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Réparer pour un monde meilleur

Trois réparateurs
© Thierry Porchet

Les rencontres se créent autour des objets. Le savoir-faire s’échange.

Les Repair Cafés essaiment partout. Réparer pour éviter le gaspillage et la surconsommation sont le leitmotiv de leurs bénévoles. Reportage à Yverdon

Samedi matin brumeux et automnal dans la zone industrielle yverdonnoise. Atmosphère un brin austère. Jusqu’au moment où l’on pousse la porte du Repair Café d’Yverdon. Là, dans une ambiance souriante et conviviale, des bénévoles attendent les premiers objets à réparer. La première cliente arrive, un mixer des années 1950 sous le bras. «Vous pouvez prendre un café», lui propose Jérôme Bouglé, bénévole à l’accueil de la sixième édition de l’Y-Repair Café (Y pour Yverdon). «Et remplir cette fiche.» Soit ses nom et adresse, la description de l’objet, la panne constatée et la signature de la limite de responsabilité. Aucune garantie ne peut en effet être donnée quant au succès de la réparation par les six bricoleurs bénévoles du jour, pourtant experts dans leur domaine. Mais, généralement, entre 50 et 70% des objets sont sauvés de la casse.

A Yverdon, depuis le printemps 2017, ces militants de la récupération offrent leur temps et leur savoir quatre jours par an pour donner un coup de main à ceux qui ne veulent pas se résoudre à jeter leur objet défectueux. Le manque de réparateurs officiels, la conscience que notre planète implose sous les coups de boutoir de la consommation excessive, le scandale de l’obsolescence programmée sont autant de raisons du succès des Repair Cafés partout dans le monde occidental. Cette initiative revient à une citoyenne hollandaise, il y a presque dix ans.

En 2018, une centaine de ces rendez-vous sont organisés en Suisse, dont quatre à Yverdon, à La Ressourcerie. Cet espace se consacre à la réparation de meubles, et se trouve à côté de la déchetterie. Un beau symbole pour l’équipe de l’Y-Repair qui tente justement d’éviter les déchets, le gaspillage des ressources et la pollution inhérente à la construction de nouveaux biens.

Une réparation, un défi

Devant le mixer vintage, Jean-Michel Perret, électronicien professionnel sourit: «Ça, c’est le genre d’appareil qui peut durer une vie. Contrairement aux nouveaux objets faits pour tenir le temps d’une garantie ou à peine plus.» Valentine Meylan, tout en dévissant son mixer, explique: «Je l’ai trouvé dans une brocante. Depuis quelque temps, il fait des étincelles et sent le brûlé. Mais j’espère ne pas devoir le jeter.»

«Le cœur de la bête! lance le réparateur en l’ouvrant. Bon, on va tout désosser pour sortir le moulin. Si on arrive à trouver les charbons correspondants qui ont diminué au fil du temps, on pourra peut-être le remettre en état… Mais il faut commencer par le démonter.» Jean-Michel Perret, au bénéfice d’une formation en électronique et de nombreuses expériences dans la rénovation de maison ou la restauration de meubles, convient: «J’aime bien ces réparations, c’est toujours des défis. Et on apprend à chaque fois.»

Devant sa machine à coudre, Sylvie Thonney, présidente de l’association, inspecte la doublure déchirée d’un sac. «Je ne sais pas pourquoi ils mettent des tissus aussi fins!» «Sinon, on n’achèterait pas un autre sac», rigole Cinzia Sigg, adepte de la récup’, venue avec plusieurs vêtements à rapiécer. «J’y suis attachée», lance-t-elle.

«Parfois, on répare des vêtements qui n’ont plus l’air de rien, mais c’est sentimental», relève Sylvie Thonney, qui tend un fil et une aiguille à Cinzia Sigg. «On essaie le plus possible de faire participer les gens qui viennent nous voir.» Enseignante de couture à la retraite, elle s’occupe des petites réparations textiles. «Attention, nous n’entrons pas en concurrence avec les couturières. Nous ne faisons que de petites retouches, comme recoudre le fond d’une poche par exemple. Si une personne voulait doubler une veste, je l’enverrais chez une professionnelle.»

Pour elle, le succès des Repair Cafés vient en effet d’une prise de conscience autour de la surconsommation et de l’obsolescence programmée, mais aussi d’un regain d’intérêt pour le travail manuel. «J’ai l’impression que les gens ont besoin de retrouver des gestes, un lien à la matière. Les cours de couture ou de tricot ont la cote par exemple, explique Sylvie Thonney. Et puis, suivant les régions, il y a une véritable demande de personnes en difficulté financière.»

Transmettre le savoir-faire et favoriser la cohésion sociale font partie également des objectifs des artisans militants. D’où la notion de café qui donne le ton à cette journée toute conviviale. «On s’entraide. On tire tous à la même corde», ajoute Sylvie Thonney.

Espérance de vie prolongée

Deux heures plus tard, le mixer dans les mains, Jean-Michel Perret a réussi. «J’ai nettoyé les parties qui faisaient des étincelles. Il va marcher encore un moment. A l’ère du plastique, regardez ces pièces comme elles sont impressionnantes.» Valentine Meylan est récompensée de sa patience: «Au moins, je ne risque pas de mettre le feu à la maison», sourit-elle.

A la table d’à côté, Jérôme Duhamel, cofondateur de l’Y-Repair, est en prise avec une radio pour enfant, en plastique. A l’intérieur, de la microélectronique. «C’est là qu’on voit que c’est complexe», note Sybille Chausse, maman de trois garçons. «C’est le problème du bouton. Il n’y a plus le cran d’arrêt, analyse Jérôme Duhamel, électronicien et développeur web, entre autres métiers. Ce n’est pas un composant électronique standard et, quand vous voyez la miniaturisation, cela complexifie encore la possibilité de réparation.»

Pendant ce temps, un aspirateur et une perceuse sont auscultés par d’autres spécialistes bénévoles, autant d’occasions de parler technique et, plus largement, de la société de consommation.

«Les commerces refusent souvent de réparer un objet sous prétexte que ce n’est pas possible. Et avec l’idée sous-jacente que la personne en rachètera un autre», explique Pascal Macquat, l’un des bricoleurs. Reste que les difficultés ne manquent pas. Jérôme Bouglé explique l’une d’entre elles: «Les imprimantes sont quasi impossibles à réparer. D’ailleurs, certains Repair Cafés les refusent systématiquement. En fait, on devrait mettre la pression sur les fabricants. Ce n’est pas possible de devoir jeter son imprimante parce que les recharges d’encre ne sont plus fabriquées. De manière générale, les pièces devraient être standardisées. Mais les fabricants ont des lobbys puissants. Nous pas.» Et le militant d’ajouter: «Rien n’est fait pour inciter les gens à réparer. L’idée de Lucien Willemin de payer une consigne qui ferait office d’assurance quand il y a réparation de l’objet est une piste à mon avis (voir en page 2, ndlr).»

Pour Jérôme Bouglé, il s’agirait aussi de valoriser le travail bénévole en intégrant peut-être le Repair Café dans le Sel d’Yverdon, association qui permet l’échange de biens et de services au travers d’une monnaie virtuelle. Autant de pistes pour que ces réseaux se renforcent, tous mus par l’idée que les alternatives locales sont les premiers pas vers un monde meilleur.

 

L’Y-Repair Café est toujours à la recherche de réparateurs bénévoles. Pour prendre contact: y-repaircafe.ch ou info [at] y-repaircafe.ch (info[at]y-repaircafe[dot]ch) ou 079 783 86 62

 

Prochain Y-Repair Café: dimanche 20 janvier 2019, de 9h30 à 15h, La Ressourcerie (Strid, rue des Champs Torrens, Yverdon-les-Bains)

 

Ailleurs en Suisse (agenda régulièrement mis à jour): repair-cafe.ch

 

Valentine Meylan et son mixer

«C’est la première fois que je viens à un Repair Café. Je suis attachée à ce mixer que j’utilise pour les jus, les soupes, les cakes... Je suis heureuse de pouvoir l’utiliser encore quelque temps et de savoir qu’il n’y a pas de risque de mettre le feu à la maison.»

 

Eric Diem et sa lampe

«La réparation de ma lampe LED n’a pas pu se faire, car le composant, une micropuce, est introuvable en Suisse. Je vais le commander directement en Chine. Cela me coûtera 50 centimes, sans frais de port, au lieu de 20 francs en Suisse. Et comme le produit vient de Chine de toutes manières... J’essaierai de bricoler tout ça, même si c’est un peu petit pour mes mains d’éléphant.»

 

La famille Chausse et une radio pour enfant

Sybille, maman des trois garçons: «J’ai essayé de faire réparer cette radio dans un magasin, mais on m’a répondu qu’il n’y avait pas de service de réparation. N’ayant pas la garantie, car c’était un cadeau, je suis venue ici. Mais le réparateur n’a pas réussi à la remettre en état. On en commandera une autre au Père Noël…» «Une neuve!» renchérit son fils Loïs.

 

Cinzia Sigg et ses vêtements

«Ma trousse de couture à la maison se borne à une aiguille, un fil blanc et un noir. J’ai donc besoin d’un coup de main pour rapiécer quelques vêtements. Je ne vais pas dans les magasins, hormis ceux de seconde main. Une amie, fashion victim, me file ses fringues. J’ai rencontré Sylvie Thonney dans le cadre de mon association “Héros ordinaires” cofondée avec des amies à Vevey dans le but d’inspirer des personnes en marche vers des actions écologiques.»

 

Peter Winnington et son imprimante

«Quand j’introduis le papier dans l’imprimante, ça patine. C’est purement mécanique et je trouve ridicule de changer quelque chose qui marche pour un petit problème. Ce n’est pas si évident semble-t-il. Ils n’ont pas réussi à la réparer. Mais c’est beau tous ces gens qui essaient de rendre service aux autres.»

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