L’écologie sur les planches
Le juge lausannois ayant refusé la majorité des témoins proposés par les avocats, deux tables rondes ont été organisées le 7 janvier, après la première journée d’audience, au Théâtre de Vidy à Lausanne. Devant une salle comble, de nombreux experts ont pris la parole sous la médiation de Jacques Mirenowicz, des Artisans de la transition. Voici quelques mots de certains d’entre eux:
Jérémy Désir, ex-gestionnaire financier chez HSBC: «La finance verte n’est que marketing. Même pas 1% du budget est consacré au développement durable à HSBC, c’est une coquille vide. Les profits court-termistes sont un conditionnement dans la finance. Face à ce mur, l’action directe est la seule voie. J’espère qu’on verra la fin du capitalisme.»
Sonia Seneviratne, climatologue à l'ETH, Zurich, coauteure du rapport spécial du GIEC 1,5 °C: «Les risques de points de bascule comme la fonte irréversible des glaces au Groenland ou la désertification de l’Amazonie est entre nos mains. Tout dépend de nos décisions maintenant. Si on ne change rien, on va vivre une catastrophe.»
Jean-Pascal van Ypersele, climatologue, ancien vice-président du GIEC, professeur à l'Université catholique de Louvain: «Nous sommes dans une situation de crise. Il faut arriver à une émission nette nulle de carbone pour arrêter d’épaissir cette couche d’isolant que représente les gaz à effet de serre. Investir dans les forêts, réorienter l’économie, rénover le parc immobilier…»
Sylvie Ollitrault, directrice de recherche au CNRS, spécialiste de la désobéissance civile appliquée à l'écologie: «Je suis les mobilisations écologistes depuis 25 ans. Au début de mes recherches, mes collègues me demandaient: “Tu crois que l’écologie, ça va durer?ˮ La désobéissance civile n’est plus la même que du temps des paysans anti-OGM. Aujourd’hui, les jeunes sont dans l’urgence. C’est parfois difficile de savoir quelle action sera efficace ou pas. Le décrochage des portraits de Macron a par exemple débouché sur l’acquittement en septembre des prévenus.»
Jacques Dubochet: «Un sondage dit que les Suisses sont heureux. Vous voyez le bonheur des gens sur leur tête dans la rue? Non, c’est un “fakeˮ bonheur. Aujourd’hui, nous avons besoin d’inventer un nouveau narratif joyeux.»
Credit Suisse discrédité
Des militants climatiques ont lancé un site internet, DisCreditSuisse.ch. Il rappelle que pour satisfaire l’Accord de Paris et respecter le budget carbone déterminé par le GIEC, «l’Agence internationale de l’Energie estime nécessaire de laisser 2/3 des énergies fossiles dans le sol». Or, entre 2016 et 2018, la banque, selon les informations de l’ONG BankTrack spécialisée dans ces questions, a investi 57,4 milliards de dollars dans les énergies fossiles. En 2017, Credit Suisse a financé 82,6 millions de tonnes de gaz à effet de serre, doublant ainsi les émissions dont la Suisse est responsable, selon une étude de Greenpeace. Entre 2015 et 2017, la banque «a triplé ses émissions d’équivalent carbone financées du fait notamment de son soutien au charbon». Credit Suisse a aussi investi massivement dans les sociétés d’extraction, extrêmement polluante, des sables bitumineux de l’Alberta au Canada. «Des gens meurent déjà de la pollution de l’Athabasca, principale rivière de la région», dénonce le site rappellant aussi que le fond souverain du Qatar est le principal actionnaire de Credit Suisse. Alors que celle-ci dit vouloir aligner ses investissements sur les objectifs de l’Accord de Paris, elle reste l’un des établissements les plus impliqués dans le soutien et le financement aux énergies fossiles dans le monde. Quant à l’argument de Credit Suisse selon lequel il a soutenu l’émission de 28 milliards de dollars d’obligations vertes, les militants indiquent, se fondant sur une étude du Centre for International Climate and Environmental Research (CICERO), que «les green bonds sont globalement des produits financiers de greenwashing». Et si Credit Suisse a déclaré qu’il ne financerait plus de nouvelles centrales à charbon, cela ne signifie pas qu’il ne continuera pas de soutenir les anciennes.
Plus d’informations sur: discreditsuisse.ch
Les tribunaux romands, caisses de résonance des revendications écologistes
Au lendemain de cette victoire, le procureur général faisait appel contre cette décision estimant en substance que le jugement va trop loin dans l’interprétation de l’état de nécessité licite. Ce procès se poursuivra donc au Tribunal cantonal et vraisemblablement jusqu’au Tribunal fédéral. «La droite s’insurge que ce procès soit politique. Or, c’est la réaction du procureur qui l’est. Il n’était même pas présent à l’audience», dénonce Olivier de Marcellus, militant du collectif Breakfree, qui renvoie à l’appréciation de l’ancien juge fédéral Niklaus Oberholzer dans le Tages-Anzeiger estimant que ce procès est «juridiquement bien fondé». L’action similaire qui s’est déroulée dans la succursale de Credit Suisse à Genève, également le 22 novembre 2018, semble être au point mort. «Nous sommes une douzaine à avoir reçu la notification que nous étions poursuivis, et à avoir été entendus par la police. Depuis plusieurs mois, nous sommes sans nouvelles», explique Olivier de Marcellus. Le Ministère public genevois se refuse à tout commentaire. Reste que c’est à Genève que le prochain procès aura lieu le 18 février au Palais de justice, à la suite d’une autre action collective contre Credit Suisse. Le 13 octobre 2018, lors d’une manifestation, les façades de la banque avaient été recouvertes de traces de mains rouges et du rapport du GIEC (publié quelques jours auparavant). Mais seul un militant a été poursuivi (le scénario est semblable au cas de Loris à Lausanne dont le procès devrait avoir lieu bientôt). Breakfree a proposé des témoins dont Julia Steinberger, docteure en physique et coautrice du GIEC, et l’ONG BankTrack. Jean Ziegler pourrait être aussi présent. A noter encore que plus de 120 autres militants pour le climat (dont une grande majorité de membres d’Extinction Rebellion), dans le canton de Vaud, vont se retrouver eux aussi devant les juges cette année.