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Purges dans le secteur culturel géorgien

exposition itinérante
© Julien Pebrel / MYOP

Soutenue par des fonds allemands, l’exposition itinérante «EVROVIZION.CROSSING STORIES AND SPACES», qui met en lumière l'idée d'une identité européenne, s’est arrêtée cet été à Tbilissi au Musée de la photographie et du multimédia, qui risque des poursuites au nom de la loi sur les «agents de l’étranger». 

En Géorgie, le monde culturel se mobilise contre la politique autoritaire de la ministre Tea Tsouloukiani, qui offre un avant-goût du contrôle que les autorités aimeraient exercer sur toutes les sphères de la vie sociale après les élections du 26 octobre.

Le 26 octobre prochain, les Géorgiens sont appelés aux urnes pour renouveler leur Parlement, une élection cruciale qui déterminera la trajectoire pro-russe ou pro-européenne du pays pour les années à venir. Le parti du Rêve géorgien dirige la nation caucasienne de 3,7 millions d’habitants depuis 2012. D’abord modéré, il s’est radicalisé vers un populisme conservateur et pro-russe depuis le dernier scrutin de 2020. 

Ce tournant autoritaire est particulièrement visible dans le champ culturel. En mars 2021, la nomination de la ministre de la Justice Tea Tsouloukiani à la Culture marque un tournant. Tour à tour, elle purge la direction et le personnel des principales institutions publiques pour renforcer leur allégeance au régime. Dans chaque secteur, des mouvements collectifs tentent, sans grand succès jusqu’à présent, de s’opposer à cette politique destructrice. 

La nouvelle ministre s’attaque d’abord au Musée des Beaux-Arts et au Musée National qui rassemble des collections liées à l’archéologie, à l’ethnographie et aux sciences naturelles. «Tout le monde était content, nous venions de remporter 13 bourses européennes pour des projets de recherche, du jamais-vu! Une de ses premières décisions est de bloquer ces projets», explique Ana Mgeladze, professeure d’anthropologie à l’Université libre de Tbilissi et chercheuse en archéologie et en paléontologie. 

La scientifique se lance alors dans l’activisme, organise des manifestations, envoie des lettres aux ministères et aux ambassades. Finalement, cette décision est annulée, sous la pression de l’UE, pense-t-elle, mais elle fait partie en mai 2022 d’une vague de licenciements touchant 50 employés du musée: «Tous les gens visés sont ceux qui ont fait des études supérieures en Europe et qui ont des opinions pro-européennes.» 

Comme elle, de nombreux chercheurs du musée voient leur carrière brisée et sont dans la quasi-impossibilité de poursuivre leur travail en Géorgie. «Après nous, Tea Tsouloukiani s’est attaquée à d’autres petits îlots démocratiques, aux rares institutions qui se rapprochent des standards internationaux. Elle nomme aux postes de direction des personnes proches d’elle mais incompétentes, des gens qui ont travaillé pour le Ministère de la justice ou le système pénitentiaire.»

Avec ses collègues, Ana Mgeladze crée un syndicat, organise d'innombrables manifestations, apparaît dans les médias. Ceux qui vont aux Prud'hommes pour dénoncer leur licenciement gagnent mais ne sont pas réembauchés. 

Le rouleau compresseur continue: protection du patrimoine, théâtre, musique, littérature, opéra… Un autre cas emblématique est celui du cinéma alors que le septième art géorgien commence pourtant ces dernières années à percer grâce à des œuvres de qualité et une présence régulière dans des grands festivals. 

En mars 2022, le directeur du Centre national du cinéma géorgien est à son tour licencié pour être remplacé en juin par le directeur adjoint de l'Agence nationale pour la prévention de la criminalité, les peines non privatives de liberté et le sursis probatoire. Lui-même nomme comme adjoint un présentateur de télévision et propagandiste pro-gouvernement connu pour sa verve anti-occidentale. 

En réponse à ces nominations, près de 500 professionnels du cinéma se regroupent et annoncent leur boycott de la seule structure d’aide publique au cinéma en Géorgie. «Maintenant, ils supportent seulement des réalisateurs qui sont de leur côté et dont les contenus ne sont pas critiques. Les films soutenus sont soit des fictions pseudo-patriotiques ou, pour les documentaires, des chronologies d’événements, rien de créatif», affirme la productrice et réalisatrice Keto Kipiani.

De la nécessité de créer un syndicat

Durant le printemps et l’été 2022, les travailleurs du cinéma organisent de nombreuses actions dont des grandes manifestations parfois conjointement avec les employés du musée. «Nous avons créé l’espoir que les gens du cinéma pouvaient s’unir, ce qui était loin d’être assuré», explique la réalisatrice et productrice Nino Gogua. De réunion en réunion, les participants prennent aussi conscience de la nécessité, au-delà de la lutte contre les pressions politiques, de créer un syndicat pour défendre les droits sociaux des travailleurs du cinéma. 

Cette nouvelle structure, présidée par Nino Gogua, naît en août 2023 et rassemble une centaine de membres. Mais son existence est déjà remise en cause par une loi votée en mai 2024 qui oblige les ONG (dont les syndicats) à se déclarer comme des «agents de l’étranger» si elles reçoivent des financements extérieurs à la Géorgie. Le gouvernement impose cette disposition impopulaire inspirée d’une loi russe analogue malgré une mobilisation massive des citoyens. Au niveau culturel, après avoir fermé le robinet public, le gouvernement entend ainsi empêcher les artistes indépendants d’accéder à des sources de financement alternatives.

«Nous ne nous sommes pas inscrits dans ce nouveau registre pour les ONG. Nous nous attendons à recevoir une grosse amende, continue Nino Gogua. Comme les autres syndicats, je ne sais pas comment nous allons la payer et si nous allons devoir fermer.» 

Certaines structures ont déjà cessé leurs activités, d’autres ont ouvert des bureaux à l’étranger pour pouvoir recevoir des financements. C’est le cas du Musée de la photographie et du multimédia, jusque-là géré par une ONG: «Nous avons été obligés de nous réorganiser. Nous avons créé une nouvelle structure en Lituanie, dans un environnement légal plus sûr», explique Nestan Nijaradze, la directrice artistique du musée, qui s’inquiète aussi d’un retour de la censure avec l’adoption le 17 septembre d’une loi interdisant la «propagande LGBT», une mesure liberticide elle aussi inspirée de la Russie. 

Tous les acteurs du secteur culturel craignent la période suivant les élections si le gouvernement actuel du Rêve géorgien se maintient au pouvoir. Les purges et les pressions devraient alors s’élargir pour toucher plus largement le monde universitaire, les médias indépendants et toutes les organisations liées aux partis d’opposition. 

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