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Vers un nouveau contrat social

Salle à l'ONU.
© Thierry Porchet

L’avenir du travail dans un monde en mutation sera au cœur des débats des délégués à la Conférence internationale du travail qui s’ouvre le 10 juin à Genève. Une Conférence qui célébrera aussi les 100 ans de l’institution.

Robotisation, «ubérisation», démographie, transition écologique… Le monde du travail est en pleine mutation et fait face à des enjeux immenses. A l’occasion de son centenaire, l’Organisation internationale du travail (OIT) se penche sur ces questions lors d’une session cruciale

«Travailler pour bâtir un avenir meilleur». Sous ce titre un brin pompeux se cache l’important rapport de la Commission mondiale sur l’avenir du travail. Dévoilé en début d’année pour lancer les célébrations du centenaire de l’Organisation internationale du travail (OIT), le document sera au cœur de la prochaine session plénière de l’institution – la 108e session de la Conférence internationale du travail –, du 10 au 21 juin à Genève. Plus de 5700 délégués sont attendus.

Son but? Esquisser des propositions pour que les gouvernements, les employeurs et les travailleurs – tous représentés au sein de l’OIT – parviennent à relever les défis colossaux d’un monde du travail en pleine mutation. «Les transitions que cela suppose demandent une action décisive», écrivent les coprésidents de la commission, le président sud-africain Cyril Ramaphosa et le Premier ministre suédois Stefan Löfven, tous deux d’anciens syndicalistes.

Une mutation technologique

C’est que les bouleversements en cours sont majeurs. Le premier est d’ordre technologique. La robotisation menace de nombreux emplois dans le monde. Même si toutes ces places de travail ne vont pas simplement disparaître, elles vont évoluer. «Les progrès technologiques – intelligence artificielle, automatisation, robotique – créeront de nouveaux emplois, mais ceux qui perdront le leur au cours de cette transition seront peut-être les moins bien préparés pour saisir les nouvelles possibilités d’emploi», souligne le rapport.

Selon l’OCDE, 9% des emplois en moyenne au sein de ses pays membres présentent un «risque élevé» d’automatisation. A cela s’ajoute le phénomène de l’«ubérisation», du nom de l’entreprise de transport automobile Uber. «Les plateformes et les applications d’intermédiation du travail (…) pourraient reproduire les pratiques de travail du XIXe siècle pour des générations de “travailleurs journaliers numériques”», ajoutent les auteurs.

Transition écologique

Autre source de déséquilibre important pour le monde du travail: le dérèglement climatique. La transition écologique représente néanmoins une formidable opportunité pour l’emploi, avance la commission. Selon les estimations du BIT, «la mise en œuvre de l’accord de Paris sur les changements climatiques devrait entraîner la perte d’environ 6 millions d’emplois et la création de 24 millions d’autres dans le monde».

Quant à la démographie mondiale, elle amène également son lot de défis. Dans certaines régions du monde – essentiellement en Afrique – le rajeunissement de la population «devrait aggraver le chômage des jeunes et les pressions migratoires». Partout ailleurs, ou presque, le vieillissement accroît la pression sur les systèmes de sécurité sociale et de soins. «Dans nos efforts pour créer du travail décent, la tâche s’est compliquée», constatent ainsi les auteurs du rapport.

L’humain au centre

Pour relever ces défis, ils appellent à redynamiser le contrat social entre gouvernements, organisations d’employeurs et de travailleurs, selon un programme d’actions en trois axes.

Le premier – «investir dans le potentiel humain» – mise sur un droit universel à l’apprentissage tout au long de son existence ainsi que sur l’accompagnement lors des transitions qui jalonnent la vie professionnelle (entrée dans le monde du travail, parentalité, changement d’emploi, retraite, etc.).

La commission réclame également des mesures de transformation en matière d’égalité des genres, comme le congé parental ou le développement des services publics de soins. «Les politiques doivent favoriser le partage des activités non rémunérées au sein du foyer pour créer une réelle égalité des chances sur le lieu de travail», notent les auteurs.

Des règles universelles

Le deuxième volet de propositions s’affaire à renforcer les «institutions du travail», soit l’ensemble des réglementations, contrats, conventions collectives et systèmes d’inspection. Le rapport demande l’établissement d’une ambitieuse «garantie universelle», qui offrirait à tous les travailleurs, quel que soit leur statut, un socle de droits fondamentaux correspondant aux principales normes de l’OIT (sécurité et santé au travail, limitation des horaires, liberté syndicale, etc.).

Parmi d’autres pistes, les auteurs prônent encore une plus grande autonomie en termes d’horaire et de temps de travail, afin de concilier au mieux vie professionnelle et vie personnelle, ainsi que la création d’un système de gouvernance internationale pour les plateformes de travail numériques, à cheval entre plusieurs juridictions.

Travail décent et durable

Troisième axe: accroître l’investissement dans le travail décent et durable. Pour répondre aux bouleversements actuels, il faudra transformer nos économies dans le sens des objectifs de développement durable des Nations Unies, stipule la Commission mondiale. «Les pays doivent maintenant donner la priorité aux investissements durables et à long terme qui favorisent le développement humain et protègent la planète», écrit-elle.

Le rapport recommande des mesures incitatives pour encourager les investissements dans les secteurs clés, comme l’économie du soin, l’économie verte ou l’économie rurale. Souvent oubliée, cette dernière représente plus de deux travailleurs sur cinq dans le monde, dont beaucoup vivent dans la pauvreté. A la fois vulnérable au changement climatique et source d’émissions de gaz à effet de serre, l’économie rurale devra concilier sa modernisation avec des techniques de productions écologiques.

Enfin, les auteurs espèrent remettre l’humain et la planète au centre des modèles incitatifs, mais aussi des indicateurs des progrès économique et social. Politiques fiscales équitables, normes comptables révisées, nouvelles pratiques de soumission, autant de propositions qui vont dans ce sens. Au bout du compte, pour mesurer l’impact des changements entrepris, des indicateurs complémentaires au PIB seront indispensables, davantage tournés vers le bien-être, l’environnement ou l’égalité, concluent-ils.

La Commission mondiale appelle tous les acteurs à prendre leurs responsabilités face à ces questions «importantes» et «difficiles»: «Si nous les ignorons, c’est à nos risques et périls; et, si nous sommes capables de trouver de bonnes réponses, nous contribuerons à ouvrir de nouvelles perspectives extraordinaires pour les générations futures au travail.»

Les syndicats montent au front

Une manifestation syndicale internationale aura lieu le lundi 17 juin prochain à Genève

La Confédération syndicale internationale (CSI) fera entendre sa voix à Genève, lors de la Conférence internationale du travail, qui marque le centenaire de l’OIT. Une manifestation est prévue lundi 17 juin (12h au parc Mon-Repos, 13h sur la place des Nations), au début de la seconde semaine de la session. En marge des négociations tripartites, les syndicats appuieront ainsi, dans la rue, la position de leurs délégués.

«Un nouveau contrat social s’impose», clame la CSI, qui articule trois revendications principales: défendre la liberté syndicale, la négociation collective et le droit de grève; adopter une déclaration ambitieuse sur l’avenir du travail, qui reprend au minimum les propositions du rapport de la Commission mondiale (lire ci-dessus); approuver une Convention contraignante contre la violence et le harcèlement dans le monde du travail.

«C’est une chance unique de fixer des règles pour que l’économie mondiale œuvre au profit des citoyens et d’élaborer une déclaration de l’OIT comprenant un nouveau contrat social, étayé par une garantie universelle pour les travailleurs», souligne Sharan Burrow, secrétaire générale de la CSI, dans son dernier bulletin d’informations.

Plus incisive, la CGT appelle à «la reconquête de l’Organisation internationale du travail», dénonçant les attaques répétées des employeurs. «Depuis 2012, des représentants du patronat mondial prennent violemment pour cible l’OIT. Leur offensive remet en cause tant les finalités de l’organisation que les textes dont elle est la garante et son fonctionnement», écrit l’organisation syndicale française.

Elle réclame en particulier un renforcement de la responsabilité des Etats devant les normes internationales, avec la mise en œuvre d’un régime de sanctions, ainsi que des dispositions permettant de contraindre de la même manière les ensembles régionaux, tels que l’Union européennes, et les entreprises multinationales.

Du côté suisse, la question des libertés syndicales sera sur toutes les lèvres, alors que notre pays vient d’être placé sur liste noire par l’OIT. «La Suisse ne protège absolument pas les délégués syndicaux contre le licenciement, cela fait longtemps qu’on le dénonce», fait remarquer Alessandro Pelizzari, président de la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS) et secrétaire régional d’Unia, qui prendra brièvement la parole. La liste noire de l’OIT, qui sera débattue lors de la session, s’appuie notamment, pour la Suisse, sur le cas des grévistes licenciés de l’Hôpital de La Providence, à Neuchâtel.

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