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Uber: la révolte gronde!

Des chauffeurs Uber en grève aux Etats-Unis.
© Keystone/EPA/CJ Gunther

Aux Etats-Unis comme dans de nombreux autres pays, les chauffeurs d’Uber ont fait grève contre la précarisation dont ils font l’objet, le jour de l’entrée en Bourse de la plateforme numérique.

Une grève numérique a marqué l’entrée en Bourse de la société technologique, tandis qu’en Suisse un tribunal la condamnait pour licenciement abusif

Vendredi dernier, Uber a fait ses premiers pas à la Bourse de New York. La multinationale du transport espérait être appréciée entre 80 et 90 milliards de dollars et lever dans la foulée 9 milliards, soit la plus grande introduction boursière de l’année. Des sommes qui ne pouvaient qu’interpeller les quelque 3 millions de chauffeurs revendiqués par Uber dans le monde.

Dans une dizaine de grandes villes étasuniennes, dont San Francisco, siège d’Uber et de Lyft, son principal concurrent aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, au Canada, en Australie et jusqu’au Brésil, des centaines, voire des milliers ou plus, de conducteurs ont participé le mercredi 8 mai à une grève de nature inédite, rapportent les agences de presse. Réclamant une rémunération juste, le mouvement a débuté en Angleterre, les conducteurs étaient appelés à se déconnecter de l’application entre 7h et 16h avant d’être rejoints par leurs collègues d’Amérique. Cette grève numérique aurait été bien suivie d’après les syndicats britanniques. Des salariés ont manifesté à Londres, soutenus sur les réseaux sociaux au travers du hastag #UberShutDown. Aux Etats-Unis, la protestation visait aussi Lyft, qui a déjà procédé à son introduction en Bourse le 29 mars.

Conducteurs à la casse

Selon l’Economic Policy Institute, une fois qu’ils ont déduit les commissions versées à l'application, les dépenses d'entretien du véhicule et de sécurité sociale, ces chauffeurs étasuniens ne gagnent que 9,21 dollars par heure en moyenne, soit moins que le salaire minimum à San Francisco ou à New York. En Suisse romande, où Uber est actif dans la région lémanique, ça ne vole pas plus haut. Unia défend des travailleurs qui ne touchaient pas plus de 2500 francs par mois pour des semaines de 45 heures et plus de travail.

Rares sont donc les conducteurs Uber à gagner correctement leur vie. Ce qui ne fait pas pour autant d’Uber ou de Lyft des sociétés rentables, car elles cassent le prix des courses, en mettant au passage sur la paille des dizaines de milliers de taxis à travers la planète. Ces entreprises technologiques font miroiter aux investisseurs une rentabilité dans cinq ou dix ans grâce aux voitures autonomes qu’elles testent actuellement. Elles espèrent ainsi devenir des acteurs majeurs de l’économie mondiale, aux côtés des Google, Amazon ou Apple, tandis que les chauffeurs seront envoyés à la casse. Les conducteurs ne sont pas les seuls à se faire avoir, toute la collectivité finit par passer à la caisse. En Suisse, Uber ne paie ni cotisations sociales, ni impôt, ni TVA, rien. En toute impunité.

«Les milliards d’Uber s’appuient sur le travail au noir. C’est une arnaque, lâche Roman Künzler, responsable de la branche transport d’Unia. C’est aux chauffeurs de prouver qu’ils sont bien des employés d’Uber et ils ont de grandes difficultés à le faire. Le récent jugement des prud’hommes de Lausanne est donc important.»

Un jugement lausannois clair et net

Ce tribunal vient de condamner une filiale d’Uber pour licenciement abusif d’un chauffeur, a révélé Le Matin dimanche. En 2015 et 2016, ce conducteur a réalisé près de 10000 courses en travaillant environ 50,2 heures par semaine pour Rasier Operations B.V., une filiale de la transnationale. Fin 2016, son compte a été désactivé, sa note d’évaluation formulée par les clients étant tombée à 4,3 (sur 5). On se croirait dans la série Black Mirror. La cour a estimé, d’une part, que le lien entre le chauffeur et Uber était de l’ordre d’un contrat de travail sur appel et qu’il était bien salarié du géant étasunien. Et que, d’autre part, cette désactivation du compte devait être considérée comme un licenciement, et un licenciement injustifié dans la mesure où le travailleur n’a pas été informé des reproches des clients à son égard. Uber a été condamné à verser à son ex-employé deux mois de salaire du congé légal, ainsi qu'un préjudice moral et les vacances auxquelles il aurait eu droit, soit près de 18000 francs. «Le jugement est clair. Il reconnaît l'existence d'un contrat de travail. Cela implique que les chauffeurs concernés doivent bénéficier d'une protection en matière de droit du travail et d'assurances sociales», a déclaré l’avocat du conducteur à Keystone-ATS.

La caisse d’assurance accidents Suva, le Secrétariat d’Etat à l’économie et d’autres expertises juridiques avaient déjà conclu que les chauffeurs exercent une activité dépendante et doivent être considérés comme des employés, mais ce jugement a fait sensation, même si un recours est encore possible. La nouvelle a même été reprise à l’étranger par plusieurs médias.

Appel à tous les chauffeurs

«Les prud’hommes de Lausanne confirment notre analyse et le travail que nous menons depuis près de quatre ans. Nous n’étions pas à côté de la plaque!» se félicite, de son côté, Umberto Bandiera, responsable romand de la branche transport d’Unia. «A Genève, nous avons introduit une vingtaine de dossiers en justice et nous espérons bien que les conclusions seront identiques qu’à Lausanne, les situations étant très similaires. Nous lançons d’ailleurs un appel à tous les chauffeurs à contacter notre syndicat afin d’assurer le respect de leurs droits.»

Sur le plan politique, Unia rappelle que les autorités fédérales et cantonales sont tenues de faire respecter la Loi sur le travail, et de combattre le travail au noir et l’indépendance fictive. «Nous attendons maintenant que les cantons et la Confédération prennent leur responsabilité en sommant Uber de se conformer à la législation sous peine de mettre fin à ses activités», indique Roman Künzler.

Cela vaut aussi pour le service de livraison de repas Uber Eats, où il convient, pour le syndicat, d’appliquer la Convention collective nationale de travail (CCNT) de l’hôtellerie-restauration. Pour le Département de l’emploi genevois, il n’y a pas, dans le cas de la livraison de repas, de quoi trop tergiverser. Au bout du lac, Uber Eats pourrait bien être forcé assez rapidement de se mettre en conformité. Si la CCNT n’est pas appliquée, Genève dispose d’un contrat-type de travail pour le transport avec des salaires minimaux. Par contre, en ce qui concerne l’activité traditionnelle d’Uber, le conseiller d’Etat Mauro Poggia, qui avait promis cet hiver de «siffler la fin de la récré», dit maintenant devoir attendre des décisions de justice. Avec l’arrêt des prud’hommes de Lausanne, il est déjà un peu servi.

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