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Des luttes, des rêves, des grèves…

Rassemblement à l'Université de Lausanne lors de la grève des femmes de 1991.
Archives cantonales vaudoises

Mobilisation sur le campus de Dorigny à Lausanne il y a 28 ans! Des images à découvrir dès le 3 juin dans le bâtiment Unicentre.

«91-19: D’une grève à l’autre» était le thème d’une conférence et d’un débat tenu le 14 mai dernier à Lausanne. Aperçu

Un mois jour pour jour avant la nouvelle grève du 14 juin 2019, le Bureau de l’égalité de l’Etat de Vaud et celui de l’Université de Lausanne (Unil) revenaient sur l’histoire du mouvement des femmes en Suisse et ses enjeux. Une conférence et une table ronde, dans l’Aula du Palais de Rumine à Lausanne, ont permis aux nombreuses participantes de se replonger dans la grève de 1991 et, aux plus jeunes, ne l’ayant pas connue, d’apporter leur enthousiasme pour la nouvelle grève.

C’était aussi l’occasion de retracer les quelques avancées obtenues depuis 1991, comme l’a rappelé Maribel Rodriguez, déléguée à l’égalité du canton: adoption de la Loi sur l’égalité en 1996 puis, au niveau cantonal, le premier plan égalité pour l’administration en 2004, ou encore, plus récemment, des mesures législatives contre la violence domestique. A l’Université, la représentation féminine dans le corps professoral est passée de 7% de femmes en 1991 à 26% aujourd’hui, a indiqué Carine Carvalho, déléguée à l’égalité de la haute école. Mais il reste beaucoup à faire, constate-t-elle.

Un avis partagé par la sociologue Stefanie Prezioso. Dans sa conférence intitulée «Des luttes et des rêves de femmes, d’un siècle à l’autre», la professeure d’histoire à l’Unil a dressé «un tableau impressionniste permettant de comprendre comment, le 14 juin prochain, nous serons un, deux ou même trois millions de femmes dans la rue». Stefanie Prezioso a rappelé que les femmes cumulent les dominations: «domination masculine, domination politique, domination sociale». Et que leur histoire est difficile à relater, les traces ayant disparu, souvent de leur propre fait et en raison du silence imposé par les violences domestique, sociale ou du travail.

Trois vagues féministes

Pour la professeure, engagée elle aussi pour le 14 juin, il y a eu trois grandes vagues féministes dans notre pays. La première dans les années 1970, la deuxième en 1991 et celle d’aujourd’hui. Dans les années 1970, la lutte a été liée à trois aspects. D’abord les changements dans l’appréhension du monde, avec notamment le questionnement sur la place des femmes et leur «inexistence». A titre d’exemple, elle rappelle cette manifestation du 26 août 1970 à Paris où a été déployée la banderole: «Il y a plus inconnu que le soldat inconnu: sa femme». Deuxième aspect, l’idée de se réapproprier son corps et sa sexualité. Le troisième est l’entrée des femmes en politique avec l’octroi du droit de vote en 1971, une affaire réglée depuis longtemps ailleurs. De 1970 à 1980, le Mouvement de libération des femmes va mettre en avant le droit à l’avortement libre et gratuit, le droit à la contraception, au plaisir, à l’assurance maladie, etc. «Des luttes aux rêves viendront les grèves», note la professeure.

La grève de 1991 marque le début de la deuxième vague. 500000 personnes sont descendues dans les rues de Suisse. «Cette déferlante violette entre en résonance avec ce qui s’est passé après les années 1970. En 1991, les femmes se réapproprient le féminisme mouvementiste», souligne la sociologue qui rappelle que la grève part de la vallée de Joux, où des horlogères s’interrogent, constatant que, dix ans après le changement de la Constitution, l’égalité n’est toujours pas effective: «Et si on faisait grève?»

«En 1991, il y avait neuf revendications, telles que l’égalité des salaires, dans la formation, la nécessité de crèches, la fin des discriminations. Aujourd’hui, il y en a 19. Les neuf de 1991 demeurent», indique la professeure, abordant la vague actuelle de féminisme.

Prise de conscience

«L’émancipation des femmes s’éloigne à mesure que l’on s’en approche», remarque-t-elle, paraphrasant un sociologue. «De 1990 à nos jours, les femmes sont arrivées à une finesse de catégories qui s’élargissent. L’appel à la grève du 14 juin ajoute des revendications, sur l’espace public, la souveraineté alimentaire ou encore le droit des migrantes. La catégorie femmes n’est pas homogène. Et il y a une importante option internationaliste», souligne Stefanie Prezioso, faisant écho aux millions de femmes mobilisées, notamment aux Etats-Unis, contre les retours en arrière, en matière d’avortement par exemple. «En Suisse aussi, des millions de femmes créent aujourd’hui entre elles, au-dessus d’elles, à travers elles, autre chose, une conscience de groupe. Les femmes qui s’engagent ne se disent pas toutes féministes mais défendent ces valeurs, contre les différentes facettes de la domination.»


«C’est l’égalité qu’on veut, l’égalité de fait, pas des petits discours. On veut créer une onde de choc»

Egalité entre femmes et hommes, quels progrès, quelles résistances, quels enjeux? C’est autour de ce questionnement que s’est déroulée la table ronde qui a suivi la conférence de Stefanie Prezioso (voir ci-dessus). Animée par la journaliste Laurence Froidevaux de la RTS, elle a réuni trois autres figures féminines: Françoise Messant, professeure honoraire de sociologie du travail à l’Unil, Maria Pedrosa, secrétaire syndicale au Syndicat des services publics, et l’étudiante Noémie Rentsch, du collectif «Unil-EPFL pour une grève féministe».

D’emblée, le débat a porté sur les attentes et les rêves de la nouvelle grève. «J’espère que le 14 juin sera la fin de rien et le début de tout. J’ai 23 ans, je n’ai jamais vu un tel engouement, les femmes réalisent qu’elles subissent des discriminations», répond Noémie Rentsch. Observatrice durant de longues années du marché du travail, Françoise Messant souhaite que «la grève donne un coup de pied au travail domestique et de soins non rémunéré. Et que la lutte pour le partage de ce travail progresse et nous laisse voir le combat à mener pour une autre société.»

«J’attends une nouvelle onde de choc, permettant d’avoir des avancées féministes et sociales, lance Maria Pedrosa. Les femmes subissent encore beaucoup trop de discriminations dans le travail. On parle du plafond de verre, mais pas des femmes invisibles. Je souhaite que le 14 juin soit le début de leur prise de parole. L’égalité, nous devons aller l’arracher pour qu’elle devienne une réalité dans notre quotidien.» Même souhait pour Stefanie Prezioso: «Nous ne devons pas arriver à “plus de souvenir que d’avenir”. Cela va être une mobilisation sociale extrêmement importante. Si on arrive à prendre conscience de la force qu’on représente, c’est un premier coup de pied dans la fourmilière.»

Quelles priorités?

Face à la multitude des messages, où est l’urgence? interroge l’animatrice. «Nos 19 revendications ne brouillent pas les pistes, mais les étoffent, note Maria Pedrosa. La grève du 14 juin nous fait réfléchir dans un contexte international, va au-delà des revendications classiques du monde du travail. Les femmes sont confrontées à des discriminations qui sont de la violence sur les lieux de travail, qui peut se répercuter ailleurs, dans le privé, sur la place publique. Nos 19 points, c’est la volonté d’être le plus inclusives possible, pour rassembler au-delà des collectifs lors des actions du 14 juin.» «Le fait de parler de grève implique que l’on mêle le travail salarié et la fonction de reproduction sociale, c’est un tout, ajoute Stefanie Prezioso. La diversité des revendications fait sens dans les deux mobilisations de taille actuelles que sont la grève pour le climat et celle des femmes.»

L’urgence, pour Françoise Messant, est dans la redéfinition du travail domestique. «Il y a eu une énorme avancée dans la formation. 60% des femmes actives aujourd’hui travaillent à temps partiel. La moitié à moins de 50%. Cela apporte très peu de choses au niveau de la promotion, des rentes. Je rappelle que la pauvreté est féminine. Le temps partiel imposé est le fer de lance de la flexibilité.»

Où agir en premier face au sexisme et aux inégalités? «Partout!» lance Maria Pedrosa indiquant que, depuis que l’idée d’une nouvelle grève a été lancée, en 2018 au Congrès des femmes de l’USS, les syndicalistes réfléchissent à la manière de les mobiliser sur leurs lieux de travail. «Au syndicat, nous avons des cas très concrets, comme cette infirmière qui rentre de congé maternité et n’a plus son poste… Nous avons la Loi sur l’égalité, la Constitution, et on doit se battre comme des folles pour faire admettre qu’il s’agit d’un licenciement abusif! Le Parlement tergiverse sur l’égalité salariale, le manque de places en crèche est énorme. On en a marre d’attendre, il n’y a pas un lieu où il n’y a pas d’inégalité, il y en a mille.»

L’autonomie, essentielle

«Les changements doivent partir du bas. On n’attend rien du haut, des élus, ce n’est pas là qu’il faut regarder si on veut trouver le salut», précise Noémie Rentsch, évoquant les attaques subies par les femmes, contre les retraites, le droit à l’avortement, ou le droit de disposer de son corps. Un sujet également au cœur du débat. «Il faut prendre conscience que le harcèlement sexuel n’est pas de la séduction mais de la domination», relève Maria Pedrosa. Alors que Stefanie Prezioso souligne «les pas de géant faits sur le plaisir féminin par rapport aux années 1960-1970». «Ces questions reposent sur l’autonomie des femmes, sur les moyens d’être indépendante, de gagner sa vie, rappelle Françoise Messant. Avant, il fallait demander à son père, à son mari, de pouvoir travailler. Cette autonomie est la base, le fondement de l’amélioration de nos vies.»

«Il faut créer un rapport de force pour que les politiques nous entendent. On veut provoquer une onde de choc, c’est l’égalité qu’on veut, l’égalité de fait, pas des petits discours», conclut Maria Pedrosa, avant que ne s’ouvre un large débat avec le public. Débat dans lequel la place des hommes dans la mobilisation a été interrogée, notamment par l’un d’eux indiquant que certains se voyant relégués à l’arrière-plan interprètent cela comme de l’exclusion. «C’est dommage, le mouvement se prive du soutien d’une partie de la population», note un autre. «L’idée qu’ils sont exclus est un mensonge, lance Noémie Rentsch. On n’a jamais dit qu’on ne veut pas les hommes le 14 juin. C’est intéressant de leur demander de prendre en charge la cuisine, les enfants, etc. C’est de l’exclusion ça?» Et la jeune femme de conclure: «Si le 14 juin, les femmes ne sont pas au centre, je ne sais pas quand elles le seront!»

Exposition «91-19: D’une grève à l’autre»

A l’occasion de la nouvelle grève des femmes du 14 juin, le Bureau de l’égalité de l’Université de Lausanne organise une exposition de photos pour relater l’histoire du mouvement des femmes en Suisse. L’exposition, qui comprendra des images de la grève de 1991, provenant des Archives cantonales vaudoises, et des photographies plus récentes, se déroulera du lundi 3 juin au vendredi 30 août au rez-de-chaussée du bâtiment Unicentre à Dorigny.

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