Regards éclairés sur l'histoire et l'imagerie populaire
Collectionneur passionné, l'ancien président de la commission d'entreprise de Swissmetal, Pierre-Alain Girard, a implanté dans sa ferme un musée consacré aux objets de l'imagerie populaire et à l'histoire régionale
Magnifiquement rénovée, l'ancienne ferme jurassienne que Pierre-Alain Girard a acquise voici une quinzaine d'années à Pontenet, près de Reconvilier, date de 1697, époque où régnait encore Louis XIV. Il en a fait sa demeure mais aussi, et surtout, l'écrin de sa passion pour les objets anciens racontant l'histoire de la vie quotidienne régionale, celle des familles paysannes, des artisans, des horlogers et, tout particulièrement, celle de l'imagerie populaire. Tout a commencé avec sa curiosité pour les jeux de tarots anciens qu'il a découverts un peu par hasard il y a une trentaine d'années. Une rencontre qui lui ouvre les portes du monde fascinant des cartes à jouer à travers les âges. Apparues vers la fin du 14e siècle en Europe, les cartes sont rapidement devenues le divertissement majeur de la population. Jusqu'à en irriter l’Eglise et l’Etat. «Mais ni les interdictions, ni les taxes n'ont réussi à freiner les ardeurs des joueurs», note Pierre-Alain Girard qui, au fil de ses recherches, est devenu expert en la matière, tout en élargissant son champ d'intérêt à tout ce qui concerne l'image. Sa collection va des clichés de bois gravés précédant l'imprimerie aux lanternes magiques en passant par les inventions ingénieuses qui ont ouvert la voie au cinéma. Pierre-Alain Girard expose notamment des pierres lithographiques, des autotypies, des coffrets de mariage ornés de peintures naïves, des ouvrages rares contenant des illustrations de sa région ainsi que des almanachs autrefois vendus par des colporteurs de ferme en ferme et dont il précise qu'avec eux, «l'image est entrée dans les maisons pour ne plus jamais en ressortir».
Didactique et beau
Hormis quelques chambres habitées, tous les recoins de la ferme sont transformés en musée. La grange et les écuries sont réservées aux outils agricoles d'antan, aux licols, au mobilier paysan, aux objets de la vie quotidienne ainsi qu'à des tuiles et des cloches dont la fabrication était disséminée dans plusieurs villages de la région. Les étages recèlent des objets du précinéma, des jouets, des tissus et des pochoirs utilisés par les fabriques d'indiennes ainsi que des documents historiques parfois très rares. A noter également un petit espace consacré à l'horlogerie, avec des outils d'époque et des chronographes de la région, dont un exemplaire étonnant fabriqué par la «Société horlogère de Reconvilier».
Membre de la Société jurassienne d'émulation et de l'Association de sauvegarde du patrimoine rural jurassien, Pierre-Alain Girard n'a rien d'un collectionneur compulsif détaché du sens des choses. Chacune de ses acquisitions est un peu comme le chapitre d'un livre d'histoire. Il en explore le pourquoi et le comment. Il en ausculte la provenance, l'utilité, le contexte. Et résume ses conclusions dans ses étiquetages et des fiches didactiques. Seule une toute petite partie de ses deux à trois mille objets collectionnés est exposée. Non seulement par volonté d'aller à l'essentiel mais aussi par souci esthétique, car chaque pièce de ce musée baptisé «Neuf Clos» est le théâtre d'une véritable mise en scène harmonieuse et cohérente. Une belle réussite!
Visiter le musée
Le Musée du Neuf Clos se visite seulement sur demande et sur rendez-vous. Pierre-Alain Girard, en effet, ne dispose pas des capacités matérielles et organisationnelles d'en faire une institution ouverte. Il est à disposition de groupes comptant jusqu'à une dizaine de personnes, pour des visites accompagnées et commentées. Renseignements sur le site: neufclos.ch
Un des «Boillat»
Pierre-Alain Girard, 65 ans, vient de cesser son activité professionnelle à Swissmetal, l'ancienne «Boillat» à Reconvilier, son village natal. Il y était responsable du laboratoire et présidait la commission du personnel. Divorcé, père de deux enfants, cet homme calme et déterminé a travaillé pratiquement toute sa vie dans cette entreprise ou dans son giron. Laborantin de formation, il est engagé à l'âge de 24 ans dans le laboratoire de recherche de l'Université de Neuchâtel consacré à la métallurgie, en collaboration étroite avec Swissmetal-Boillat. Une vingtaine d'années plus tard, il entre au labo de l'usine, à Reconvilier. «J'y ai découvert le monde de l'entreprise, sa hiérarchie, ses problèmes.» Lorsque éclatent les grèves de 2004 et 2006, il rejoint la commission des employés présidée par Nicolas Willemin. Et, à l'épreuve de la réalité, il apprend à connaître la dureté du conflit, les enjeux de la solidarité, les espoirs, les déceptions. «Avec le personnel, nous avons eu raison jusqu'au bout mais on n'a pas été écouté par la direction.» Une douzaine d'années plus tard, il est élu par ses collègues à la présidence de la commission d'entreprise réunifiée (employés et ouvriers). «J'aimais bien négocier. Surtout quand c'était difficile. Et ça l'était! La situation de l'entreprise n'a, jusqu'à ce jour, jamais cessé de se dégrader et nous faisions face à de nombreux changements de direction. Il fallait non seulement se battre pour les salaires mais aussi livrer de longues batailles pour conserver nos acquis. C'était la galère, mais on résistait. Bien sûr, on aurait chaque fois voulu de meilleurs résultats.» Un exercice sur la corde raide: «Pour les ouvriers, tu n’en fais jamais assez et, pour le patron, tu es un emmerdeur.»
Pierre-Alain Girard n'a désormais plus à négocier, sinon pour acquérir des objets de collection qui prendront place dans cette ferme, à quelques kilomètres à peine de «La Boillat».