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«On assiste à une répression d’activités militantes qui devraient être protégées»

Avocats face aux médias.
© Neil Labrador

Le 13 janvier 2020, les douze militants écologistes jugés pour avoir organisé une partie de tennis dans les locaux lausannois de Credit Suisse avaient été acquittés par le Tribunal de première instance. Ici, une partie de leurs avocats. Ce premier procès climatique d’envergure a été suivi d’autres procédures à la suite d’actions de désobéissance civile.

De nombreux procès touchant les militants climatiques ont eu lieu depuis fin 2019. La Cour européenne est saisie dans deux affaires. Le point sur cette judiciarisation avec l’un des avocats engagés

Partie de tennis parodique, mains rouges, blocages de rues, Block Friday, Zad et autres actions pacifiques de désobéissance civile se sont multipliées ces dernières années, avec pour effets une sensibilisation accrue de l’opinion publique et une pression sur les institutions financières et politiques, mais aussi amendes et inscriptions au casier judiciaire pesant sur les militants climatiques. Les recours contre ces condamnations ont enclenché une série de procès. De nombreux avocates et avocats se sont engagés pour défendre la liberté d’expression et de manifestation ainsi que les droits fondamentaux à la vie sur Terre. Raphaël Mahaim est l’un d’eux. Il a notamment codéfendu les joueuses et les joueurs de tennis dans les locaux lausannois de Credit Suisse, qui s’apprêtent à saisir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à Strasbourg. Il coplaidera, d’ici à la fin de l’année, pour l’acquittement des militants ayant occupé les locaux des Retraites populaires à Lausanne lors d’une manifestation de la Grève du climat. Il est aussi l’un de ceux soutenant les Aînées pour la protection du climat dans leur plainte contre la Suisse pour non-protection de leur vie et de leur santé auprès de la CEDH. 


Quel est le lien entre les différents procès en cours?

On assiste à une répression pénale d’activités militantes qui devraient être au contraire protégées. Les questions de la désobéissance civile et de la liberté d’expression sont centrales. Dans une démocratie, celles-ci ont pour but de faire bouger les lignes. Or, condamner des militants pacifiques qui exercent leur droit à la liberté d’expression pour le bien commun revient à violer ces droits. L’arrêt du Tribunal fédéral (TF) qui a donné tort aux militants intervenus à Credit Suisse va malheureusement peser sur tous les autres procès. Reste que, si les juges, dans les affaires à traiter, ne s’opposeront pas frontalement à cette jurisprudence, ils peuvent faire une autre lecture de chaque situation, notamment sous l’angle de la liberté d’expression. Notre requête à la CEDH, et les autres qui vont suivre, pourrait aussi, à terme, donner tort au TF. J’ai bon espoir, car cette Cour considère la liberté d’expression comme un bien sacré et elle la protège de façon très élargie. De surcroît, dans le cas de la plainte des Aînées pour la protection du climat, elle l’a considérée comme prioritaire. Ce qui est déjà un très bon signe. Ce serait une première si la CEDH leur donne raison. La Suisse devrait alors se conformer à cette décision et prendre enfin des mesures fortes contre le réchauffement climatique. C’est ce qui s’est passé ce printemps dans le cadre de l’interdiction de la mendicité à Genève qui a été jugée par la Cour comme contraire aux droits fondamentaux. Le recours vaudois contre la loi interdisant la mendicité n’a pas encore reçu de réponse, mais cela sera vraisemblablement la même que dans l’affaire genevoise. En cas de non-respect de cette décision, n’importe quel mendiant peut saisir un tribunal et gagner en se fondant sur la jurisprudence de la CEDH. Autre exemple, sans le TF, le droit de vote des femmes en Appenzell n’aurait pas été appliqué (début des années 1990). Il n’y a rien de politique dans ces arrêts, il s’agit de faire respecter les règles de droit.

Dans son arrêt de juin, le TF conteste «l’état de nécessité licite». Point central qui se retrouve dans presque tous les procès. Or, certains juges, notamment à Genève, ont estimé que c’était un argument valable pour acquitter les militants. Comment expliquer ces jugements différents?

Le droit n’est pas une science exacte. Il y a toujours une marge d’interprétation. C’est une justice à visage humain avec ses forces et ses faiblesses, qui inclut interprétations et conflits de valeurs. Le premier juge dans l’affaire de Credit Suisse, pourtant PLR, a estimé que la politique était trop lente pour faire face à l’urgence climatique et que la désobéissance civile était nécessaire. Il a été le premier à reconnaître cet état de nécessité licite. En ce sens, il a été très courageux. Pour les juges et les avocats, cela a fait l’effet d’une onde de choc et lancé le débat. Le Tribunal fédéral a eu une lecture de l’affaire à l’extrême inverse. Pour lui, il dit presque en ces termes que, si on ne risque pas de mourir dans un avenir immédiat, dans les quelques heures ou les quelques minutes à venir, il n’y a pas état de nécessité. La réponse de l’Office fédéral de la justice (OFJ) à la CEDH à la suite de la plainte des Aînées est comparable. C’est cette analyse que nous combattons car, avec le réchauffement climatique, on ne peut pas attendre d’être à deux mètres du mur pour freiner lorsqu’on est dans une voiture lancée à 100 km/h. Les scientifiques calculent que la trajectoire actuelle, en Suisse, dépasse déjà les 3°C de réchauffement…

L’Office fédéral de la justice dans sa réponse à la CEDH estime que la requête des Aînées pour la protection du climat est irrecevable. Pourquoi?

Le droit suisse a une vision très individualiste. Hormis quelques exceptions, seules les victimes directes peuvent porter plainte individuellement. Cet écueil procédural n’existe pas en France, en Allemagne ou en Hollande où des Tribunaux sont entrés en matière sur des plaintes analogues de collectifs ou d’associations et ont donné raison aux plaignants. Le TF invoque comme argument principal que les Aînées ne sont pas plus victimes que les autres. De notre côté, nous faisons le raisonnement inverse: si chacun est victime, elles aussi bien sûr. Et les études scientifiques révèlent que les femmes âgées sont particulièrement victimes de l’augmentation des températures (risque de décès plus élevé, maladies respiratoires, cardiovasculaires, etc.).

Au niveau juridique, la forme de l’action n’éclipse-t-elle pas le fond du problème?

C’est vrai. Toutefois, chaque procès permet de médiatiser la problématique. Les actions touchant les banques ont ainsi mis en lumière les investissements écocides des institutions financières suisses, qui représentent vingt fois la pollution de la Suisse, industries comprises. L’affaire de Credit Suisse et des joueurs de tennis a eu un écho planétaire. En se moquant gentiment d’une banque et de son égérie Roger Federer, ces jeunes ont été des lanceurs d’alerte et des précurseurs. S’ils n’ont jamais eu la prétention de résoudre le problème climatique, ils ont permis une accélération de la prise de conscience. Le défi étant de transformer cette prise de conscience en actes.

Dans l’affaire de la parodie de match de tennis, c’est le Ministère public qui a fait recours à la suite du premier jugement. Actuellement, des zadistes risquent des peines de prison ferme de 2 à 3 mois, alors qu’Holcim a retiré sa plainte. N’y a-t-il pas un acharnement répressif de la justice?

Les procureurs se sentent investis d’une mission qui consisterait à défendre un ordre qui aurait été perturbé. Or, la désobéissance civile vise justement à bouger les lignes de l’ordre établi. Cette répression, c’est le système qui se défend, car il se sent désécurisé. Dans l’histoire, la désobéissance civile n’a jamais été matée. Elle a disparu, lorsque l’ordre établi a intégré les revendications des activistes. Les actions climatiques disparaîtront d’elles-mêmes, quand les mesures prises seront à la hauteur des enjeux.

La lenteur juridique et politique est-elle compatible avec l’urgence climatique?

Alors que l’urgence s’accentue, la lenteur devient en effet un problème en soi. Je n’ai pas la solution. S’il y a une accélération des intentions politiques, il manque encore de mesures volontaristes. Or, nous devons rapidement nous passer des énergies fossiles et contrôler la société du tout-numérique, entre autres mesures décisives pour le climat.

La Loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme (MPT) risque-t-elle de viser les militants climatiques?

J’ai des craintes. Avant même la votation, il y a eu le cas de trois jeunes grévistes du climat perquisitionnés chez eux par Fedpol une année après avoir lancé un Appel invitant à la grève militaire. J’espère toutefois que le TF saura poser des limites pour éviter les dérives, comme il l’a déjà fait. Car, si la Cour pénale a débouté les joueurs de tennis, la première Cour de droit public a estimé, dans une autre affaire, que récolter l’ADN de militants pour le climat était excessif. Au fond, les deux Cours du TF se contredisent.

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