La grève féministe et des femmes* se prépare partout en Suisse. Le 14 janvier, un Manifeste a été publié afin d’appeler à la mobilisation pour davantage d’égalité
Il y a vingt-huit ans, 500000 personnes se mobilisaient lors de la première grève des femmes. Le 14 juin prochain, leur nombre pourrait être encore plus élevé vu la force du mouvement qui demande une fois encore l’égalité, et lutte contre le sexisme et les discriminations. Car si les collectifs de femmes s’inspirent de la grève du 14 juin 1991, ils s’appuient aussi sur le renouveau du féminisme qui s’exprime dans les rues d’Espagne, d’Islande, d’Argentine, de Suisse (quelque 20000 personnes réunies à Berne le 22 septembre) ou d’ailleurs; ou encore via les réseaux sociaux avec notamment le mouvement «#MeToo»qui a libéré la parole des victimes d’agressions et de harcèlements sexuels. Comme le rappelle le Manifeste publié le 14 janvier dernier: «En Suisse, deux femmes par mois meurent sous les coups de leur (ex)partenaire. Une sur cinq subit dans son couple des violences physiques et/ou sexuelles durant sa vie…»
Le Manifeste dénonce le sexisme, les discriminations, les stéréotypes et les violences, sur le lieu de travail, à la maison ou dans la rue, et relève de surcroît «l’existence d’oppressions spécifiques basées sur l’appartenance de race, de classe ou sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre».
Pour un vrai partage du temps
Entre autres revendications des Collectifs romands à l’origine du Manifeste: «l’égalité salariale, la reconnaissance et l’égalité dans le travail reproductif et domestique». L’une des exigences est ainsi de «travailler moins pour vivre mieux et pour avoir le temps d’assumer et de partager les responsabilités familiales et sociales». «Nous voulons davantage de congés pendant la vie active, en particulier un congé parental égalitaire et obligatoire», indiquent les militantes. Mais aussi le développement de services publics de qualité, en particulier des structures d’accueil pour les enfants et des infrastructures pour la prise en charge des personnes âgées. «Une autre économie du temps est nécessaire. Nous voulons des salaires égaux et un temps de travail partagé – qui inclut l’emploi rémunéré, le travail éducatif, domestique et les soins aux personnes dépendantes», souligne Michela Bovolenta, pour la Coordination romande, secrétaire centrale du Syndicat des services publics (SSP). «Plus largement, les problèmes socioéconomiques et les violences qui touchent concrètement la vie des femmes proviennent aussi du fait que les profits passent avant les êtres humains.» Dans ce sens, le mouvement est porteur d’une critique du modèle capitaliste qui, en plus de maximiser les profits au détriment de l’être humain, met en péril l’équilibre écologique.
Un renouveau féministe
Trente-sept ans après le vote inscrivant l’égalité dans la Constitution, 22 ans après l’entrée en vigueur de la Loi sur l’égalité, des femmes de tout âge et de tout milieu se mobilisent pour demander son application, alors que les femmes gagnent toujours moins que leurs homologues masculins et assurent encore les deux tiers du travail domestique. «Certaines femmes militent pour la première fois», souligne Valérie Borloz, pour la Coordination romande, secrétaire de l’Union syndicale vaudoise. «Les différentes générations se retrouvent dans les collectifs, ce qui permet de partager l’histoire des luttes féministes, une histoire que les jeunes connaissent peu», ajoute Michela Bovolenta. Partout sur le terrain, les modalités de la grève se mettent peu à peu en place. «Notre grève sera globale: sur les lieux de travail et à la maison. Elle sera adaptée aux possibilités de chacune: croiser les bras un moment ou toute la journée, déranger au lieu de ranger, occuper l’espace public la journée et la nuit !» indique l’Appel accompagnant le Manifeste.
«A la suite de la demande du SSP, il n’y aura pas d’examen dans les écoles vaudoises le 14 juin prochain. Dans les autres cantons, des démarches similaires sont en cours. Au niveau professionnel, suivant les secteurs, les hommes pourraient être mis à contribution pour offrir un service minimum. Peut-être qu’ailleurs, les travailleuses rejoindront les manifestations le soir. Pour l’heure, ce qu’on peut dire, c’est qu’il y a un très grand élan et beaucoup d’enthousiasme de femmes qui s’organisent de manière autonome, notamment dans certaines villes ou à l’université, lance Valérie Borloz avec joie. Ce renouveau du féminisme, c’est une nécessité et c’est un bonheur que d’y assister!»
Quant aux hommes? Michela Bovolenta explique: «La grève n’est pas contre les hommes, mais contre le système patriarcal. Les hommes sont invités à nous soutenir, mais pour une fois derrière nous.»
* Femmes au sens large, soit toute personne qui ne se sent pas homme (ou comme le dit le communiqué: «Toute personne qui n’est pas un homme cisgenre»).