lutte est juste»
Les grévistes de Smood bénéficient d’un large courant de sympathie. Des unions syndicales, des collectifs féministes et de la grève du climat, des élus ou des personnalités ont tenu à témoigner de leur soutien. Sur les piquets de grève, plus de 12000 personnes ont signé une pétition intitulée «Smood, écoute tes livreurs».
La semaine dernière, une cinquantaine de grévistes et de syndicalistes se sont retrouvés dans la ville du bout du lac pour déposer la pétition. Au siège de Smood, deux personnes sont sorties récupérer le document sans décliner leur identité ni qualité et en refusant de discuter. Chez le géant orange, c’est le responsable de la sécurité qui est allé au-devant des travailleurs cantonnés derrière le portail du site. «Votre lutte est juste, mais votre employeur est indigne. Après des semaines de grève, il ne vous a toujours pas reçus, a dénoncé la présidente d’Unia, Vania Alleva, présente à l’action. Je suis impressionnée par votre courage et votre détermination.»
«Ce mouvement est l’un des plus remarquables que nous ayons connus ces vingt dernières années», a indiqué, de son côté, Pierre-Yves Maillard, le président de l’Union syndicale suisse. «L’ubérisation est en train de changer le monde du travail, mais pour la première fois en Suisse, il y a une résistance d’envergure», souligne Roman Künzler.
Reste que la grève n’est pas une partie de plaisir. «Tous les jours, on lutte contre le froid sur les piquets de grève. Nous espérons passer vite à l’étape suivante, des négociations avec la direction», confie Renan, gréviste d’Yverdon. «Nous irons jusqu’au bout, promet Farès, de Montreux. Il faut qu’ils arrêtent de profiter sur notre dos, nous ne sommes pas des animaux, nous voulons être traités comme des humains.»
Témoignages - La parole à quelques grévistes
Farès, Montreux - «Nous n’avons pas de salaire garanti. S’il n’y a pas de commandes, nous ne sommes pas payés. Nous sommes obligés de nous rendre à un point de connexion sans savoir si nous allons travailler dix minutes ou quatre heures. On reste là, coincés, à attendre.»
Ramzi, Nyon - «Il y a un règlement assez strict avec toute une série de pénalités. Je ne comprends pas pourquoi l’entreprise est aussi sévère alors que notre salaire est déjà très bas. Si l’on ne vient pas, on peut être sanctionnés de 25 francs, par contre, on nous demande régulièrement d’être présents alors qu’il n’y a pas de travail. Récemment, un manager m’a demandé de travailler de 10h30 à 14h, j’ai effectué une seule course qui n’a duré que dix minutes, je n’ai reçu aucun dédommagement, ni mot de réconfort. Quant aux pourboires, on ne les touche pas directement, cette cagnotte est gérée et distribuée par les managers. Nous sommes dévoués, nous faisons des sacrifices et tout ce que nous récoltons, c’est d’être escroqué par notre employeur. Celui-ci a choisi de contre-attaquer en engageant des casseurs de grève avec véhicules de fonction et salaires assurés. Ils sont nouveaux et ne connaissent pas ce système esclavagiste. Je ne pensais pas faire cette expérience dans notre pays.»
Kader, Yverdon - «Tous les mois, on se retrouve avec des heures impayées. Au mois d’octobre, j’ai travaillé 174 heures sur 28 jours, mais on ne m’en a réglé que 135. La réponse est toujours la même: problème de data. On doit noter nos heures, c’est vous dire la confiance. Cela provoque de la colère, certains ne réclament même plus. Nous ne venons pas mendier, ce que nous demandons, c’est de retrouver notre dignité et notre rémunération pour une activité pour laquelle nous sommes dévoués.»
Sandie, Neuchâtel - «Je travaille depuis une année pour Smood, mais je n’ai jamais réussi à gagner un vrai salaire. Les travailleurs sont mis en concurrence, le premier arrivé est le premier servi. La direction ne nous respecte pas. J’ai eu un accident de voiture pendant le service, mon manager ne m’a même pas demandé si j’étais blessée et comment j’allais.»
Badara, Genève - «On ne peut pas se permettre de gagner 1800 francs par mois en Suisse. J’ai un loyer de 950 francs et je dois bien manger. Nous avons eu la chance de tomber sur Unia et sur des syndicalistes qui ont du cœur. Avec eux, nous avons trouvé la force de combattre. Notre but n’est pas de couler Smood, mais de nous asseoir autour d’une table avec sa direction pour discuter. Nous allons continuer, quoi qu’il arrive, et nous gagnerons.»
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