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La guerre d’indépendance, caméra au poing

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© DR

Le film «Nome» de Sana Na N’hada revient sur la guerre d'indépendance entre la dictature portugaise de Salazar et le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC).

Le 18e festival Cinémas d’Afrique s’est ouvert hier à Lausanne. Parmi les nombreux films à voir, «Nome» revient sur la guerre d’indépendance de la Guinée-Bissau. Entretien par téléphone avec son réalisateur, Sana Na N’hada.

Il représente un pan d’histoire à lui tout seul. Sana Na N’hada est né en 1950, sous le joug de la dictature portugaise de Salazar, dans un village de Guinée-Bissau, petit pays d’Afrique de l’Ouest. Le jeune Sana n’a que 13 ans lorsque la guerre d’indépendance éclate. Il travaille dans un hôpital de brousse, aide les blessés et côtoie la mort au quotidien. A 17 ans, il est envoyé à Cuba pour des études de cinéma, à la demande d’Amilcar Cabral, fondateur du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC). Le jeune Sana revient quelques années plus tard pour filmer le conflit, puis la libération. 

Cinquante ans plus tard, il montre enfin ces images uniques dans son troisième long-métrage intitulé Nome. Une fiction, reflet de la réalité d’un pays et de son peuple, qui évoque la guérilla, l’espoir et la désillusion; la culture et les traditions aussi.

Le film, déjà présenté au festival de Cannes en 2023 et dans quelques salles de Suisse romande au printemps 2024, sera projeté ce week-end lors du festival Cinémas d’Afrique au Casino de Montbenon à Lausanne. Sana Na N’hada aurait dû être présent, mais n'a pas pu prendre son avion, faute de visa… Au bout du fil, il nous répond chaleureusement, en toute humilité et avec générosité.

Ne trouvez-vous pas injuste de n’avoir pas reçu de visa Schengen à temps, alors que vous en avez fait la demande le 11 juillet déjà?

Il y a beaucoup d’autres injustices (rires). Ce n’est pas nouveau que ce soit compliqué. J’ai l’habitude. Si vous atterrissez à Bissau, en tant qu’Européen, il ne vous faudra que 15 minutes pour obtenir un visa d’entrée. Nous, on ne peut pas mettre les pieds dans un avion sans en avoir un. Le Nord peut venir au Sud quand il veut, le temps qu’il veut. La réciproque n’est pas vraie. J’ai toutefois pu me rendre ce printemps en France et en Suisse. Et j’ai eu l’occasion de voyager à Cuba et à Berlin Est, quand le monde était divisé en deux.

Comment êtes-vous devenu cinéaste?

Ce n’était pas une vocation. J’ai rencontré Amilcar Cabral lorsque je travaillais dans l’hôpital. C'est lui qui a décidé de m’envoyer avec trois autres camarades, par bateau commercial, pour Cuba. C’est sur cette île que je suis entré pour la première fois dans une bibliothèque. J’y ai appris comment filmer pour pouvoir, à mon retour en Guinée-Bissau, témoigner des deux dernières années de guerre. Je n’ai jamais tenu une arme, mais j’étais au milieu des combattants. J’ai vu mourir tellement de gens que je suis toujours étonné d’être encore en vie. J’ai perdu ma jeunesse, mais je suis heureux de continuer à témoigner.

Quels sont vos souvenirs d’Amilcar Cabral assassiné en 1973, juste avant l’indépendance?

Je suis le premier Guinéen, et j’en suis très fier (rires), à avoir filmé Cabral. C’était un homme très sensible, qui avait un sens pratique pour expliquer ses idées. Il vous parlait en vous regardant dans les yeux, et en se mettant à votre niveau. Il voulait libérer le pays, et aussi libérer les Guinéens de leur ignorance. Pour lui, l’enseignement était plus important que de prendre le fusil. Il combattait le colonialisme, non pas les Portugais. Ce n’était pas facile d'entendre ces propos, alors que nos cousins mourraient sous les bombardements. Et pourtant, à la fin de la guerre, nous nous sommes tous embrassés, les Portugais et nous, et dit au revoir. Je me souviens de ce jour où on a appris que Salazar était mort, sans comprendre que le Coup d’Etat mettait aussi fin à la guerre d’indépendance. Du jour au lendemain, il n’y avait plus d’avions militaires dans le ciel. Cette guerre s’est finie d’elle-même. On recevait même des sacs de riz des Portugais. C’était surréaliste,… mais vrai. 

Vous filmiez sans cesse. Or vous avez vu vos images seulement des années après…

Cinq ans après, elles ont été envoyées par le PAIGC en Suède pour les développer. Pendant la guerre, dans le maquis, nous n’avions pas d’électricité. Pour pouvoir recharger les batteries de ma caméra 16mm, je devais marcher une semaine pour me rendre au Sénégal. Et pour trouver une nouvelle pellicule à Conakry (en Guinée), cela me prenait une vingtaine de jours aller-retour… 

Est-ce toujours compliqué de faire du cinéma en Afrique?

Nous avons créé l’Institut national du cinéma en 1977, mais nous n’avons jamais reçu de financement de l’Etat ou d’entreprises guinéennes. Il n’existe pas de politique du cinéma en Guinée-Bissau. Il m’est arrivé de récupérer des bobines, lorsque j’assistais des réalisateurs étrangers. Je filmais, puis je mettais les pellicules dans le frigo en attendant de pouvoir les développer. Tous nos financements continuent de venir de l’étranger. Pour chaque film, nous devons demander au Nord. J’ai passé six ans de ma vie à penser, écrire et trouver des financements pour mon dernier film, Nome. A 74 ans, j’ai fait une dizaine de documentaires, et trois long-métrages. Je n’ai malheureusement – ou heureusement (sourire dans la voix) – pas eu les moyens de faire tous les films que j’aurais voulu. Mais tant que je respire, tant qu’il me restera un peu de lucidité, je continuerai à travailler. Je n’ai jamais pris de vacances et je ne peux pas me permettre de prendre une retraite. Je prépare un film, avec Flora Gomez et Suleimane Biai, sur Amilcar Cabral. Il aurait eu 100 ans, le 12 septembre prochain.

Dans vos films, vous parlez aussi des traditions. Dans Nome le monde des esprits est présent…

La cérémonie d’adieu aux défunts est, par exemple, très importante pour que le mort n’hante pas les vivants, même s’il n’est jamais bien loin. Si le Guinéen, qu'il soit chrétien ou musulman, va chez le médecin, il ira aussi voir un voyant pour savoir s’il n’est pas victime d’un mauvais sort. Evoluer est bien sûr nécessaire, mais je regrette le fait que nous perdions notre culture sans rien acquérir à la place. 

Quelles sont les réactions des Guinéens lorsqu’ils voient votre dernier long-métrage?

Le film a été montré à Bissau (la capitale, ndlr), mais j’attends la fin de la saison des pluies pour le projeter dans les villages. Cela m’intéresse d’avoir l’avis des anciens combattants. On prévoit des discussions après les projections. Les jeunes ne connaissent pas bien l’Histoire. Cabral est vu comme un dieu, un esprit. Certains ne croient même pas que je lui ai serré la main. 

Quel est votre bilan, 50 ans après l’indépendance?

A chaque fois qu’on avance un peu, on recule juste après. La politique ne marche pas. Le colonialisme est resté dans nos têtes. Nous avons continué de commercer avec le Nord au lieu d’échanger entre pays africains. Se rendre en avion au Mozambique (ancienne colonie portugaise également, ndlr) est impossible sans passer par l’Europe… On a lutté pour libérer notre pays et qu’est-ce qu’on en a fait? On ressent une forme de trahison, de la déception et de l’aigreur, mais c’est de notre responsabilité à nous tous. Je ne regrette rien, mais on aurait pu faire mieux. Dans ce petit pays de 2 millions d’habitants, il existe 54 partis politiques. Quand l’un gagne, on ne le laisse pas gouverner… Mais voilà, comme quand on est sur une bicyclette, on ne peut s'arrêter de pédaler. 

Un dernier mot?

Je souhaite aux organisateurs et aux participants un très bon festival.

 

Projections du film Nome au Cinématographe, Casino de Montbenon, Lausanne: vendredi 16 août à 18h30 et dimanche 18 août à 12h. Ainsi qu’au Musée d’ethnographie de Genève le dimanche 18 août à 16h.

Le programme complet de Cinémas d’Afrique, du 15 au 18 août: cine-afrique.ch

 

 

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