Le 25 novembre, la Grève féministe s’est mobilisée pour dénoncer la violence à l’encontre des femmes. Avec pour objectif l’intégration de la notion de consentement dans le Code pénal suisse
«Quand c’est pas oui, c’est non! Sans consentement, c’est un viol.» A l’occasion du 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, la coordination romande de la Grève féministe a rappelé l’importance d’intégrer la notion de consentement dans la révision en cours du Code pénal suisse. Elle demande aussi des fonds permettant la mise en place de politiques de prévention et d’éducation sur les violences sexistes et sexuelles, et un renforcement des structures associatives actives dans ce domaine.
Partout, dans les rues, les collectifs féministes se sont mobilisés: servantes écarlates* à Genève et à Neuchâtel, stand et T-shirt de la honte détourné dans le canton de Vaud, bougies aux fenêtres en solidarité avec les femmes victimes de violences, entre autres actions symboliques. La veille, une table-ronde virtuelle réunissait de nombreuses spécialistes autour de la notion de consentement mutuel et des mesures de prévention.
La Suisse en retard
Lors de cette rencontre, le caractère restrictif de la définition du viol dans le droit suisse a été rappelé. Selon l’article 190 du Code pénal: «Celui qui, notamment en usant de menace ou de violence, en exerçant sur sa victime des pressions d’ordre psychique ou en la mettant hors d’état de résister, aura contraint une personne de sexe féminin à subir l’acte sexuel, sera puni d’une peine privative de liberté de un à dix ans.» L’utilisation d’un objet ou une pénétration autre que vaginale ne sont pas considérées comme un viol, mais comme une contrainte sexuelle (art. 189). De surcroît, la définition juridique présuppose que la femme s’est défendue physiquement. Or, comme l’ont signalé les intervenantes, cet accent mis sur la violence de l’auteur et le comportement de la victime est obsolète et méprisant. La loi date de 1942 et est à remettre dans son contexte. «L’adultère n’était alors pas autorisé en Suisse. Les femmes devaient prouver que, dans une relation hors mariage, elles étaient victimes, qu’elles s’étaient défendues bec et ongles pour sauver leur honneur, explique Cyrielle Huguenot, responsable des droits des femmes à Amnesty International Suisse. On revient de loin, car à l’époque le viol conjugal n’était pas non plus reconnu comme une infraction.» Il reste toutefois encore difficile à appréhender par de nombreux juges. Et le droit suisse ne retient toujours pas la notion de consentement.
Stéréotypes
«En réalité, dans la majorité des infractions sexuelles, les victimes connaissent leur violeur et sont sidérées, paralysées, dépassées par les événements. L’auteur n’a alors pas besoin d’utiliser de moyens de contrainte et les victimes ne peuvent pas obtenir justice. Beaucoup de cas passent entre les mailles de la justice, car celle-ci est fondée sur le viol stéréotypique: un inconnu qui agresse une femme dans une ruelle sombre», explique Cyrielle Huguenot. Ce qui représente dans les faits une petite minorité des cas.
«Nous sommes dans un vide juridique, car il n’y a pas de considération du “non” de la victime, renchérit Me Amel Merabet, avocate à Genève. Le législateur suisse pèche dans la protection des femmes en ne prenant pas en considération leurs réactions face à une agression. J’entends souvent des victimes dire: “Je voulais juste que ça passe. Et que ça passe vite.ˮ» Une «passivité» que l’avocat de l’agresseur retourne souvent contre la victime, sans tenir compte des réflexes du corps et de l’esprit en cas d’attaque.
Sensibiliser
L’importance de la prévention, et ce dès l’enfance, a été soulignée par Céline Blaser, éducatrice spécialisée, membre du collectif jurassien. Elle a présenté le programme «Sortir et se respecter», obligatoire dans le canton du Jura pour les élèves en dernière année du cursus obligatoire: «La notion de consentement fait partie de cette formation. On valorise les comportements respectueux dans le cadre de relations amoureuses. On parle des conflits et de la violence. Souvent, pour ces jeunes, une agression sexuelle est synonyme de viol. Ils n’ont pas forcément conscience que toucher ou embrasser une personne contre sa volonté ou lui envoyer des messages insistants peut déjà être vécu comme une agression. Car certains consomment des images à caractère sexuel assez crues et des séries télé qui montrent encore qu’un homme obtient ce qu’il veut par la violence. On réfléchit à ces constructions liées aux stéréotypes de genre et à leurs influences sur nos comportements. Stéréotypes qui nous emprisonnent dans des modes de faire qui ne nous correspondent pas forcément.»
En conclusion, Cyrielle Huguenot a souligné la nécessité de faire entrer cette notion de consentement dans la loi et dans les têtes: «Il y a un travail sociétal à réaliser pour sortir de la culture du viol qui minimise les violences sexuelles, voire les rend glamour, pour entrer dans une ère de respect.» La Convention d’Istanbul, signée par la Suisse en 2018, fait ainsi figure de phare pour Kaya Pawlowska, juriste engagée au sein du collectif genevois: «C’est notre cheval de Troie. Cette convention est très féministe, car elle met en avant ce rapport de pouvoir et de domination dans les couples et revendique un consentement mutuel égalitaire.» Pour les militantes, l’inscription de cette notion dans la loi aura un effet domino positif sur toutes les sphères de la vie, sociales et professionnelles.
*Du nom du roman féministe de Margaret Atwood.