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L’Etat doit soutenir les «oubliés» de la gestion de la crise

Terrasse désertes. Chaises empilées.
© Neil Labrador

Hôtellerie-restauration, aéroport, chantiers, industrie: de très nombreuses entreprises ont congédié leurs employés temporaires ou payés à l’heure. Une situation dramatique pour nombre d’entre eux.

Face à l’épidémie de Covid-19, de nombreuses entreprises se sont empressées de renvoyer leurs travailleurs intérimaires. D’autres se retrouvent exclus du chômage partiel. Témoignages genevois

«Cela fait toute une vie que je travaille sur les chantiers à me ruiner la santé. Mais aujourd’hui, les patrons n’ont plus aucun respect. Depuis deux ans et demi, je ne trouve plus que des missions temporaires parce qu’on me dit que je suis trop vieux et que je coûte trop cher. Le 16 mars, Implenia a licencié tous les temporaires. Nous étions trois sur cinq ouvriers en tout. Ils ont renvoyé tout le monde à la maison. Mes collègues fixes touchent les RHT, et moi je dois aller au chômage.» Le témoignage d’Antonio*, temporaire sur un chantier à Genève, est révélateur de la situation que vivent actuellement les intérimaires en pleine crise du coronavirus. Travailleurs déjà vulnérables et précaires avant cette pandémie mondiale, ils sont aujourd’hui les premiers à être éjectés des entreprises au vu de la baisse de l’activité.

Case chômage

Dès les premiers signaux, de nombreux employeurs ont mis fin à des missions temporaires, rapporte Unia dans un communiqué de presse du 31 mars. «Que ce soit dans l’industrie ou dans l’hôtellerie, par crainte d’un ralentissement économique, ou dans le bâtiment ou la restauration, en réaction aux décisions des autorités d’arrêter temporairement ces branches ou encore à l’aéroport, où la baisse des activités s’est rapidement faite ressentir: des centaines d’intérimaires ont ainsi perdu leur travail durant les premiers jours de la pandémie.»

Samir*, qui occupait une activité temporaire à l’hôtel Mandarin Oriental dans le nettoyage, est dans ce cas: «A la suite de l’annulation du Salon de l’auto, mon employeur m’a annoncé la fin de ma mission temporaire. J’ai d’abord cru que j’avais le droit au chômage technique, comme tous les autres employés de l’hôtel. Mais mon syndicat m’a informé que ce n’était pas le cas. Maintenant, je n’ai plus qu’à m’inscrire au chômage.» Pareil dans l’horlogerie. Raphaël* raconte que, dans un premier temps, la grande manufacture genevoise pour laquelle il travaillait souhaitait maintenir les contrats de mission, mais qu’il fallait trouver une solution avec l’entreprise temporaire, qui n’a pas tergiversé: les contrats temporaires ont été résiliés avec effet immédiat (lire ci-dessous).

Intérimaires indemnisés

Le 21 mars dernier, le Conseil fédéral a modifié par voie d’ordonnance le régime de la réduction des horaires de travail (RHT) en permettant désormais l’indemnisation des intérimaires. Comme tout autre employé, plus besoin de les licencier, il suffit de les annoncer au chômage partiel. Or, cette modification comporte deux problèmes majeurs d’après le syndicat. Premièrement, elle ne s’applique pas rétroactivement aux personnes licenciées avant cette date. «Ces “oubliés” de la gestion de la crise n’ont d’autre choix que de s’inscrire au chômage, où ils se retrouveront, comme d’autres employés à statut précaire, soit avec un faible revenu de remplacement, soit – s’ils n’ont pas pu cotiser suffisamment – sans rien du tout», regrette Alessandro Pelizzari, secrétaire régional d’Unia Genève.

Ensuite, Unia constate que, même avec les nouvelles mesures, un bon nombre d’intérimaires reste sur le carreau. «En effet, pour bénéficier des RHT, la “perte de travail” du salarié doit pouvoir être estimée, explique le responsable syndical. Ce n’est pas le cas des intérimaires qui ont des grandes variations horaires de mois en mois, car le salaire moyen est considéré comme difficile à déterminer. Et le chômage partiel ne s’appliquant que pendant la durée prévue de la mission, les RHT restent donc exclues pour les personnes avec des très courtes missions.» Une double peine pour Kevin*, qui travaillait comme agent du terminal à l’aéroport à côté de ses études. Il fait partie des rares cas où l’agence temporaire a décidé d’annuler le licenciement des employés en CDD après avoir pris connaissance des modifications légales. «Avec nos collègues, nous nous sommes battus pour ne pas perdre notre droit à garder notre contrat de travail. Mais il n’est pas encore sûr que les RHT nous indemniseront», explique-t-il en précisant qu’à l’aéroport, le nombre de salariés dans sa situation est important.

Pour un fonds de soutien

Face à cette situation, Unia Genève exige des entreprises qui ont fait massivement recours au travail temporaire ces dernières années qu’elles assument solidairement leur responsabilité et prennent en charge le versement des salaires durant la durée de la crise. C’est aussi une des revendications de Kevin* et de ses collègues, payés à l’heure: «L’entreprise a supprimé de nombreux shifts (tournus, ndlr) pour le mois de mars et d’avril. Nous réclamons à Genève Aéroport une intervention afin de minimiser la perte de nos salaires et alléger notre situation précaire.» En parallèle, la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS) a transmis au Conseil d’Etat la demande de prévoir un fonds de soutien pour ces catégories précaires de travailleurs. Pour Unia Genève, qui appuie par ailleurs les efforts du Canton de secourir les indépendants, ces personnes méritent tout autant d’être aidées par l’Etat.

*Prénoms d’emprunt.

Face au coronavirus, tous les temporaires ne sont pas égaux

Raphaël, temporaire dans l’horlogerie

«Le 16 mars, nos responsables nous ont expliqué que l’entreprise allait certainement fermer ses portes avant la fin de la semaine et que les employés fixes seraient mis en arrêt de travail payé par l’employeur. Par contre, pour les temporaires, dans un souci de ne pas perdre cette force de travail, ils nous ont promis que les contrats n’allaient pas être interrompus. Mais ils ne voulaient pas nous payer, et ils nous ont demandé de nous renseigner et de trouver une solution avec notre agence temporaire. Le lendemain, la décision est tombée: tout le monde rentre chez soi et les contrats temporaires sont résiliés avec effet immédiat.»

Lionel, temporaire sur un chantier

«J’ai été placé par BM emploi sur un chantier de Losinger à la rue Kammacher. On était trois temporaires sur le chantier. Le 16 mars, c’est le chef de chantier qui nous a dit de tous rentrer chez nous. On voyait bien que les mesures sanitaires n’étaient pas prises. Il nous a juste dit: “On se retrouve la semaine prochaine.” On m’a d’abord annoncé que le chantier était fermé pour l’instant et qu’on allait tous être mis en RHT, puis qu’on reprendrait tous à la réouverture. Le 23 j’ai donc pris contact avec ma boîte temporaire pour savoir comment ça allait se passer et demandé des suites quant à la demande de chômage partiel. C’est là qu’ils m’ont annoncé que j’avais été licencié le 16 alors que, le matin même, on m’avait dit que j’avais été mis au chômage partiel. L’entreprise temporaire m’a donc licencié en quelque sorte rétroactivement le 23 mars par e-mail en indiquant que j’aurais soi-disant été licencié le 16. Je m’y suis opposé. Ils se permettent vraiment n’importe quoi avec les temporaires.»

Kevin, temporaire à l’aéroport

«Ces dernières semaines, nous avons été particulièrement exposés à une contamination du coronavirus. Les affirmations du 23 mars du directeur général de Genève Aéroport (GA), André Schneider, selon lesquelles des mesures de protection sanitaire et de sécurité pour les employés ont été mises en place le 20 janvier, se heurtent à la réalité observée sur le terrain. Le week-end du 14 et 15 mars, la présence des passagers dans l’aérogare dépassait largement les recommandations de l’ordonnance du Conseil fédéral du 13 mars. Les jours suivants, certains développaient déjà des symptômes liés au Covid-19 et devaient rester chez eux. L’application des mesures de l’ordonnance ne fut possible qu’à partir du 17 mars (et non pas depuis janvier) grâce à la réduction importante des vols commerciaux et donc des passagers, mais aussi au filtrage à l’entrée de l’aéroport. C’est également à cette même date que GA s’est finalement résigné à distribuer des gants et des masques aux employés, mais cela seulement parce que des agents en ont fait la demande. Aujourd’hui, nous exigeons la garantie de nos emplois et nos salaires par l’indemnisation RHT et la création d’un fonds spécial pour combler le manque à gagner.»

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