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«Le marché du travail laisse peu de place à la vulnérabilité»

Cusine du café Graap.
© Neil Labrador/Archives

Le maintien du lien et la poursuite d’une activité sont essentiels pour les personnes souffrant de problèmes psychiques. A Lausanne, le café du Graap «Au Grain de Sel» œuvre à déstigmatiser la maladie psychique.

Les associations d’entraide pour les personnes souffrant de troubles psychiques appellent à la mise en place d’un «revenu de contribution sociale»

En marge du 10 octobre, Journée mondiale de la santé mentale, la Coordination romande des associations d’action pour la santé psychique (Coraasp) alerte les autorités sur les conséquences de la pandémie et formule des recommandations. La faîtière qui regroupe 28 organisations d’aide et d’entraide actives dans l’accueil, l’accompagnement et le développement de projets communautaires avec et pour les personnes souffrant de troubles psychiques et les proches – représentant ainsi quelque 6000 personnes – craint que «le nombre de personnes affectées dans leur santé mentale augmente de façon considérable». Parallèlement, si la révision de l’assurance invalidité prévoit la réinsertion des personnes atteintes dans leur santé psychique dans le «premier marché du travail» (le marché ordinaire), ce dernier est toujours plus exigeant et risque de l’être d’autant plus avec la crise économique générée par la pandémie. Ce contexte pourrait avoir «des conséquences néfastes sur la mise en œuvre du Développement continu de l’AI adopté par le Parlement fédéral en juin dernier*», estime la Coraasp, qui redoute que «les entreprises potentiellement déjà réticentes à l’engagement de personnes en situation de handicap aient bien d’autres préoccupations que celles de favoriser l’intégration de personnes atteintes dans leur santé psychique». La faitière craint également que «les autorités politiques tendent à vouloir absorber les coûts de la crise en mettant la pression sur les assurances sociales et sur les subventions versées aux organisations».

Toujours plus exigeant

Florence Nater, directrice de la Coraasp, partage son analyse lors d’une conférence de presse: «Dans le cadre de la révision de l’AI, nous étions déjà dubitatifs sur les possibilités de réinsertion. Et aujourd’hui, c’est pire encore. Et pourtant, ce n’est pas une question de compétences, mais d’inadéquation au marché du travail: le rythme de travail, les exigences de performances et de résultats sont incompatibles avec les conséquences d’un trouble psychique. Le marché du travail d’aujourd’hui est déjà très exigeant; il ne laisse pas beaucoup de place à la vulnérabilité.» A ses côtés, Robert Joosten, mathématicien et webmaster au Graap (groupe d'accueil et d'action psychiatrique), est à l’AI depuis 2002 pour des raisons psychiques. Il témoigne: «Ma rente AI m’a permis de développer certaines activités associatives qui ont débouché sur un travail rémunéré à temps partiel. Cette sécurité financière est capitale pour ma santé psychique.» Il considère sa situation comme bonne grâce à son deuxième pilier qui complète sa rente, mais souligne que de nombreuses personnes sont dans des situations précaires.

Pierre-Alain Fridez, président de la Coraasp, médecin et conseiller national, fait remarquer que beaucoup de personnes ayant des difficultés psychiques ne sont pas reconnues par l’AI et vivent donc uniquement de l’aide sociale. «Elles fournissent des prestations au sein des associations, car elles ont besoin de s’engager et ont des compétences, mais sans aucune reconnaissance.» C’est le cas des bénévoles de l’association autogérée L’Expérience à Genève. Jean-Marc Allaman, son président, ajoute: «Cet engagement associatif permet de cultiver le lien social et de lutter contre l’isolement. Il contribue à l’équilibre de la santé psychique des membres. Et la militance participe à la déstigmatisation des personnes.»

Un revenu de contribution sociale

Ce travail d’utilité publique représente une plus-value pour la société qui doit être reconnue, selon la Coraasp, en renforçant les prestations de l’AI et en étudiant la possibilité d’introduire «un revenu de contribution sociale». Une forme de reconnaissance du travail et des compétences mises à disposition de projets collectifs. Pour les associations, «le développement de bourses de bénévolat ou encore la promotion d’un label» serait aussi d’un grand soutien. Le docteur Pierre-Alain Fridez souligne encore l’importance de ces lieux d’accueil: «On ne prend pas assez la mesure de ces liens, du contact régulier, de la confiance qui s’instaure.»

«Ce travail associatif permet de limiter les rechutes et les hospitalisations, précise Maxime Gilliéron, travailleur social à l’Afaap (l’Association fribourgeoise Action et accompagnement psychiatrique). Différentes activités, d’expression et de créativité, des groupes de parole et des occupations conviviales, permettent aux personnes de garder un rythme dans leur journée et leur semaine. Elles ont donc la possibilité d’être actives et d’éviter l’isolement, de maintenir un lien en société et de se soutenir entre pairs.» Catherine est l’une des personnes à avoir souffert de la fermeture du lieu d’accueil pendant le semi-confinement: «Heureusement que l’Afaap était tout de même semi-ouverte, par internet. Mais j’ai été l’une des premières à y retourner. Rien ne vaut le contact humain et de se sentir utile en animant des activités.»

Alors que des études antérieures à la pandémie indiquent qu’une personne sur deux souffre un jour ou l’autre de troubles psychiques dans sa vie, et que les coûts de la santé mentale se monte à plus de 11 milliards de francs par année en Suisse, une enquête menée en septembre par le Comité international de la Croix-Rouge, révèle que 41% des Suisses reconnaissent que la pandémie affecte négativement leur psychisme.

*Le Parlement a adopté la révision de la loi le 19 juin 2020. Il est prévu que le Développement continu de l’AI entre en vigueur le 1er janvier 2022.

Plus d’informations sur: coraasp.ch

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