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«On ne fait pas cette grève de gaîté de cœur»

Grève Symetis dans la nuit.
© Thierry Porchet

Il faisait nuit noire aux premières heures de la grève, le mardi 10 décembre dernier. Dans le froid, la solidarité s’affirme autour d’un objectif commun.

Une soixantaine d’employés de Symetis Boston Scientific se sont mis en grève la semaine dernière contre la délocalisation de l’entreprise en Irlande et pour une réelle consultation. Récit du démarrage du mouvement

«Symetis à Ecublens! Symetis à Ecublens! Boston Scientific, il y en a que pour le fric!» Une soixantaine d’employés de Symetis – racheté en 2017 par la société américaine Boston Scientific pour 430 millions de francs – scandent leur nouveau slogan. Il est 9h du matin en ce premier jour de grève, et certains sont déjà mobilisés depuis trois heures. Cette journée du 10 décembre sera longue. Mais heureusement, le soleil brille réchauffant quelque peu les pieds et les mains gelés du personnel réuni devant la société, dans la banlieue industrielle d’Ecublens à deux pas de Thermo Fischer, autre entreprise ayant vécu une grève il y a deux ans.

Après trois semaines d’hésitation à la suite de l’annonce de la délocalisation du site d’Ecublens en Irlande et, par conséquent, de la suppression à venir des quelque 130 postes, les travailleuses et les travailleurs de Symetis débrayent. Une décision prise la veille en assemblée générale. Ceux qui hésitaient encore rejoignent les grévistes. «On n’avait plus le choix», lance navrée une employée. Avec elle, ses quelque 50 collègues de la production. Et une vingtaine d’autres personnes de la maintenance et de la logistique. «On ne fait pas cette grève de gaîté de cœur. Mais comment faire confiance à une direction qui nous ment? Et qui divise pour mieux régner?» souligne une travailleuse.

Le temps d’une pause, l’équipe d’ingénieurs du secteur Recherche et Développement rejoint les grévistes, après avoir envoyé une lettre très critique à la direction. Cette dernière ne montre pourtant toujours aucun signe de vie. «C’est un peu dur de continuer à travailler dans ces conditions. Mais j’espère encore un nouveau départ, le rétablissement de la confiance», souhaite une ingénieure. Un gréviste abonde: «Nous n’avons plus confiance. Il y a eu quelques licenciements en octobre. On nous a dit qu’il n’y en aurait plus. Et voilà! On nous pose des boîtes à idées, on nous parle d’un plan social.»

La raison de la délocalisation, selon la direction: «Centraliser nos activités de développement produits nous permettra de simplifier notre chaîne logistique, d’autant que nous disposons actuellement de plusieurs sites concentrés sur les valves cardiaques à la suite d’acquisitions dans le domaine», a écrit un porte-parole de la société à la RTS.

Pas de consultation

«Les salariés réclament l’ouverture de véritables négociations avec la délégation syndicale pour le maintien des emplois, dans le cadre d’une véritable procédure de consultation conforme à la législation et dans un délai raisonnable», indique le syndicat Unia mandaté par plus de 60 employés. Une délégation syndicale élue, mais non reconnue comme interlocutrice par la direction, qui met une grosse pression. «On m’a traité de révolutionnaire, alors que je défends juste mon droit au travail et à une vraie négociation. Les gens dubitatifs sont arrosés de promesses», explique Steven, délégué syndical.

Devant le bâtiment, Anaïs Timofte, secrétaire syndicale d’Unia, dénonce: «La direction n’a toujours fait aucun pas, malgré notre préavis de grève envoyé le vendredi 6 décembre.» Son collègue Noé Pelet, responsable du secteur de l’industrie renchérit: «On a fait le plus dur. Maintenant, il s’agit d’être solidaires. Pour ceux qui ont des doutes, des questions, n’hésitez pas à venir nous parler.» La liste de présence circule pour les indemnités de grève qui seront versées aux personnes syndiquées. Sébastien Schnyder, secrétaire syndical d’Unia, souligne, au micro, l’importance des solidarités extérieures. Un Appel est envoyé pour le maintien des emplois du site et pour le renforcement des droits syndicaux recevant de nombreux soutiens de syndicats, de commissions du personnel, de partis de gauche, tout au long de la journée. Du baume au cœur pour les grévistes qui ont des mots forts pour raconter leur 20 novembre, date de l’annonce par la direction de la délocalisation. «Quels ressentis? De la colère, du dégoût, de l’humiliation», lance Karim. Un de ses collègues renchérit: «C’est tellement violent! J’ai le sentiment d’être escroqué. Je pensais finir ma carrière ici. Je me suis fait la promesse de ne plus jamais bosser pour des Américains qui ont, excusez-moi, des méthodes de cow-boys.»

«Boston Scientific est connu pour les délocalisations. On aurait pu s’y attendre», lance un énième travailleur. Sauf que les investissements ont été conséquents sur le site d’Ecublens et que 45% des employés ont été engagés cette année. Un salarié de longue date de la medtech vaudoise souligne une incompréhension largement partagée: «Depuis 2011 (année du premier produit mis sur le marché par la start-up, créée en 2001, ndlr), on n’a pas arrêté de grandir. Boston a investi des millions. C’est la douche froide! La claque! Depuis, on entend tout et son contraire. C’est important de se mobiliser, de rétablir le différentiel de force, de ne pas être des moutons, de tenter de sauver les emplois pour oser se regarder dans la glace.»

Un milliard de bénéfices

«Le groupe espère économiser 20 millions, alors qu’il a fait 1 milliard de bénéfice (1000 millions, ndlr) pour un chiffre d’affaires de 11 milliards en 2018, indique Unia. Ces suppressions ont des conséquences désastreuses pour les conditions de vie des travailleuses et des travailleurs de Symetis. Mais, plus largement, cette politique de délocalisation à répétition entraîne une perte de savoir-faire et de places de travail, avec leurs conséquences sur les collectivités et sur les vies humaines, au profit de l’appétit d’actionnaires jamais rassasiés.»

Plusieurs des grévistes ont déjà des mobilisations syndicales à leur actif. Tesa, Sapal, Bacab, Bell, Thermo Fischer… L’un d’eux, à même pas 40 ans, a déjà vécu quatre licenciements collectifs, et trois ans de travail temporaire dans une multinationale. «Je suis dégoûté, je me dis que, jusqu’à la retraite, ça va être long. J’ai un sentiment d’injustice. On n’est pas des fainéants, on a des bonnes formations, et un savoir-faire difficilement transmissible. Je veux croire qu’on a encore les moyens de se battre pour maintenir le site. Je garde espoir. J’ai déjà été délégué dans un conflit syndical, c’était une sacrée expérience, mais ça m’avait complètement vidé. Là, j’amène mon expérience, mais je ne veux pas revivre ça en étant dans la délégation. Sans syndicat, on n’aurait rien eu. C’est important aussi de se battre pour maintenir des emplois pour la génération future.»

Beaucoup de salariés ne souhaitent pas donner leur nom, ni trop de détails. On sent que la recherche d’un autre job flotte déjà dans les têtes. Même si tous les travailleurs interrogés tiennent à leur poste et expriment une grande motivation. «J’ai travaillé dans la viande chez Bell. A la fermeture de l’usine, j’ai été replacé ailleurs, avant de trouver un poste ici. Je suis passée de l’enfer au paradis!» évoque une travailleuse de la production, dont le paradis est en train de tourner au cauchemar. Mike Nista, président d’Unia Vaud, rejoint les grévistes pour les encourager et rappeler qu’à Sapal, il a vécu la même situation: «C’est toujours possible d’inverser la tendance. Vous avez tout à gagner!»

En fin d’après-midi, la direction n’a toujours pas donné signe de vie. Malgré un audit de Symetis prévu les deux jours suivants, un moment crucial pour l’homologation d’un de ses produits. Le personnel décide de reconduire la grève, à l’unanimité.

Une semaine de grève, au moins…

La semaine dernière, la mobilisation n’a pas faibli sur le site de Symetis à Ecublens. Les repas organisés par Unia, les assemblées et les soutiens rythment les journées de grève, reconduite chaque fin d’après-midi. Dès le deuxième jour, les grévistes investissent le hall central de l’usine. Ils espèrent des solutions, un réveil de leur employeur. Pendant ce temps, ils réfléchissent, débattent, jouent aux cartes, aux échecs,... Le troisième jour, un entretien a lieu avec la direction, qui écoute les revendications des grévistes portées par deux secrétaires syndicaux et deux délégués: l’ouverture de négociations avec la délégation syndicale pour le maintien des emplois dans le cadre de la procédure de consultation dans un délai acceptable. Pour toute réponse: le silence. Ce même jour un courrier est adressé à l’ensemble des travailleurs par la direction indiquant, entre autres éléments, sa volonté de dialoguer et de trouver des solutions individuelles, tout en criminalisant la grève.

Pendant ce temps, les politiques réagissent. Une résolution est notamment déposée par le groupe socialiste au Grand Conseil demandant au Conseil d’Etat d’intervenir (elle devait être discutée hier, mardi 17 décembre). Les grévistes sont déterminés. «La direction commence à fatiguer. Nous, on ne lâchera pas», lance une employée. «On n’a jamais été aussi forts. On ne peut pas reculer. En deux jours et demi, ça a davantage bougé qu’en trois semaines», estime un délégué. Le lendemain, vendredi, une nouvelle journée de grève est marquée par une manifestation devant l’entreprise (photo) et une séance avec la direction et les porte-paroles des différents départements. «On arrive tous à la même conclusion que la période de consultation doit être prolongée jusqu’à fin janvier. Or, les trois membres de la direction du site refusent toujours», indique Oscar, délégué syndical. Un de ses collègues ajoute: «On est motivé. Plus que jamais! On reste solide. On va revenir en forme lundi!»

En ce début de semaine, au moment de la mise sous presse de L’Evénement syndical, la mobilisation continuait, malgré une lettre de menace de la part de l’employeur reçue samedi. La rencontre avec la direction, lundi matin, étant restée stérile, une procédure juridique a été lancée par Unia, notamment pour faire reconnaître son mandat, suspendre la procédure de consultation jusqu’à fin janvier et demander des informations sur le plan de délocalisation. Une demande de rencontre avec le Service de l’emploi, incluant la direction de Boston Scientific, a été aussi envoyée.

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