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«La situation climatique est une urgence sans précédent»

Manifestation de jeunes pour le climat.
© Thierry Porchet

L’action pacifique de grévistes pour le climat dans les locaux des Retraites populaires à Lausanne, pour dénoncer ses investissements fossiles, s’était déroulée au cours d’une manifestation pour le climat, le 15 mars 2019. Plus de 15000 personnes avaient défilé dans les rues de la capitale vaudoise avant de se rassembler à la Riponne (photo).

Des scientifiques sonnent l’alerte et souhaitent être entendus par les juges lors des nombreux procès en cours. Entretien avec l’une d’entre eux, la climatologue Martine Rebetez

Depuis plus de trente ans, Martine Rebetez travaille sur les bouleversements climatiques. Climatologue à l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage et professeure à l’Université de Neuchâtel, la spécialiste est également membre du comité scientifique des Grands-parents pour le climat. En mai dernier, elle était prête à témoigner lors du procès à Neuchâtel d’activistes du climat, puis à Fribourg lors de l’audience concernant le Block Friday. Mais elle n’a jamais été convoquée. Dernièrement, elle est l’une des scientifiques à s’être adressés au juge, via une annonce dans le journal 24 heures, lors du procès de treize militants écologistes. Ceux-ci ont été finalement condamnés fin novembre pour avoir investi les locaux des Retraites populaires à Lausanne; et ont déjà annoncé faire appel. Un procès parmi beaucoup d’autres, à la suite d’actions de désobéissance civile. Pendant ce temps, la planète continue de se réchauffer dangereusement, générant des phénomènes extrêmes dont cet été ne nous a offert qu’un aperçu.


Vous avez accepté la demande des avocats de témoigner lors de plusieurs procès, à Neuchâtel et à Fribourg en mai, à Lausanne dernièrement. Pourquoi?

Il me semble essentiel que des scientifiques, pas forcément moi, je tiens à le souligner, puissent être entendus pour que les juges soient informés précisément. La situation climatique se détériore constamment, avec une gravité et à une vitesse difficiles à appréhender si l’on n’est pas dans le domaine. Les quantités d’émissions de gaz à effet de serre ont été telles, depuis 2015, que tous les scénarios envisagés par le GIEC sont systématiquement et largement dépassés. Les limites ne s’annoncent plus à des horizons 2050, mais plutôt 2030, pour ne pas dépasser le 1,5 °C de réchauffement (nous sommes déjà à 1,1 degré supplémentaire, ndlr). Le Tribunal fédéral affirme que la Suisse s’est engagée à respecter l’Accord de Paris. Or, cela ne signifie pas pour autant qu’elle se donne les moyens de le faire. Dans les deux procès où des scientifiques ont été écoutés par les juges, ceux-ci ont acquitté les prévenus. Ailleurs, ces derniers ont été condamnés.

Si vous étiez acceptée comme témoin lors d’un procès, que diriez-vous au juge?

Je répondrais aux questions concernant mon domaine qui est le climat. Je ne suis pas compétente sur des questions de droit. Je ne me permettrais pas de me prononcer sur d’éventuelles sanctions. Je soulignerais la désinformation provenant des lobbies des énergies fossiles. Ceux-ci continuent de prétendre que les humains ne sont pas responsables du réchauffement ou qu’il n’est pas urgent d’agir. Jusqu’au sein du Parlement, les lobbies sèment le doute pour éviter qu’on réduise la consommation de pétrole. Dans les années 1960-1970, lorsque l’on a confirmé que les CFC (chlorofluorocarbures, ndlr) détruisaient la couche d’ozone, les entreprises chimiques ont investi dans des campagnes de désinformation jusqu’à ce qu’elles trouvent un produit de remplacement. Ces campagnes ont alors cessé et des accords internationaux ont pu être signés. Or, aujourd’hui, ce ne sont pas les mêmes personnes qui vont profiter des énergies renouvelables. L’énergie solaire, par exemple, n’est pas une rente aussi intéressante que le pétrole, car une fois les panneaux posés, elle est gratuite.

Les peines ont été confirmées pour les activistes des Retraites populaires. Votre annonce n’a-t-elle servi à rien? Et la désobéissance civile, a-t-elle atteint ses limites?

Le but de l’Appel était plus général que ce seul procès, c’était une formule rhétorique, et il visait un procès équitable plus que l’acquittement lui-même. Je refuse de juger la démarche des activistes. J’informe sur le changement climatique depuis tellement longtemps sans grand résultat, que je ne me permettrais pas de donner des leçons. Si je savais comment faire pour que les choses progressent, j’aurais déjà donné la recette. Je ne suis ni militante, ni politicienne, mais scientifique. J’ai donné des conférences à tous les partis. Il y a trente ans, on m’invitait à parler du réchauffement climatique entre la poire et le fromage, c’était intéressant et un peu préoccupant, puis on retournait aux affaires courantes. Les consciences ont bien sûr évolué depuis, mais malheureusement pas assez vite.

En 2011, vous avez écrit un livre intitulé La Suisse se réchauffe. Effet de serre et changements climatiques. Dix ans plus tard, quel est votre constat?

Je n’aurais jamais imaginé une dégradation aussi rapide de la situation. Les scénarios du GIEC reposaient au pire sur une stabilisation des émissions de gaz à effet de serre, au mieux sur une réduction. Or, chaque année elles augmentent et s’accumulent dans l’atmosphère pour des siècles. C’est ce cumul qui fait que notre marge de manœuvre s’est drastiquement réduite. La situation climatique est une urgence sans précédent pour l’humanité, pour la santé, le risque de catastrophes naturelles, les difficultés d’approvisionnement alimentaire, etc.

Où en est la Suisse dans sa politique climatique?

La Suisse est largement en retard. Et elle est responsable d’encore beaucoup plus d’émissions en dehors de ses frontières que sur son territoire, sans compter ses investissements financiers dans les énergies fossiles et la déforestation. Alors qu’elle a les moyens financiers et techniques pour changer très rapidement. Ce qui l’empêche d’agir? Les lobbies essentiellement. Il y a des liens trop forts entre certains politiciens et les milieux pétroliers.

Comment voyez-vous la situation dans dix ans?

Surtout davantage de canicules, de sécheresses graves, de précipitations catastrophiques. La fonte des glaciers et du pergélisol va se poursuivre, l’enneigement va encore diminuer. Et l’on va poursuivre la transition vers le renouvelable. Nous sommes passés du bois au charbon, puis au pétrole, et il est certain que les énergies renouvelables vont remplacer le fossile. Mais à quelle vitesse? Au rythme actuel, cela prendrait 100 ans. Or, nous sommes face à une urgence. Nous insistons sur la nécessité de ne pas dépasser 1,5 à 2 degrés de réchauffement, car plus le réchauffement est grand, plus le risque d’emballement du système est grand.

Afin de réduire et de supprimer les émissions de gaz à effet de serre, un désinvestissement massif des énergies fossiles et des causes de la déforestation est urgent, ainsi que la fin des subventions à ces secteurs. S’ils perdent en rentabilité, les flux financiers vont diminuer. En Suisse, une solarisation à haute vitesse devrait être mise en place dès maintenant. Le solaire est aujourd’hui financièrement très intéressant, c’est le bon moment.

Des scientifiques en soutien au gréviste de la faim

Dans une lettre ouverte, datée du 29 novembre, des scientifiques expriment leur inquiétude pour la santé de Guillermo Fernandez, papa en grève de la faim à Berne depuis le 1er novembre*, et demandent au Gouvernement suisse d’accéder à sa demande: soit une séance d’informations destinée aux Parlementaires sur les conséquences des crises climatiques et de la biodiversité donnée par des scientifiques. Les signataires sont basés en Suisse et ont contribué au 6e rapport d’évaluation du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) ou aux rapports de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques). Ils dénoncent, dans cet Appel, l’insuffisance de la politique climatique de la Suisse.

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