Aujourd’hui, la moitié des habitants de la Terre ne se partagent que 8% des revenus, tandis que 10% des plus hauts revenus s’en accaparent 52%. Les inégalités de richesses sont encore plus prononcées: la moitié la plus pauvre ne dispose que de 2% du patrimoine, à l’inverse, les 10% les plus riches en possèdent 76%. On trouve ces chiffres dans le Rapport sur les inégalités mondiales 2022 récemment paru aux Editions du Seuil (496 pages, 24 euros). Coordonnée par une équipe de chercheurs franco-américains, parmi lesquels l’économiste Thomas Piketty, auteur du Capital au XXIe siècle, cette étude montre que ces inégalités qui caractérisent nos sociétés sont en augmentation presque partout depuis les années 1980 à la suite de programmes de libéralisation et qu’elles atteignent maintenant le niveau qui était le leur au début du XXe siècle, soit à l’apogée de l’impérialisme occidental. Le travail de recherche indique que les inégalités sont étroitement liées aux injustices environnementales et de genre. Les femmes ne touchent qu’un tiers des revenus dans le monde et, au rythme actuel, il faudra un siècle pour atteindre la parité. Le rapport donne aussi des chiffres sur les inégalités des contributions au changement climatique, qui n’opposent pas simplement les pays riches aux pays pauvres. La moitié de la population la plus modeste des pays riches atteint en effet déjà les objectifs de réduction s’ils sont exprimés par habitant.
Relevons que les disparités de revenus et de fortune sont moins marquées sur le continent européen qu’ailleurs en raison d’une meilleure équité fiscale. Mais elles avancent tout de même gentiment. Il ressort ainsi de l’Enquête suisse sur la structure des salaires 2020, présentée fin mars par l’Office fédéral de la statistique, que les 10% des personnes les mieux payées ont vu, depuis 2008, leur rémunération augmenter de 11,8% pendant que les salariés appartenant à la classe dite moyenne se sont contentés de 9,3%. Autre source intéressante, celle de la Base de données suisse sur les inégalités de l’Institut de politique économique de l’Université de Lucerne (à consulter sur iwp.swiss), qui révèle que les 5% les mieux lotis captent 23,9% des revenus (chiffres de 2018). Genève est le canton romand le plus inégalitaire, 5% de ses résidents perçoivent 31,5% des revenus. Un siècle auparavant, en 1917, les inégalités étaient moins marquées, puisque les 5% les plus aisés se satisfaisaient de 16% au bout du lac et de 16,2% sur le plan suisse.
Il n’y a aucune fatalité, les inégalités sont le résultat d’un choix politique délibéré, comme le démontrent les rédacteurs du Rapport sur les inégalités mondiales. Il ne sera pas possible de répondre aux défis posés par le XXIe siècle sans une forte redistribution des revenus et des patrimoines, à l’instar de celle qui a permis la construction de l’Etat-providence au XXe siècle et des progrès qui lui sont liés, préviennent-ils. «L’histoire nous enseigne que les élites se battent pour maintenir un niveau extrême d’inégalité, écrit Thomas Piketty, mais qu’il existe, en définitive, un mouvement de long terme vers l’égalité, au moins depuis la fin du XVIIIe siècle, et il se poursuivra.»