Aux Etats-Unis, la fuite inédite d’un document de travail de la Cour suprême laisse présager une menace sérieuse sur le droit à l’avortement. Publié sur le site du média américain Politico, ledit document prévoit d’abroger l’arrêt «Roe versus Wade», du 22 janvier 1973, qui garantit le droit à l’avortement aux Etats-Unis au niveau fédéral. Rien n’est encore officiel, les discussions sont en cours et la décision finale devrait être prise fin juin, mais la composition de la Cour, à savoir six juges conservateurs contre trois démocrates, laisse peu de place au suspense. Si ces derniers décident à une majorité de balayer l’arrêt, jugé «totalement infondé», on reviendra 49 ans en arrière, quand chaque Etat avait le pouvoir de décider d’autoriser ou de bannir le droit à l’IVG. Et les observateurs sont déjà formels: au moins la moitié des cinquante Etats se saisiront de cette occasion pour l’interdire ou le restreindre. De même, on peut s’attendre à ce que le droit à la contraception et le mariage pour tous, autorisé depuis 2015, soient les prochains à être attaqués.
«Le droit à l'avortement n'est pas profondément enraciné dans l'histoire et les traditions de la Nation», peut-on lire dans le document rédigé par le juge républicain Samuel Alito. Pendant que Donald Trump doit se délecter de la situation (c’est lors de son mandat qu’ont été nommés trois juges ultraconservateurs et pro-life permettant d’atteindre une majorité sur ce sujet), Joe Biden s’égosille à défendre «le droit fondamental des femmes à choisir». Le président est impuissant face à la Cour suprême: rappelons que les neuf juges de la plus haute instance judiciaire du pays sont nommés à vie. Restent les élections de mi-mandat, qui se tiendront en novembre, pour lesquelles Joe Biden appelle les électeurs à voter pour des candidats favorables à l’avortement, les démocrates, donc. Ça ne tombe pas si mal cette histoire, finalement. Tactique électoraliste? En effet, le fervent catholique Joe Biden n’a pas toujours tenu ce rôle de premier défenseur de l’avortement. Et si le sujet lui tenait tant à cœur, pourquoi ne s’est-il pas battu pour l’inscrire dans une loi fédérale?
Le plus désespérant, le plus fatigant, c’est de devoir encore, en 2022, batailler pour les droits supposés acquis des femmes. Devoir se battre, une nouvelle fois, dans la première puissance économique mondiale, dans le pays censé être le plus évolué du monde, pour le droit de disposer librement de son corps. Dans le pays qui se vante d’être à l’avant-garde du progrès, qui a fabriqué Steve Jobs, Mark Zuckerberg, Jeff Bezos ou encore Elon Musk, d’un côté, et, de l’autre, qui veut priver la moitié de sa population du libre choix d’enfanter, ou non. On le sait, même interdits, les avortements auront toujours lieu, quitte à recourir à des procédures dangereuses. Alors, encadrons-le une bonne fois pour toutes, car comme le dit bien le directeur général de l'Organisation mondiale de la Santé, «l’accès à un avortement sûr sauve des vies».