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Quand la thérapie devient politique

femme souriante
© Olivier Vogelsang

Jacqueline Sigg, thérapeute au grand cœur et à l’esprit agile, arpente des chemins de traverse.

Des enfants des rues aux femmes réfugiées, Jacqueline Sigg conçoit la psychothérapie comme un moyen de tendre vers plus de justice sociale

Le fil rouge de sa vie est tissé de multiples appartenances et influences. Jacqueline Sigg, comme son nom ne l’indique pas, est née de l’autre côté de l’Atlantique. De père lucernois et de mère mexicaine, elle a été scolarisée à l’Ecole suisse de Mexico où elle a appris… l’allemand. Alors que ses parents parlaient, entre eux, en anglais. «Je les remercie d’avoir pu baigner dans tant de langues, raconte-t-elle. Et tant de cultures.» Enfant, elle passe ses vacances d’été avec ses sœurs dans sa famille paternelle à Lucerne. Au quotidien, sa vision du monde est colorée de la culture mexicaine, «des effets séculaires de la colonisation à Mexico», et des savoirs de sa «deuxième maman» native du peuple autochtone Otomi. «Güichita m’a beaucoup appris sur sa vision du monde horizontale et respectueuse, où la relation avec la nature est vivante et empreinte d’amour», raconte-t-elle avec chaleur et générosité. 

Jacqueline grandit dans ce contexte privilégié. Son père est ingénieur, sa mère travailleuse sociale. «Elle travaillait avec des femmes qui souffraient de troubles mentaux. J’ai été exposée à ces réalités différentes, à la très grande précarité souvent source de problèmes psychiques. Ma maman a fait tout son possible, dans un esprit de résistance, pour améliorer leurs conditions de vie», raconte celle qui n’a que 16 ans au moment du décès de sa mère.

La thérapie narrative

La jeune femme étudie à Mexico, devient psychothérapeute, se marie, donne naissance à trois garçons, dont des jumeaux. «Pendant ma deuxième grossesse, j’ai dû être hospitalisée pendant six semaines, et j’ai commencé à dessiner», raconte-t-elle, des étoiles dans les yeux. Une révélation qui la pousse à se former à Los Angeles en art-thérapie qu’elle utilise en tant que psychologue indépendante dans des ONG avec des enfants des rues, des femmes touchées par la violence de genre ou encore des personnes réfugiées. 

En 2007, Jacqueline Sigg découvre la thérapie narrative. «Je suis tombée amoureuse de cette approche qui tient compte de l'impact des injustices sociales sur le bien-être et la santé mentale des personnes. Celle-ci s’inspire de la philosophie postmoderne – à savoir que les injonctions sociales et culturelles construites comme des vérités ont souvent un impact négatif sur l'identité des personnes et leur bien-être – et de l’anthropologie culturelle, puisqu’on explore les récits et les connaissances locales de la personne. La thérapie narrative intègre également l’appel des féminismes: «Le personnel est politique.» Elle devient ainsi un espace dans lequel les personnes migrent vers le bien-être en honorant leurs résistances aux injustices sociales, leurs connaissances, forces, rêves et espoirs. 

Jacqueline Sigg pourrait en parler des heures, elle qui, allant toujours au bout de ses idées, s’est spécialisée en Australie, pays d’origine de cette approche, grâce à une bourse d’études. Elle en reviendra avec un master en thérapie narrative et travail communautaire.

Comme thérapeute féministe, elle considère avoir une énorme responsabilité. «Face au racisme, au sexisme, au colonialisme, au classisme, je me positionne pour ne pas répliquer les injustices sociales.» 

L’aventure de la migration

Tout au long de son parcours de vie, son leitmotiv a toujours été le même: «Plonger dans l’aventure, même si c’est parfois compliqué.» Ce trait de caractère l’amènera à émigrer en Suisse, seule avec ses trois adolescents. «A Mexico, pendant mon enfance, je me baladais libre à vélo. Aujourd’hui, aucun enfant ne sort seul. Au feu rouge, dans la voiture, on est sur le qui-vive, tout le temps. Je ne voulais plus vivre avec mes enfants dans ce contexte.»

En août 2020, elle atterrit en Valais chez une amie d’enfance. «Si on m’avait dit toutes les difficultés qui m’attendaient, je crois que je serais restée au Mexique», raconte-t-elle en riant, tout en reconnaissant ses privilèges liés à sa classe sociale, ses deux passeports et sa connaissance préalable de la Suisse. «Il m’a fallu toutefois sept mois pour trouver un appartement», ajoute-t-elle dans son salon, qui abrite des œuvres d’art mexicaines, signes de son attachement à ses racines et de sa sensibilité artistique. «Ici, ce tableau est fait par les indigènes d’un petit village avec… comment dit-on la peau des arbres?» Si des mots lui manquent parfois, la poésie jamais, ni l’émerveillement face à la beauté. 

«Apprendre bien le français m’a demandé beaucoup d’énergie. Heureusement, l’association Découvrir m’a beaucoup aidée au début pour comprendre les codes culturels, écrire un CV, chercher du travail.» Autre difficulté: «Le sexisme, je le connaissais déjà dans mon pays. Par contre, le racisme, je l’ai découvert en Suisse en tant que Mexicaine. A l’intersection, j’ai compris que les femmes latino-américaines sont perçues ici comme celles qui cherchent un homme suisse ayant de l’argent. C’est fou!» 

Si Jacqueline Sigg mentionne toutefois la très grande gentillesse des gens et la sécurité de ce pays, elle nuance: «Cette gentillesse a son revers: celui d’invisibiliser les enjeux sociaux. Les violences de genre existent – un féminicide tous les quinze jours est commis en Suisse! –, tout comme la pauvreté, même si ce pays est ultraprivilégié.»

Depuis presque quatre ans, Jacqueline Sigg travaille surtout en ligne comme psychothérapeute et comme enseignante au Mexique, au Chili et en Espagne. En Suisse, elle collabore au sein de l'équipe de formation en thérapie narrative de Charlie Crettenand qui vient de publier un ouvrage collectif*. 

Il y a quelques jours, sa situation professionnelle a connu un tournant: elle a enfin reçu la validation de ses diplômes par l’Office fédéral de la santé publique. «Je me sens dans un esprit de célébration!» lance la psychothérapeute, enfin reconnue dans son deuxième pays. «Une nouvelle étape commence pour poursuivre ma passion en Suisse: celle d’accompagner les personnes, ici, à réécrire leur histoire dans un esprit de justice sociale et de dignité.» 


Itinérances narratives. La magie dans la faille. Boussole politique des pratiques narratives. Charlie Crettenand, Joanne Chassot, Jeanne Durussel, Sébastien Ebener, Morgane Epiney, Agnès Maire, Jacqueline Sigg, Sabrina Tacchini, Nath Weber. Editions La Chronique sociale, 2024.