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En mal de droits

Grève des femmes du 14 juin 2019 à Lausanne.
© Yves Leresche

Photo tirée de l'exposition "Quoi de neuf pussyhat?" au Musée historique de Lausanne.

Le Musée historique de Lausanne se questionne autour de la construction des rôles et des identités de chacun. Visite avec une commissaire de l’exposition

«Quoi de neuf pussyhat?» interroge le Musée historique de Lausanne. Une façon de rebondir sur l’anniversaire du suffrage féminin mais aussi et surtout de parler d’égalité entre les hommes et les femmes. «Il s’agit de dresser un état des lieux. Où en sommes-nous aujourd’hui?» interpelle Marie Acker, l’une des commissaires de l’exposition, titulaire d’un master en musicologie et histoire de l’art. «Le musée retrace l’Histoire et la déconstruit afin de mieux comprendre les mécanismes de construction des rôles et des identités au sein de notre société.» La guide commence la visite en parlant du Pussyhat (un bonnet rose à oreilles de chat tricoté par des milliers de participants à la marche des Femmes en 2017, faisant suite à une déclaration sexiste du président américain Donald Trump). Elle précise qu’il s’agit d’un signe de ralliement, d’une réappropriation de l’espace public par les femmes. «Ce symbole a été repris par de nombreuses stars. Il est intéressant de noter que le féminisme est devenu quelque chose de sexy, à la mode.»

Avec comme point de départ l’actualité récente – le mouvement #MeToo, la Marche des femmes ou encore la Grève du 14 juin 2019 – l’exposition décrit les origines et le regain récent des mobilisations féministes. «Nous avons cherché à reproduire le foisonnement que représentent ces questionnements. C’était un jeu de rendre cette installation vivante tout en restant structurée.» Un pari que le musée relève avec brio grâce à la diversité des supports – photos, vidéos, pancartes, affiches, éléments sonores – et des approches plurielles: historique, médicale, publicitaire ou encore culturelle.

Vue de l'exposition.
Vue de l'exposition "Quoi de neuf pussyhat?" © Marie Lou Dumauthioz.

 

Licorne et bazooka

Au travers d’une vitrine séparant des jeux pour les filles de ceux pour les garçons, la section «Licorne et bazooka» nous questionne sur l’éducation différenciée des enfants. Publicités, affiches, ou encore études le montrent: les jeunes tendent globalement à adopter des comportements conformes aux clichés de genre. Un mécanisme involontaire et souvent amené, dès le plus jeune âge, par les parents. Une expérience de la RTS, menée en 2019, le démontre. Celle-ci mettait en scène un père qui, se retrouvant dans une pièce remplie de jouets, dirigeait automatiquement son fils ou sa fille vers des jeux genrés. Ainsi placées sur l’échiquier social, les personnes se voient, dès la naissance, attribuer des rôles qui les limitent dans l’expression de leur individualité. Un phénomène qui ne s’améliore pas avec l’âge. «Il est intéressant de noter qu’une femme qui accède à un métier «d’homme» sera aujourd’hui encouragée. Le contraire est très rare.» En témoigne l’affiche aux allures loufoques d’un homme passionné de natation synchronisée.

Théorie de la différence

«Avant le 18e siècle, on considérait que les femmes étaient socialement différentes des hommes mais qu’elles étaient biologiquement similaires. On pensait notamment que les parties génitales de ces dernières étaient simplement retournées.» Puis, au tournant du siècle des lumières, la science vient s’immiscer dans le débat et construit gentiment une hiérarchie des genres. «En soulignant, par exemple, l’anatomie “inférieure” des femmes pour justifier leur exclusion des activités de pouvoir», précise l’historienne de l’art en désignant deux planches opposant un squelette féminin, aux allures frêles, à un autre masculin, fort et puissant. «Cet aspect de fragilité, souvent associé aux femmes, est aujourd’hui encore observé dans le corps médical. Beaucoup de maladies, comme celles cardio-vasculaires, ne sont pas dépistées assez tôt chez les femmes car on les associe à des symptômes psychologiques.» Plus loin, toujours dans le domaine de la santé, la conférence enregistrée d’une chercheuse démontre qu’un gros cerveau ne signifie pas de plus grandes capacités intellectuelles. Et d’illustrer le propos en mentionnant celui d’Einstein qui était très petit.

Instrumentalisation du corps

Recouvrant un mur, des affiches nous renvoient des corps féminins. La bouche en cœur ou habillées en hôtesses de l’air, chacune des femmes immortalisées reflète les stéréotypes de genre, bien affirmés dans le domaine commercial. Même une ancienne campagne du parti socialiste joue sur le registre de la nudité et de la séduction. «Difficile d’y voir un lien avec la politique, déplore Marie Acker. L’instrumentalisation du corps féminin est très présente dans la publicité. Les femmes y sont souvent dans des postures de soumission ou sont représentées dans des métiers subalternes, comme ceux liés aux soins.» Face à ce mur de clichés, un portrait d’Iggy Pop questionne des attributs conventionnels de l’un ou l’autre sexe. Revêtu d’une robe, il affirme: «Je n’ai pas honte de m’habiller “comme une femme”, car je ne pense pas qu’il soit honteux d’être une femme.» Alors si la stricte binarité se voit dépassée, que signifie la masculinité aujourd’hui?

Vers des chemins égalitaires

«Ton GHB dans mon verre, mon poing dans ta gueule», lit-on sur la photo géante d’un slogan collé sur la porte de l’Espace autogéré de Lausanne et affichée dans une autre salle du musée. Collages, tags ou encore révision des livres d’histoire, chaque moyen permet aujourd’hui aux mouvements féministes de faire émerger des réalités jusqu’ici banalisées. «L’utilisation de la rue diffère grandement si l’on est un homme ou une femme. Les uns occupent celle-ci en bandes alors que les unes n’y restent pas et redoutent cet espace dans lequel elles ne se sentent pas en sécurité. On les culpabilise même des agressions qu’elles y subissent en leur laissant entendre, par exemple, qu’elles n’avaient pas à être dehors si tard.» Au terme de la visite, on peut encore observer une carte de Lausanne avec, en orange, le nom des rues baptisées en hommage à des hommes et, en violet, les rares attribuées à des femmes. Un autre contraste flagrant des différences entre les genres. Mais une envie aussi, de tracer de nouveaux chemins vers un monde plus égalitaire.