Alors qu’une pétition exige la reconnaissance du statut d’indépendant des chauffeurs, Uber Eats se voit accorder le droit de poursuivre ses activités, «en toute illégalité», selon Unia. L’Etat reste intransigeant
Le bras de fer se poursuit entre le géant américain Uber et l’Etat genevois. Le 31 juillet, une dizaine de chauffeurs déposaient une pétition accompagnée de 510 signatures pour revendiquer leur volonté d’indépendance et le droit de continuer à travailler comme ils l’entendent. Pour bref rappel, Mauro Poggia, conseiller d’Etat en charge de l’Emploi, avait il y a quelques mois sifflé «la fin de la récréation» et demandé à Uber de se conformer au droit du travail suisse, sous peine d’être interdit d’exercer dans le canton. De son côté, le diffuseur de courses maintient qu’il ne joue qu’un rôle d’intermédiaire entre les chauffeurs et les usagers, ce qui l’exempterait d’assurer la couverture sociale des chauffeurs et leur protection. La pétition sera prochainement soumise au Grand Conseil et les députés décideront, de concert, s’ils y donnent suite ou pas.
«Le seul bénéficiaire de cette pétition, c’est Uber, pas les chauffeurs, réagit Umberto Bandiera, responsable romand du Transport chez Unia. Nous comprenons les craintes formulées par ces derniers par rapport à leur avenir, mais ce n’est pas à l’Etat de faire une exception pour Uber, mais plutôt à ce dernier de se conformer au cadre légal.» Pour le syndicaliste, cette pétition, peu suivie, est un aveu: «Si les chauffeurs Uber étaient de vrais indépendants, ils n’auraient pas autant de souci à se faire. Cela prouve que leurs revenus dépendent intégralement de cette plateforme et que sa potentielle fermeture serait dramatique pour eux.»
Se conformer ou partir
Mauro Poggia n’a pas tardé à répondre dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux. Il y rappelle que le respect des règles sont dans l’intérêt même des chauffeurs et que le but est qu’ils puissent, évidemment, poursuivre leur activité mais dans des conditions conformes au cadre légal, notamment en termes de couverture sociale et de conditions de travail. «Nous sommes ouverts à l’innovation», insiste l’élu, pour autant qu’elle respecte les minima légaux qui protègent «ceux qui travaillent chez nous», mais aussi les entreprises, «contre la concurrence déloyale».
Alors qu’Uber avait jusqu’à fin juillet pour apporter les preuves qu’il n’était pas un employeur, plusieurs décisions sont venues conforter le Gouvernement genevois. Celle de la Suva, qui a reconnu – à l’image du Seco un an plus tôt – la relation employeur-salarié entre Uber et ses chauffeurs et donc l’obligation de payer des salaires, des assurances sociales ou encore des congés. Mais aussi celle du Tribunal des prud’hommes de Lausanne, qui a condamné en mai dernier Uber à indemniser un chauffeur après avoir reconnu un licenciement injustifié.
«Ces deux décisions nous donnent raison sur le fond, commente Umberto Bandiera. A présent, nous attendons qu’Uber et les autres plateformes numériques de ce style respectent la législation en vigueur, ou qu’elles indemnisent correctement les collaborateurs avant de s’en aller.» Pour Unia, le fait que Genève prenne le taureau par les cornes est un signe positif: «Après toutes ces paroles, l’heure est à l’action et cela explique qu’on entre dans une phase tendue. C’est maintenant aux autres cantons de se saisir du dossier!»
Travail au noir cautionné
Autre volet de l’affaire, l’entreprise de livraison de repas à domicile Uber Eats. Considérée comme une société de location de services par le Conseil d’Etat, elle a été sommée en juin dernier de se conformer au contrat-type de travail cantonal, mais aussi de passer par les cases inscription au Registre du commerce et demande d’autorisation d’exercer. Un pas fondamental salué par le syndicat. Sans surprise, Uber Eats a déposé un recours auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice, qui, plus étonnant cette fois, lui a aussi accordé l’effet suspensif demandé. Autrement dit, elle lui permet de continuer à exercer jusqu’à ce que la décision du tribunal soit rendue. «C’est une incompréhension totale, s’indigne Umberto Bandiera. En laissant Uber Eats sévir en toute illégalité, la Cour administrative cautionne ce qui n’est ni plus ni moins que du travail au noir.» Pour Unia, cette décision soulève des questionnements. «Quel intérêt est davantage prioritaire que celui de protéger ces 450 livreurs?» Si les contenus exacts de la procédure sont inconnus et que tout reste ouvert, le syndicaliste espère que la décision sera rendue au mois de septembre. D’ici là, le dossier sera suivi de près.