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Cent femmes oubliées reprennent la rue

Plaque bleue "Rue du Stand" surmontant la plaque fuchsia "Rue Ruth-Bösiger"
© Neil Labrador

Les plaques fuchsia, installées depuis le mois de mars, resteront un an. Le but? Sensibiliser la population à l’invisibilisation des femmes dans l’espace public.

Des féministes de l’Escouade, aidées par des universitaires, ont rebaptisé cent noms de rues afin de rendre visible le rôle des femmes dans l’histoire genevoise. Un projet baptisé 100Elles*

Dans le canton de Genève, seulement 7% des noms de rue font référence à des femmes. Pourtant, les critères pour avoir une rue à son nom sont les suivants: être mort depuis au moins dix ans et avoir marqué l’histoire de Genève. Est-ce que cela veut dire que seuls les hommes ont contribué à l’histoire du bout du lac? Il est plutôt évident que les femmes font partie des grands oubliés de l’histoire collective.

Partant de ce constat, l’association féministe l’Escouade, avec l’aide d’un collectif d’historiens, a donné naissance au projet 100Elles* il y a deux ans. Le but? Rebaptiser cent noms de rue dans dix quartiers différents en respectant dix thèmes, comme cela a déjà pu être vu à Paris ou à Bruxelles. «Cantonnées à la sphère privée, les femmes sont quasi absentes de l’espace public, explique Justine Barton, de l’Escouade. Notre projet a pour objectif de légitimer la présence des femmes dans la rue, de leur donner une plus grande visibilité, et de sensibiliser la population et les autorités à ces enjeux-là.»

Les premières plaques fuchsia apparaissent en mars 2019. Puis, tous les quinze jours, dix nouvelles plaques ont fleuri selon des thématiques telles que militantisme, arts de la scène, politique ou encore la Genève internationale. «Nous avons mis un point d’honneur à sélectionner des femmes de toutes les origines sociales et culturelles, et de toutes les époques de l’Histoire», souligne Myriam Piguet, l’une des historiennes. Toutes ont marqué l’histoire du canton, même de façon brève. On remonte au VIe siècle avec la reine burgonde Théodelinde pour aller jusqu’en 1948, date à laquelle naît dans la Cité de Calvin la danseuse étoile Eva Evdokimova. Sans nommer les cents, on retrouve Lise Girardin, la première maire femme de Suisse, la vidéaste Carole Roussopoulos ou encore Alice Favre, présidente de la Croix-Rouge genevoise. «Nous aurions facilement pu en trouver 300», confie Myriam Piguet. Le gros du travail universitaire a ensuite été de rédiger les biographies de ces femmes oubliées. «Nous avons beaucoup discuté entre nous et avons établi des règles d’écriture, comme éviter de citer le père ou le mari, employer l’écriture inclusive, féminiser certains termes. Nous nous sommes posé la question d’évoquer leurs enfants, ou pas.»

Les plaques resteront jusqu’en juin 2020, et un recueil illustré reprenant toutes les biographies sera publié au printemps prochain.

Plus d’infos sur: 100elles.ch

«Un rêve qui se réalise»

«L’Evénement syndical» a participé à la visite guidée de la Jonction, sur le thème «travailleuses et ouvrières». Reportage

Une fin de journée d’automne dans le quartier genevois de la Jonction. Elles sont une quinzaine à avoir répondu présente à ce tour guidé féministe. Rendez-vous est donné devant le Palladium. La guide ne pourra pas venir, c’est donc Maryelle Budry, présidente de l’association féministe Kyrielle, qui tiendra la barre de cette promenade. Deux des historiennes du projet 100Elles* sont également là pour commenter la visite. Les têtes se lèvent vers une première plaque rose, celle de Ruth Bösiger, photographe, vendeuse et militante anarchiste. «Cette balade rend hommage aux femmes syndicalistes et ouvrières dont les actions, quasi invisibles, ont laissé très peu de traces», commence Maryelle Budry. Direction ensuite le quai de la Poste, rebaptisé quai des Trois-Blanchisseuses, rappelant le triste destin de ces trois femmes mortes le 1er août 1913 à la suite du naufrage d’un bateau-lavoir. «Une enquête a été ouverte mais un non-lieu a été rendu en novembre 1913», raconte Caroline Montebello, assistante doctorante à l’Université de Genève. La justice conclura que ce bateau a coulé par fatalité. «Après cela, pour remplacer les bateaux, le premier lavoir municipal a été créé aux Pâquis et réservé aux ménagères et aux ouvrières.»

Le groupe se remet en marche. La plupart des participantes se connaissent. «Ce projet, c’est un rêve féministe qui se réalise enfin!» s’enthousiasment-elles. Elles arrivent rue Louisa-Vuille, «anciennement» rue de la Coulouvrenière. Cette horlogère, née en 1901, se mobilisera contre les inégalités salariales chez Rolex, s’engagera en politique – elle est notamment l’une des fondatrices du Parti du Travail – et dans la résistance française. De retour à Genève en tant que cheffe d’atelier, elle luttera pour le suffrage féminin et sera élue au Grand Conseil. «Il a fallu choisir des immeubles dont les propriétaires étaient d’accord d’accueillir nos plaques», confie l’historienne.

En face de la Tribune de Genève, on retrouve Elise Cabossel, syndicaliste ayant notamment œuvré pour la CGT et le Bureau international du travail. «Son statut très précaire, à savoir avoir enchaîné des contrats à durée déterminée pendant seize ans, la contraindra à travailler jusqu’à 76 ans, faute de rente suffisante», commente Caroline Montebello.

Le tour se termine au cimetière des Rois, où se trouve la tombe de Grisélidis Réal, écrivaine, peintre et prostituée décédée en 2005. L’émotion est palpable, car certaines l’ont bien connue. «C’était une plume», lance l’une d’entre elles. D’autres l’ont côtoyée au sein d’Aspasie, organisation de défense et de soutien des droits des travailleurs du sexe où elle militait activement. «Elle n’était pas commode parfois!» Elle passera sa vie entre la Suisse, l’Allemagne et la prison, où elle commence à peindre et à écrire. Elle se considérait comme «gitane» et aimait se décrire comme une «courtisane révolutionnaire». Un sacré personnage qui tentera de siéger au Grand Conseil, sans succès.

La visite s’achève dans ce cimetière chargé d’histoire, où repose notamment l’écrivaine Alice Rivaz, à qui les militantes ont tenu à rendre hommage.

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