Ouvrière agricole, Charlène Taramarcaz projette de créer une ferme pédagogique. Rencontre avec une passionnée sur les hauts de Bagnes, en Valais
C’est un sacré brin de femme. Courageuse. Volontaire. Passionnée. Sous un soleil de plomb, corps musclé et tanné par la vie au grand air, Charlène Taramarcaz, 18 ans, râtèle le foin restant après le passage d’un véhicule porte-outils polyvalent ayant effectué l’essentiel de la besogne. Si elle pilote volontiers l’engin, elle y a aujourd’hui renoncé. «Pas assez de zé pour cette pente raide», justifie la jeune femme, soit, dans son jargon, de puissance. Du coup, c’est son patron, Yves Bruchez qui s’en est chargé (voir encadré). La fauche de l’herbe sur les différents terrains à disposition de son employeur a débuté en juin dernier. Une période intense avec, à la clef, du fourrage, et pour les moutons et, après fermentation lactique, pour les vaches. «Je travaille comme dépanneuse agricole depuis le mois de janvier et je vais rester jusqu’en octobre. Yves Bruchez m’a appelée à la rescousse après s’être fait mal à une jambe. Nous nous connaissions déjà. J’avais effectué une année d’apprentissage chez lui», explique l’agricultrice diplômée. Au bénéfice d’un CFC, l’ouvrière poursuit ses études à Grangeneuve (FR) afin de devenir agrotechnicienne «parce que sinon, un paysan, sans brevet ni domaine, sera contraint à vivoter au fond de sa vallée». Pas dans les projets de la Valaisanne. Cette habitante de La Garde, un petit village de la commune de Sembrancher, possède une douzaine de chèvres et envisage d’ouvrir une ferme pédagogique. Dans ses cordes au regard de sa motivation et des tâches que, déjà, elle maîtrise.
Polyvalence au menu
«En mars, je me suis chargée de l’agnelage. Il a fallu ensuite boutonner les agneaux, en clair: leur mettre les boucles d’oreilles qui les identifient, les castrer et leur couper la queue pour des raisons d’hygiène», détaille sans sourciller l’agricultrice, soulignant s’être familiarisée à ces gestes au fil de l’expérience acquise. Charlène Taramarcaz s’est ensuite occupée de l’installation d’enclos pour les brebis. Elle a aussi largement consacré son temps aux vaches allaitantes et aux reines potentielles – l’employeur les élevant dans ce sens. Brossage, affourage, insémination des bovins, sortie des petits veaux, menée des vaches au pâturage puis, l’été, à l’alpage... Autant d’activités remplies par la Valaisanne, qui n’imagine pas exercer une autre profession. «J’aime la diversité de ce travail qui m’amène aussi bien à manier une tronçonneuse, à conduire des machines qu’à jouer le rôle de sage-femme pour les animaux. J’apprécie aussi le fait d’être tout le temps dehors même si c’est parfois difficile», indique Charlène Taramarcaz, indifférente à la chaleur – le thermomètre flirte ce jour-là avec les 30 degrés – et balayant l’idée d’une protection solaire. «Et puis, si on croise beaucoup de personnes, on côtoie peu de collègues. Je suis plutôt une solitaire», remarque encore l’agricultrice, précisant avoir toujours voulu travailler dans le domaine, avec des animaux. Une voie exigeante et non sans préjugés.
Pas besoin de fitness
«C’est un milieu essentiellement masculin, de rustres parfois, où il faut faire ses preuves. Mais j’ai du caractère.» Un tempérament assurément bien trempé et aussi une bonne condition physique. «Je soulève jusqu’à deux sacs de poudre de lait de 30 kilos chacun pour les veaux. Pas besoin de fitness», sourit la sportive, bon sens et franc-parler, alors qu’une famille de randonneurs passe alentours. Yves Bruchez souligne aussi la détermination de son ouvrière. «C’est une crocheuse», lance, admiratif, l’homme avec l’accent caractéristique du coin. Le paysan est d’autant plus convaincu par le choix de son employée qu’il adore lui aussi son métier. «Après avoir travaillé quelques années comme ébéniste, j’ai bifurqué dans l’élevage de vaches d’Hérens. La raison? Parce que je suis né là-dedans. Pour perpétuer la tradition. Et puis, ces vaches ont du caractère, comme nous, les Valaisans», rigole Yves Bruchez, qui racontera encore, des étoiles dans les yeux, qu’une de ses bêtes, Finesse, a été couronnée reine nationale en 2017 dans la catégorie des poids moyens. Beaucoup d’émotion... Mais revenons à nos moutons.
Améliorer l’image de l’agriculture
La visite se poursuit par une halte à la bergerie. Pied sur l’accélérateur, Charlène Taramarcaz ouvre la voie au volant de son tracteur soulevant au passage un nuage de poussière avant de rejoindre la route bétonnée. L’accident survenu en mai, sur une route de campagne, qui s’est soldé par trois tonneaux et une blessure à un doigt ne semble pas avoir ralenti la conductrice. Pas de moutons à l’abri – installés au parc – mais des chiens de berger au chômage, quémandant leur lot de caresses. Un rapide tour des infrastructures. Quelques précisions quant aux soins apportés aux brebis... Charlène Taramarcaz nous guide maintenant sur les bas de La Garde, où paissent ses chèvres et deux agneaux. Accrochés à une pente raide, Guimauve, Mademoiselle, Marmotte, Captain et Morgan... font, à l’appel de leur prénom, cercle autour de leur propriétaire qui les gratifie de papouilles. «Biquettes et cabris sont mes animaux préférés. Ils sont intelligents, affectueux, malins», assure la paysanne, avant d’expliquer son projet de ferme pédagogique. «Je veux faire de la vente directe de lait, de fromage et de merguez, mais aussi sensibiliser les personnes à l’agriculture qui trop souvent souffre d’une mauvaise image. On croit que nous maltraitons nos bêtes. Que ceux qui nous critiquent viennent voir. Si on privilégiait une agriculture de proximité, on ne risquerait pas de dérives comme celles survenues dans des abattoirs où des bêtes ont été mal étourdies.»
Haro sur le loup
Les mouvements véganes laissent Charlène Taramarcaz pour le moins dubitative. «Je n’ai rien contre eux mais alors que faut-il faire? Relâcher les vaches dans la nature? J’espère qu’ils se réveilleront.» Autre sujet émotionnel, celui du loup, qui suscite la colère de l’éleveuse: «Que ses défenseurs se posent les bonnes questions. Si on ne peut plus mettre les moutons à l’alpage, les prairies ne seront plus tondues et entretenues.» Les compensations versées par tête perdue sous les crocs du prédateur ne suffisent pas à désamorcer son exaspération. «Les conditions pour en bénéficier sont très strictes. On veut bien du loup, mais pas chez nous», martèle la bouillonnante Valaisanne racontant au passage qu’un spécimen aurait tué, l’an passé, plusieurs moutons sans les manger pour autant. «A l’abattoir, les bêtes meurent dignement. Elles n’agonisent pas.» Et l’agricultrice de partager son inquiétude pour son troupeau: «Je n’ose plus le laisser en liberté. J’ai trop peur que le loup ne l’attaque. Ou que mes bêtes tombent dans un ravin pour lui échapper. Même quand elles sont ici, dans leur parc, je ne suis pas tranquille.»
Le soleil a depuis longtemps baissé la garde. Charlène Taramarcaz remplit des seaux d’eau pour ses chèvres avant de regagner son foyer à pied, son chien Zwickie ouvrant joyeusement la marche. Epilogue d’une journée bien remplie. Mais dans son activité, les horaires n’existent pas. Les animaux et la météo dictent la cadence. Heureusement, notera encore la passionnée, quand elle se trouve dans la nature, elle n’a pas vraiment le sentiment de travailler...
Sensations fortes
Un modeste tracteur face à une pente vertigineuse. «Peut-être que la demoiselle veut m’accompagner», s’exclame le paysan, Yves Bruchez, en arrivant au bas du versant. Défi relevé. Accroché à la colline, l’engin grimpe, dessinant encore et encore des zigzags sur le terrain. Les bandes de foin, appelées andins, sont récoltées à l’arrière de la machine. Tout en manœuvrant, le Valaisan décrit les étapes précédant la récolte. Mais arrivés au sommet de la crête, le silence se fait. Toute la vallée du Châble s’offre à perte de vue. En face, on distingue Verbier et plusieurs alpages dont celui d’Yves Bruchez. Plus loin, broutent quelques moutons et des vaches de combat comme celles dont s’occupe l’agriculteur. Soudain, l’homme s’élance dans la descente. Le tracteur s’agrippe, résistant à la forte déclivité. A l’intérieur, on est obligé de se retenir à la poignée de la porte pour ne pas basculer vers l’avant. Yves Bruchez sourit tout en maintenant fermement le volant. L’agriculture, c’est son rêve de gosse, raconte-il avec un accent prononcé avant d’atteindre le bas de la pente. Encore secoué en sortant du véhicule, on titube un peu. Une chose est sûre, l’expérience concurrence largement les montagnes russes. Jiyana Tassin