En quête d’universalité
La fin de la Seconde Guerre mondiale marque le début d’une nouvelle ère pour l’Organisation internationale du travail. Elle intègre en 1946 la galaxie nouvellement créée des Nations Unies, devenant sa première agence spécialisée. La période qui s’ouvre sera celle d’un développement massif et d’un chemin difficile vers l’universalité.
Directeur général du BIT de 1948 à 1970, l’Américain David Morse accompagne ce changement d’échelle. Sous son règne, le nombre de membres de l’OIT passe de 52 à 121 et celui d’employés quintuple pour atteindre plusieurs milliers. Dans le même temps, le budget annuel de l’organisation passe de 4 à 60 milliards de dollars.
Toutefois, l’intégration d’Etats membres extra-occidentaux ne va pas de soi, tant les normes édictées par l’OIT demeurent inspirées par les législations européennes. La décolonisation, qui amène beaucoup de nouveaux membres, ravive ces difficultés. L’organisation peine ainsi à concrétiser sa vocation universelle.
En marge de son extension territoriale, l’organisation élargit son activité aux politiques de développement dans les pays du Sud. L’ambitieux Programme mondial de l’emploi, lancé en 1969, s’inscrit dans cette logique. Alors que l’institution fête ses 50 ans cette même année, elle est couronnée par le prix Nobel de la paix.
Un nouveau paradigme s’esquisse au cours de la décennie suivante, avec les prémices de la mondialisation. Dès la seconde moitié des années 1970, «l’OIT a ainsi été confrontée à la concurrence des agences qui promeuvent les solutions visant à limiter, voire à supprimer, les régulations économiques et sociales, comme la Banque mondiale et l’OCDE», note l’historienne Sandrine Kott[1]. Cette menace ne fera que se renforcer après la guerre froide.
Le défi de la mondialisation
Les entreprises multinationales, à la mainmise grandissante, échappent en bonne partie aux conventions internationales. Le changement est aussi idéologique. «L’essor du néolibéralisme et la chute du communisme fragilisent la légitimité même de l’OIT, écrit le chercheur Cédric Leterme[2]. Pour les néolibéraux, celle-ci incarne en effet le type même d’interventionnisme qu’il leur faut combattre pour atteindre l’idéal d’un marché autorégulateur.»
Face au défi de la mondialisation, l’institution tente de se réformer en consolidant son arsenal normatif. Sa première réaction prend la forme d’une Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail (1998), soit un socle minimal à respecter par tous les membres (lire ci-contre). La seconde réponse vient avec l’Agenda du «travail décent», lancé en 1999, qui vise à recadrer la mission historique de l’OIT. Le concept ne fait pas l’unanimité, mais le «travail décent» intègre finalement les 17 objectifs de développement durable de l’ONU.
Malgré ce succès relatif, l’Organisation internationale du travail reste à la croisée des chemins. Pour Cédric Leterme, elle «est loin d’avoir dépassé les interrogations qui pèsent sur son avenir depuis (au moins) la fin de la guerre froide. Au contraire même, puisque entre-temps la crise économique et financière déclenchée en 2008 est venue aggraver bon nombre des problèmes auxquels elle fait face depuis lors.»
A l’heure de célébrer son centenaire, l’OIT poursuit son travail, sans sourciller. En janvier, elle publiait un imposant rapport sur «l’avenir du travail». Son objectif ambitieux résonne parfaitement avec la mission originelle de l’institution, définie un siècle plus tôt: «Parvenir à la justice sociale au XXIe siècle.» Si du chemin a été parcouru, la route est encore longue.
[1] Sandrine Kott (2018) (dir.), «La justice sociale dans un monde global. L'Organisation internationale du travail (1919-2019)», Revue Le Mouvement Social.
[2] Cédric Leterme (2016), «L’Organisation internationale du travail (OIT)», Courrier hebdomadaire du CRISP.