Genève fait les poches des infirmières
La fonction publique est très impliquée dans la crise ouverte par le Covid-19, en particulier, on le sait, dans la santé et les soins. Après leur engagement de ces derniers mois, les infirmières, aides-soignantes, nettoyeuses et toutes et tous les employés des services hôteliers des hôpitaux et des EMS peuvent légitimement revendiquer une prime ou une réévaluation de fonction. Mais à Genève, le Conseil d’Etat a prévu un tout autre cadeau de fin d’année. Plombés par la crise, la recapitalisation de la caisse de pensions des fonctionnaires, le manque à gagner de la réforme fiscale cantonale liée à la RFFA, les comptes 2020 du bout du lac devraient afficher un trou de plus d’un milliard. Pour ramener le déficit à un demi-milliard en 2021, le gouvernement propose au Parlement «des efforts significatifs de solidarité de la part de la fonction publique, dont la rémunération et la sécurité de l'emploi n'ont pas été affectées par la crise». Ces mesures prévoient une réduction linéaire des salaires de 1% pour les quatre prochaines années (-44 millions par an), la suspension de l’annuité 2021 (-55 millions) ainsi que celle de 2023, et un report des charges de la caisse de pensions sur le dos des employés (-77 millions dès 2022). Une aide-soignante qui gagne 4850 francs brut perdra près de 50 francs par mois, elle verra s’envoler son annuité de quelque 600 francs et devra, en outre, cotiser plus pour sa retraite. Les efforts seront donc réels pour les travailleurs modestes, qui sont obligés de dépenser la totalité de leur salaire pour vivre, beaucoup moins pour les hauts fonctionnaires ou les conseillers d’Etat, qui ont, eux, les moyens de mettre des ronds de côté.
Ce n’est pas la première fois que les fonctionnaires genevois font office de variable d’ajustement budgétaire, c’est même devenu, depuis des lustres, une habitude. Mais à une époque pas si lointaine, on procédait différemment. En 1998, la table ronde organisée par Micheline Calmy-Rey, alors en charges des Finances du Canton, pour trouver des solutions à un déficit là aussi abyssal, s’était certes résolue à réduire l’enveloppe allouée à la fonction publique, mais avait aussi convenu de faire progresser les recettes par une contribution spéciale sur le revenu des personnes physiques et des entreprises, l'introduction d'une taxe sur les piscines privées et l'augmentation de l'impôt auto. Aujourd’hui, plus question de «symétrie des sacrifices», au contraire, le cadeau offert aux propriétaires de sociétés dans le cadre de la RFFA coûtera 264 millions au budget en 2021.
Dans le contexte actuel, si le Conseil d’Etat parvenait à baisser les rémunérations de près de 50000 collaborateurs, ce serait un très mauvais signal lancé aux employeurs. On en voit déjà qui chercheraient à réduire les salaires. En 1998, l’Alliance de Gauche et les syndicats avaient claqué la porte de la table ronde avant de réussir à enterrer le paquet ficelé dans les urnes. Hier comme aujourd’hui, seule la mobilisation pourra faire reculer les autorités, les patrons et les riches.