«Tous ensemble, nous pouvons obtenir des avancées»
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«Les employeurs ont dû rapidement remarquer que, même si j'étais aimable, j’étais déterminée et ne me battais pas moins durement pour les intérêts des travailleurs», note Vania Alleva, première femme à devenir présidente d’Unia en 2015.
Unia souffle cette année ses 20 bougies. Retour sur les deux décennies d’existence du syndicat et sur les enjeux actuels avec sa présidente, Vania Alleva.
Unia a maintenant 20 ans, il est donc définitivement adulte. Vous avez vu cet «enfant» grandir. Qu'est-ce qui vous remplit de fierté quand vous regardez en arrière?
Je suis fière du grand nombre de personnes que regroupe Unia, car ensemble nous pouvons accomplir beaucoup de choses. Nous bénéficions de toutes les idées, expériences et espoirs que les travailleurs et travailleuses, ainsi que le personnel du syndicat, apportent dans la lutte pour une Suisse et un monde meilleurs. Nous en retirons énormément d’énergie positive! C'est la base de nos succès: malgré de violents vents contraires idéologiques, nous avons renforcé les conventions collectives de travail en Suisse (CCT). Aujourd'hui, 1,2 million de travailleurs bénéficient d'une CCT de force obligatoire. C'est trois fois plus qu'avant notre création. Et même 1,9 million sont protégés par des salaires minimums CCT. Nous nous adressons à un nombre croissant de femmes et avons pris pied dans des secteurs qui étaient des déserts syndicaux. Je pense ici au commerce de détail, aux soins privés ou encore au nettoyage. Nous sommes respectés, notamment parce que nous sommes en mesure d'organiser des grèves victorieuses si nécessaire. Dans le bâtiment, mais aussi dans les entreprises industrielles et de services. Et nous sommes en mesure de construire régulièrement des majorités politiques dans un pays dominé par la bourgeoisie, comme l'a montré la victoire pour la 13e rente AVS. Nous pouvons vraiment être fiers de tout cela!
Et quels sont les événements que vous préféreriez oublier?
Le monde est parfois agaçant et pénible. Par exemple lorsqu'une majorité d'hommes décide d'augmenter l'âge de la retraite des femmes et que seules 30000 voix environ sont décisives à cet effet (votation AVS 21 de septembre 2022, ndlr). Mais nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre d'oublier de telles défaites, car nous devons en tirer les leçons et surtout continuer. Oublier est un luxe que je ne peux pas me permettre.
Vous étiez présente lorsqu’Unia a été porté sur les fonts baptismaux. Quels sont les obstacles et les doutes qui ont dû être levés pour cette union?
Ce n'est pas seulement vrai pour les travailleurs individuels, mais aussi pour les syndicats: l'union fait la force. Il y a vingt ans, les syndicats qui nous ont précédés ont reconnu que nous ne parviendrions à développer le mouvement syndical dans les branches des services en pleine croissance que s'ils s'unissaient au lieu de s’isoler les uns des autres. Les syndicats SIB, FTMH, FCTA étaient très opposés, et en partie en concurrence. Leurs différences avaient des fondements politiques et idéologiques. Malgré cela, ils ont décidé de se regrouper. Cela n'a été possible que parce que le grand SIB et la grande FTMH avaient tous deux une base solide qui croyait qu'ensemble, on pouvait obtenir plus.
L'objectif était de former, après les années 1990 marquées par la crise, une organisation puissante, un «syndicat pour les temps difficiles», qui devait être capable de faire grève, de lancer des référendums et de prendre des initiatives. Le fait que nous démontrions sans cesse ces capacités, notamment en collaboration avec l'Union syndicale suisse, nous pose comme un acteur influent dans le paysage économique et politique suisse.
Comment le logo a-t-il été créé? Et ce «i» est-il vraiment un 1?
Même après toutes ces années, je trouve notre nom et notre logo super. Mais cela a fait l'objet d'une énorme discussion à l'époque. Le nom de notre syndicat provient de la «petite Unia», qui était un premier projet de construction commun du SIB et de la FTMH et qui a commencé à organiser les syndicats dans les branches des services. Le fait que ce nom ait été repris pour le grand Unia symbolise l'espoir que nous voulons et pouvons être actifs et performants dans ces branches. Le nom reflétait bien le sens et l'esprit de cette fusion. Le «1» dans le logo comme «i» est un jeu autour de l'idée de «l'unité», «Unia l'unique».
En 2012, vous êtes devenue coprésidente et, en 2015, vous avez été la première femme à devenir présidente. En matière d'égalité, les syndicats n'ont longtemps pas été très progressistes. Est-ce que cela a eu et a encore des répercussions sur votre travail?
Grâce au développement syndical dans les branches des services, Unia s'est féminisé. Le fait que j'ai pu devenir présidente est aussi l'expression de ce changement. Unia était mûr pour avoir une femme à sa tête. Je dirais même que l'organisation en était fière. Pas seulement les femmes, mais aussi les hommes.
En externe, j'étais déjà confrontée à des modèles de comportement masculins dans les situations de négociation avec les employeurs et j'étais plutôt sous-estimée. Il s'agissait de ne pas se laisser piéger. Les employeurs ont dû rapidement remarquer que, même si j'étais aimable, j’étais déterminée et ne me battais pas moins durement pour les intérêts des travailleurs et des travailleuses.
Unia est aujourd'hui le plus grand syndicat interprofessionnel du pays. A-t-il l'intention de s'agrandir encore et de se lancer dans de nouveaux domaines professionnels?
Bien sûr, nous voulons nous agrandir en tant qu'Unia. Nous ne voulons pas seulement gérer les acquis. Nous voulons que tous les travailleurs d'une branche adhèrent au syndicat. Plus nous serons nombreux, plus nous serons forts et plus nous pourrons faire valoir les intérêts des travailleurs. Mais il ne s'agit en aucun cas d'une question de nombre de membres. Il s'agit plutôt de construire un rapport de force. Nous devons aussi agir de manière ciblée et focalisée. Nous devons notamment progresser dans le secteur des services. En particulier dans les soins, un domaine en pleine croissance et de plus en plus important sur le plan sociopolitique.
Quelles sont les relations avec les organisations chrétiennes comme Syna? Il y a toujours eu des conflits dans ce domaine par le passé.
Nous travaillons actuellement en excellente collaboration et c'est très bien ainsi. Nous savons que nous avons tout à perdre si nous ne parvenons pas à formuler des positions communes. Cela vaut pour les négociations de CCT et les campagnes, mais aussi pour les questions politiques. Il est par exemple décisif que nous défendions ensemble et de manière unie la protection des salaires dans les débats actuels sur les Bilatérales III.
A quelques exceptions près, les syndicats perdent partout des membres, alors que les conditions de travail deviennent de plus en plus difficiles. Comment expliquer ce phénomène? Et comment cette tendance peut-elle être inversée?
Nous vivons dans une société marquée par l'individualisation et la numérisation. Mais pour s'engager dans un syndicat, il faut être convaincu que les travailleurs ne peuvent obtenir des améliorations qu'ensemble. Or, cette conviction est loin d'être acquise. Et je ne sais pas si cette tendance sociale peut être inversée. Ici et là, des contre-mouvements voient le jour. Pour nous, il est essentiel de rendre la solidarité collective toujours plus tangible, même à petite échelle. C'est décisif. C'est notre force.
Quels sont les autres défis?
Ce sont les grandes questions sociales qui préoccupent les gens: en Suisse, les salaires ont baissé ces dernières années en termes réels, c'est-à-dire par rapport à l'inflation. En revanche, les hauts salaires et les revenus du capital continuent d'augmenter. Ce n'est pas seulement mauvais pour les travailleurs, mais aussi pour l'économie. Et c'est mauvais pour la cohésion sociale. L'inégalité sociale met la démocratie en danger. On le voit aussi quand on regarde au-delà des frontières. Il est dangereux que les élites de l'argent – des gens comme les Blocher ou les Musk – puissent acheter leur pouvoir politique et, comme dans le cas de Musk, se mobiliser dans le monde entier pour un renversement vers l’extrême droite. C'est là que nous devons prendre des mesures décisives.
Revenons à la Suisse. Y a-t-il des différences entre la Suisse alémanique et la Suisse latine?
Il y a bien sûr des différences sociales et économiques dans le pays. Mais en principe, la même question de l'équilibre social, de la justice sociale se pose partout. Il existe des différences réelles, notamment dans les cantons frontaliers. En Suisse latine, il y a une tradition syndicale plus forte et une capacité de mobilisation plus forte, ce qui est aussi très important pour les campagnes nationales. Nous en sommes fiers.
Où se situera Unia dans vingt ans?
C'est un syndicat en pleine croissance, puissant et combatif pour tous les travailleurs de l'économie privée. Nous avons progressé sur le plan syndical dans le secteur des services en plein essor et avons fait valoir les intérêts des travailleurs.
Et en regardant un peu moins loin dans l'avenir: qu'est-ce qui nous attend en 2025?
Nous devons défendre les conventions collectives de travail contre les violentes attaques des employeurs. Cette année, en particulier la Convention nationale du secteur principal de la construction. Ici, nous sommes confrontés à un durcissement idéologique de la part de la direction de la Société suisse des entrepreneurs. Mais nous nous mobilisons aussi dans d'autres branches pour obtenir des progrès en matière de conditions de travail et de salaires, comme dans le cas de la plus grande CCT de branche, la Convention collective nationale de travail de l'hôtellerie-restauration.
Au niveau politique, nous devons mettre à terre l'initiative démagogique de l'UDC sur la «Suisse à 10 millions», qui veut abolir la libre-circulation des personnes et la protection des salaires. Il n'en est pas question, cela s'oppose frontalement aux travailleurs de ce pays! La protection des salaires ne doit en aucun cas être sacrifiée dans le cadre des accords bilatéraux avec l'UE. Nous nous battons pour que le principe «à travail égal, salaire égal au même endroit» soit effectivement appliqué.
Nous devons également surmonter le blocage autour d'une meilleure protection contre le licenciement. Soit nous y parvenons maintenant dans le cadre du débat sur les nouveaux accords bilatéraux, soit avec l'initiative déjà adoptée.
Nous nous préparons également à des combats défensifs importants. En raison de nos victoires sur l'AVSx13 et la réforme de la LPP, le vent contraire est beaucoup plus fort et les attaques sont massives. Nous en faisons également l'expérience dans le cadre du débat sur l'UE, dans lequel les représentants idéologiques des employeurs veulent nous museler au maximum. Ou encore dans les interventions parlementaires qui visent à vider la Loi sur le travail de sa substance ou à réduire les salaires minimums légaux.
Le fait que nous défendions systématiquement les intérêts des travailleurs et des travailleuses est manifestement une épine dans le pied de certains. Cela montre que nous sommes sur la bonne voie.
Version originale dans le journal «Work» d'Unia. Propos recueillis par Anne-Sophie Zbinden.
Depuis deux décennies, Unia s'engage pour de meilleures conditions de travail. La présidente Vania Alleva parle des succès, des défis et de l'avenir du syndicat. Tournage et montage : Work / Julia Neukomm Questions : L'Evénement syndical