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Rouge passion

Portrait de Michel Bühler.
© Anne Crété

Si Michel Bühler ne monte plus sur scène depuis quelques années, il a toujours autant de plaisir à écrire des chansons.

Michel Bühler sort un nouvel album aux multiples horizons. Ses ouvrages parus ou réédités cette année nous amènent aussi au cœur de la question sociale

Il a plus de 50 ans de carrière, écrit des centaines de chansons, des romans, des essais… C’est une figure de la gauche romande, son aiguillon aussi. Cela l’a incité notamment à sortir un manifeste afin que la crise sanitaire nous conduise à repenser l’organisation de nos sociétés. Porte-parole de tous les damnés de la terre, il a le verbe haut et fort. Ses origines sont ouvrières. Ayant grandi dans le Jura vaudois, son enfance a été marquée par le magnifique cadre naturel de cette région, le chant et les luttes sociales. A ce sujet, son éditeur, Bernard Campiche, a sorti La Parole volée en collection de poche. Au travers de ces pages, on y trouve une magistrale description de la désindustrialisation qui a frappé Sainte-Croix, sa commune de toujours. Artisan de la chanson, orfèvre du bon mot, il signe également son 21e album. Nous l’avons rencontré chez lui, non loin des anciens fleurons industriels d’où s’exportaient, dans le monde entier, des boîtes à musique, des machines à écrire ou des caméras. Au sein de ce terreau de résistances parmi lesquelles ont germé de puissants liens de solidarité, Michel Bühler ne cesse de trouver les mots justes pour décrire le monde du travail, et dénoncer de multiples injustices.


Vous intitulez votre album «Rouge». Le rouge est-il toujours votre couleur politique?

Oui, bien sûr. Et, cela donne aussi une indication sur ce qu’il convient de m’offrir à boire pour me faire plaisir. Plus sérieusement, je fais également référence au rouge de la colère, et à celui de la timidité.

Vous vous consacrez à la chanson depuis les années 1960. Chanter les joies et les peines de notre monde, c’est un besoin vital pour vous?

Je ne monte plus sur scène depuis quatre ou cinq ans. En effet, je ne veux pas devenir un vieux chanteur. J’ai donné des concerts pendant 50 ans. Cela veut dire rentrer tard le soir… En plus, ayant trop fumé, le souffle me manque. Mais écrire des chansons me fait toujours plaisir. Ces treize chansons sont nées en l’espace de deux ou trois ans. C’est du boulot quotidien, mais c’est un joli boulot.

Créer une chanson, dont je suis content, me procure de la joie. J’aime aussi la partager avec les copains. Pour ces treize chansons, je ne suis pas parti d’un thème général. Le hasard les a regroupées.

Y a-t-il des idées que vous exprimez davantage par la chanson que par le roman, les essais, le théâtre ou vos articles dans les journaux?

La chanson, c’est de l’ébénisterie. Ecrire un bouquin relève plutôt de la menuiserie. Sachant que, dans la menuiserie, on trouve aussi des finesses. Mon père était ébéniste. Par contre, on peut, à mon avis, tout exprimer dans une chanson. Comme dans le cinéma, il y a des films politiques, d’autres d’action… Il en va de même pour la chanson. Il ne faut pas se limiter à des mièvreries.

Vous dites souvent que vous écrivez vos chansons lorsque vous êtes en colère. La chanson, c’est aussi un exutoire?

Oui, sans aucun doute. Dans l’album, on peut en entendre une ou deux qui sont des chants de colère. Cela fait du bien de dénoncer ce qui nous met en rogne.

En ce 150e anniversaire de la Commune de Paris, on vous retrouve aussi sur un album rendant hommage à cette grande insurrection populaire. Les initiateurs de ce disque se sont demandé ce que serait un mouvement social sans ses artistes et leurs contributions. Quel devrait être, selon vous, leur rôle dans ce type de mobilisations?

Je ne pense pas qu’une chanson soit en mesure de changer le monde. Mais il arrive qu’elle accompagne les transformations. Je suis copain depuis longtemps avec Gilles Vigneault, le Québécois. Il n’est pas à l’origine des évolutions de sa province. Cependant, Gilles en a été un acteur, et aussi une espèce de drapeau. Les chansons, cela nous met toutes et tous dans une même dynamique. En effet, elles nous soutiennent, et arrivent parfois à nous unir. Ce sont des lieux de rencontre. En principe, lorsqu’on partage un chant avec quelqu'un, on ne peut pas être son ennemi.

Vous êtes également à l’origine d’un manifeste, sorti cette année, incitant à ce que la crise du Covid constitue un élément déclencheur en vue de repenser les bases de notre société. Partagez-vous un sentiment d’échec à ce propos?

Tout à fait. Mais ce n’est pas une surprise. Pour arriver à de réels changements, il faudrait vraiment des cataclysmes. Cela passe par la remise en cause du capitalisme. Car on ne peut pas continuer à exploiter une planète, dont les ressources sont limitées. Pour ma part, ce changement, je ne le verrai pas.

Y a-t-il cependant des lueurs d’espoir?

Elles proviennent surtout de la jeunesse, de celles et ceux qui prennent leur destin en main. Il manque malheureusement des grandes idées mobilisatrices en termes de projets, ainsi que l’a été le programme intitulé Les Jours heureux, issu des forces de la Résistance française au nazisme. Et, en face, ils sont costauds. Comme disait le milliardaire Warren Buffett: «Il y a une guerre des classes, c’est un fait, mais c’est ma classe, la classe des riches, qui la mène, et nous sommes en train de la gagner.»

D’où vous vient votre attention aux classes populaires?

Je viens d’une famille nombreuse. On habitait au bas du village de Sainte-Croix. Tous mes oncles et mes cousins bossaient dans les grandes usines de la commune, chez Thorens, Paillard… Puis, je suis parti à Paris en 1969. Dans la capitale, on parlait avec les copains de la lutte des classes. Je me rendis compte que cela correspondait à ce que vivait ma famille. Cela me rappelait mes souvenirs d’enfance. J’ai pu mettre des mots sur un vécu familial. Je suis donc tombé dans la marmite depuis toujours.

Sainte-Croix demeure un haut lieu de l’histoire ouvrière…

Notre commune l’a été pendant longtemps. Mais elle a perdu beaucoup d’emplois. Auparavant, les usines grouillaient de monde. Les nombreux travailleurs arrivaient en train depuis Yverdon, ou en autobus de Pontarlier. Les rues étaient remplies de personnes, les bistrots pleins de vie avec des gens qui discutaient, gueulaient… Ensuite, on a été les premières victimes de la mondialisation. Les usines se sont vidées. Maintenant, le village se relève petit à petit.

Pochette du disque "Rouge".

Michel Bühler, Rouge, Editions du Crêt Papillon, 2021.

Couverture de "La parole volée".

Michel Bühler, La Parole volée, camPoche, 2021.

Michel Bühler et Nago Humbert (éditeurs), Manifeste 2020. Urgence: pour un autre monde et ne pas revenir à l’a-normalité, Editions d’en bas, 2021.

A paraître: Michel Bühler, Les Maîtres du vent, camPoche, 2021.

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