Lucia Tinghi s’engage dans le Collectif Femmes* Valais. Une évidence pour cette jeune trentenaire qui a été confrontée à des discriminations sexistes dans son milieu professionnel
Pour Lucia Tinghi, architecte, il est temps de remettre le féminisme au goût du jour. De sortir de préjugés associant ce mouvement militant uniquement à des femmes hystériques. «Tout ce qui est demandé, c’est une égalité des droits», relève cette Sédunoise d’origine italienne, 32 ans, qui s’engage dans le Collectif Femmes* Valais. Un groupe actif depuis bientôt un an dans la préparation de la grève féministe du 14 juin – mais qui n’exclut pas les hommes invités à soutenir d’une manière ou d’une autre la cause – qu’elle a découvert via une amie. «Je souhaitais m’impliquer dans une structure solidaire s’intéressant à la problématique. Tous les jours des personnes se retrouvent concernées par des discriminations en tous genres.» Lucia Tinghi sait de quoi elle parle. Dans le cadre d’un de ses anciens postes dans un bureau d’architecture à Lausanne, la jeune trentenaire a appris incidemment que son chef n’entendait pas lui confier, ni à ses homologues féminines, davantage de responsabilités. La raison: le risque que ses collaboratrices tombent enceintes. «J’ai alors perdu tout intérêt et ambition pour ce job», affirme la militante non sans fulminer à l’évocation de souvenirs de faits sexistes dans ce domaine plutôt masculin.
Bise imposée, non merci
«Dans ce secteur, en tant que femme, on est souvent considérée comme moins crédible. On est parfois utilisée comme “argument de charme” dans des séances avec des clients potentiels. Des mandataires entrent dans des rapports de séduction, vous invitent à souper sans que le chef réagisse...» souligne Lucia Tinghi tout en dénonçant encore le rituel de la bise qu’on n’impose pas aux hommes. «Pourquoi serions-nous obligées, nous, à cette proximité?» questionne la militante, de la révolte dans la voix. Et d’expliquer que le Collectif récolte actuellement des témoignages de faits sexistes en ligne. Une activité qui fait partie de son engagement. «Aujourd’hui, nous publions chaque jour un témoignage de sexisme en Valais et en Suisse romande, sur les réseaux sociaux. Et ils seront exposés le 14 juin.» Parallèlement, l’activiste se rend aussi disponible pour les réunions régulières informelles organisées dans des cafés du canton, «des stamms féministes». Une opération de sensibilisation aux inégalités. «Ces questions concernent tout le monde. Il s’agit d’un problème de fond. Les hommes ne sont pas seuls responsables de situations discriminatoires. Il faut repenser la structure sociale dans son ensemble.» Lucia Tinghi estime impératif d’ouvrir le dialogue avec tous. De redéfinir «des relations qui soient respectueuses». Non sans relever que, si la parole commence enfin à se libérer, elle ne représente «que la pointe visible de l’iceberg». Du pain sur la planche en perspective. Mais pas de quoi décourager la jeune femme, conquise par la solidarité et les débats d’idées rythmant les rencontres avec les membres du Collectif réunissant des personnes de tous les âges.
Bon pour la tête
Optimiste, sociable, spontanée, Lucia Tinghi apprécie en effet particulièrement l’échange et le partage. Le Collectif lui offre aussi cet espace «apaisant» où elle se ressource, où il est possible de discuter de «choses discriminantes dans la vie d’une femme». Alors qu’elle trouve encore dans la pratique du vélo et de la marche des bons moyens de canaliser son énergie. Constamment en mouvement – même durant l’entretien, elle aura une propension à beaucoup bouger – la jeune femme se distingue en effet par sa grande vivacité. Pour dompter sa vitalité débordante, Lucia Tinghi jardine aussi volontiers. Elle rêverait d’ailleurs de disposer d’un terrain plus grand que son petit lopin actuel. «J’aime bien m’occuper du potager. C’est bon pour la tête. Une activité simple, calme, source d’équilibre. On vit à 200 à l’heure. Là, on peut prendre conscience du temps qui passe. La terre, c’est mon yin qui me refroidit», assure la bouillonnante Valaisanne qui explique également son intérêt pour ce loisir par son amour de la cuisine. Des plats italiens, qui font écho à ses racines, mais aussi chinois. «Je suis passionnée par cette cuisine où, comme dans les autres disciplines chinoises – arts martiaux, calligraphie, médecine, etc. – la recherche d’équilibre prime. En l’occurrence, ici, le goût. Ma spécialité? Les “jiaozi”, des raviolis bouillis.»
Perpétuer la lutte
Fan de la rockeuse Patti Smith, impulsive, s’engageant toujours à fond dans les projets qui la motivent, Lucia Tinghi exprime sa crainte face aux montées des nationalismes et aux violences racistes et de genres. Elle dénonce au passage une tendance à oublier l’Histoire... «Des personnes se sont battues pour des droits devenus aujourd’hui des acquis. A nous de perpétuer le combat.» La Valaisanne n’en est pas moins heureuse de sa vie, elle qui associe le bonheur à la présence de personnes aimées autour de soi. Mais aussi à une capacité à «accepter ses limites». Questionnée sur le mot de la fin, Lucia Tinghi invite tout un chacun à se mobiliser le 14 juin, femmes et hommes. «Nous sommes tous féministes, puisque tous humains. Nous voulons tous être traités de manière égalitaire», martèle-t-elle. Boucle bouclée pour la militante, qui espère bien que la démarche inaugurée se poursuive au-delà du 14 juin, jusqu’à une véritable évolution des mœurs. Et avec des mesures concrètes à la clef sur tous les fronts de l’équité entre les genres. «Point culminant d’une longue préparation, la Grève des femmes* nécessitera un suivi. Il ne s’agit là que d’une première porte ouverte. Je mise sur la dimension exponentielle du mouvement.» Lucia Tinghi, à n’en pas douter, poursuivra la lutte...
*Incluant toute personne qui n’est pas un homme cisgenre (soit un homme qui se reconnaît dans le genre qui lui a été assigné à la naissance).