Les syndicats ne participeront pas aux négociations relatives à l’adaptation des mesures d’accompagnement sur la libre circulation avec l’UE. Explications de Vania Alleva, présidente d’Unia
Dialogue rompu entre les syndicats et le Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR) du ministre Johann Schneider-Ammann sur la question des mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes. Et pour cause. Le Conseil fédéral avait affirmé que ces dispositions représentaient une «ligne rouge» qui ne serait pas franchie. Dans ce contexte, les organisations de travailleurs estiment qu’il n’y a rien à négocier. Lors d’une conférence de presse tenue le 8 août à Berne, elles ont annoncé qu’elles boycotteront les pourparlers en cours, dénonçant des velléités de démantèlement de ce dispositif. Rappelons que ces discussions sont menées en vue de la conclusion d’un accord-cadre institutionnel avec l’Union européenne (UE). Dès leur ouverture, l’Union syndicale suisse (USS) avait clairement annoncé la couleur: elle ne transigerait pas sur la protection des droits des travailleurs. Protection qui serait aujourd’hui en danger. Présidente d’Unia, Vania Alleva précise la position des syndicats, tout en soulignant la gravité de la situation.
Pour quels motifs les syndicats refusent de participer aux négociations sur les mesures d’accompagnement?
Car ce qui est mis sur la table n’est ni plus ni moins une trahison des salariés. La protection des salaires n’est plus garantie. Inadmissible. Nous avions écrit en juillet dernier au Conseil fédéral lui expliquant pour quelles raisons nous estimions que les mesures d’accompagnement étaient non négociables. De son côté, il avait, lors d’une séance avant l’été, confirmé sa volonté de maintenir cette «ligne rouge». Mais, depuis, nous avons reçu un document de travail du DEFR remettant en question l’ensemble du dispositif de défense des salariés.
Plus concrètement, de quels instruments s’agit-il?
Il y a la règle des huit jours. Cette dernière impose aux entreprises détachant des travailleurs de les annoncer huit jours avant le début de l’activité. Un délai nécessaire pour pouvoir organiser les contrôles. Ce laps de temps, pourtant impératif, est aujourd’hui remis en question, mais pas seulement. Les discussions portent aussi sur le maintien du nombre des contrôles, le système des cautions, les sanctions – prévoyant des amendes à l’interdiction d’exercer dans nos frontières pour les plus sévères – et le fonctionnement des commissions paritaires. Deux ministres du PLR, Ignazio Cassis et Johann Schneider-Ammann veulent franchir ces «lignes rouges», ainsi que, évidemment, une partie du patronat.
Pour les syndicats, le filet de sécurité doit être maintenu en l’état?
Effectivement. Il faut même le renforcer ainsi que les droits de tous les travailleurs. Dans les années 2000, la Suisse enregistrait quelque 90 000 travailleurs détachés. Aujourd’hui, ce chiffre s’élève à 240 000. La Suisse compte le plus grand nombre de travailleurs détachés par rapport à sa population et ses salaires sont les plus élevés d’Europe. Environ un tiers des sociétés font l’objet de contrôles. Qui débouchent, dans plus de 20% des cas, sur la découverte d’infractions, prouvant l’importance et la nécessité du dispositif. Et Bruxelles voudrait réduire les contrôles à 3%, dix fois moins...! La sous-enchère des salaires usuels dans les entreprises suisses sans Conventions collectives de travail déclarées de force obligatoire et qui ont fait l’objet d’inspection a aussi progressé de 12% en 2016 et en 2017. Pour les syndicats, il est donc clair que la Suisse doit continuer à combattre les discriminations existantes et consolider le dispositif de protection. C’est pour ça que nous refusons catégoriquement d’entrer en matière sur l’attaque des mesures en vigueur.
Le DEFR souscrirait aux exigences de l’UE...
Ce n’est pas la première fois que l’UE s’insurge contre la règle des huit jours qui, au demeurant, prévoit d’ores et déjà des exceptions. Mais elle entend cette fois-ci aller encore plus loin, affichant une position clairement néo-libérale et privilégiant l’accès au marché des entreprises au détriment de la protection des travailleurs. Bruxelles est libre de ses demandes mais les mesures d’accompagnement relèvent du ressort de la Suisse. Nous n’avons pas à rendre des comptes sur ce point-là. Ces dispositions ne sont pas discriminatoires et protègent les salaires de tous les travailleurs, indépendamment de leur origine. Nous nous mobilisons contre les risques de sous-enchère salariale. Et pour la défense des conditions de travail, non des frontières.
Même s’il fallait alors sacrifier la conclusion de l’accord institutionnel?
Ce dernier est en discussion depuis des années et porte sur d’autres points que ces mesures. Nous sommes favorables à un accord avec l’UE, mais non au détriment de la protection des droits des salariés.
Jusqu’où iront les syndicats pour défendre les mesures d’accompagnement?
Jusqu’au référendum si nécessaire. La situation est grave. Nous n’avons jamais assisté à une telle attaque des droits des salariés au cours de ces vingt dernières années. Nous espérons désormais une réaction politique. Après le refus de la population suisse d’entrer dans l’Espace économique européen en 1992, le Conseil fédéral avait su tirer les leçons des urnes. Pour faire accepter les accords bilatéraux en 2000, il avait compris que seul un renforcement des droits des salariés permettrait de contrer la peur qu’inspire la libre circulation des personnes. La préservation de cette voie passe par le maintien des mesures d’accompagnement et leur renforcement. On ne saurait non plus oublier le résultat de la votation du 9 février 2014 où le peuple a approuvé l’initiative dite «d’immigration de masse»... Mais il semblerait qu’une partie des dirigeants de ce pays n’aient pas pris la mesure des enjeux actuels. Notre position claire et ferme sur ce dossier est décisive pour la sauvegarde des accords bilatéraux et de la libre circulation qui n’auront pas de futur dans nos frontières sans la protection et le respect des droits des travailleurs.