Mobbing, harcèlement, situations de sexisme, racisme: Unia a présenté à l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail 15 nouvelles dénonciations concernant la manufacture horlogère genevoise Patek Philippe. Le syndicat signale une gestion des conflits particulièrement défaillante, témoignages à la clef
Jeudi dernier, Unia Genève a présenté à l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail (OCIRT) de nouvelles dénonciations concernant Patek Philippe.
Pour mémoire, début juin, le syndicat signalait les conditions de travail délétères régnant dans la manufacture de haute horlogerie genevoise. Devant les médias, six employés et ex-salariés avaient témoigné du stress, du harcèlement, du mobbing ou encore, pour l’un, du racisme, dont ils sont ou avaient été victimes. Deux d’entre eux avaient été licenciés après avoir dénoncé ces faits à la hiérarchie, les autres étaient poussés à se taire sous peine d’être sanctionnés. Après avoir cherché en vain une solution avec les ressources humaines (RH) de la société horlogère, Unia avait saisi l’OCIRT, déposé des recours au Tribunal des prud’hommes et une plainte pénale pour discrimination.
«Dès le lendemain de notre conférence de presse, nous avons été contactés par une quarantaine de personnes employées, licenciées ou ayant démissionné de Patek Philippe, qui ont voulu partager leur expérience, indique Alejo Patiño, secrétaire syndical d’Unia Genève. Les nouveaux témoignages vont dans le même sens que la première dénonciation, même s’ils proviennent d’autres services. La gestion des conflits est encore plus défaillante que ce que nous avions pu constater. Il faut que l’OCIRT comprenne qu’il ne s’agit pas d’un problème posé par un chef dans un atelier, mais que l’ensemble de l’entreprise est concerné.» Certaines personnes n’ont pas voulu que leur témoignage soit communiqué à l’OCIRT par peur des représailles, d’autres ont évoqué des faits remontant à une dizaine d’années; au final, ce sont quinze nouveaux cas qui ont été transmis à l’Inspection du travail. «Il s’agit principalement de mobbing et de harcèlement, de la part de collègues surtout, mais aussi de supérieurs. Il y a également un nouveau cas de racisme, dans un autre secteur que le premier, et des situations de sexisme.»
Le «harem» du responsable
«Mon responsable faisait régulièrement des allusions sur mes habits et sur son “harem”, car nous étions toutes des femmes dans ce secteur», peut-on lire dans le témoignage écrit de Nadine* transmis à la presse. La jeune femme en réfère à son directeur et aux RH. En vain. «J’ai ensuite subi du mobbing durant des mois et la situation est devenue invivable. Je me suis retrouvée à devoir gérer une masse impossible de travail.» A bout, l’employée finira par démissionner. «Ni la direction ni les RH n’ont jamais entrepris de protéger ma santé, mon intégrité. J’ai systématiquement été dénigrée sans que cela ne porte à conséquence pour les responsables.»
Dans une autre déclaration communiquée aux médias, Anne* relate de son côté les situations de racisme dont elle dit avoir été victime: «Un jour, un collègue m’a demandé de quelle tribu je venais; une autre fois, un collègue a pris un prétendu accent africain pour faire un commentaire méprisant sur les personnes de couleur devant d’autres employés, dont certains ont ri… Ces situations s’étant répétées, j’ai fait remonter ces faits aux RH et aux responsables.» La direction se fendra alors d’un communiqué interne sur la discrimination et le racisme en général sans lien évident avec la dénonciation de la collaboratrice, tandis que les RH ne prendront pas la peine d’en parler avec le personnel concerné. «Au contraire, lorsque je remontais ces faits, j’avais l’impression de me mettre dans une situation inconfortable. La façon dont on me traitait lors de ces échanges faisait penser que j’étais fautive, responsable de la situation. Cela ne m’incite pas à revenir vers eux, je n’ai pas confiance.» Un autre cas de racisme a été signalé à Unia, mais la victime n’a pas souhaité être entendue par l’OCIRT.
Attitude frileuse
«Dans les autres entreprises, lorsqu’un problème se présente, nous allons en parler aux RH et nous trouvons une solution. Chez Patek Philippe, il y a une non-entrée en matière sur tout ce que nous rapportons», déplore Alejo Patiño.
Mandaté par les travailleurs, Unia a été admis en qualité de partie par l’OCIRT. Le secrétaire syndical regrette toutefois l’attitude «un peu frileuse» de l’Inspection du travail jusqu’à présent. Si Patek Philippe a, par exemple, organisé une formation sur le harcèlement, l’OCIRT n’a pas exigé qu’elle soit donnée par un organisme externe ni assuré de suivi. Du coup, les intervenants dans ces formations sont les mêmes personnes qui ont averti ou licencié les collaborateurs qui avaient osé se plaindre!... «Durant une heure et demie, ils ne font que répéter en boucle ce qui avait été publié sur l’intranet au moment de la première plainte à l’OCIRT: “Il faut en parler surtout, n’hésitez pas, adressez-vous à votre partenaire RH”… Du blabla entendu maintes fois, rapporte Manuela*. Le mobbing est évoqué trente secondes seulement au début, le reste concerne le harcèlement sexuel. Pas un mot au sujet de l’OCIRT, aucun dialogue mis en place.»
Sur le front des licenciements abusifs et du Tribunal des prud’hommes, la conciliation pour le premier recours a échoué et passera en jugement. Deux autres dossiers sont en attente de conciliation. «D’autres cas sont à l’étude et les Prud’hommes seront probablement encore saisis à la rentrée», indique Alejo Patiño. Unia encourage vivement les travailleurs qui pourraient être licenciés à contacter le syndicat.
*Prénoms d’emprunt.