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Des larmes et une solidarité concrète

Les époux Shevchenko et Alessandro Pian.
© Olivier Vogelsang

Les époux Shevchenko et Alessandro Pian collectent du matériel pour venir en aide à des familles en Ukraine. Les deux hommes ont organisé un premier voyage en bus en mars suivi de plusieurs autres.

Aidé de son épouse et d’amis, Anatoliy Shevchenko, maçon, consacre son temps libre à récolter et à acheminer des produits de première nécessité en faveur de familles en Ukraine

Le 24 février dernier restera à jamais gravé dans la mémoire d’Anatoliy Shevchenko et de son épouse, Kateryna. «J’ai regardé les nouvelles tôt le matin et j’ai pleuré en apprenant que les troupes russes avaient envahi mon pays. C’était impensable», raconte Anatoliy Shevchenko. Bouleversé, le maçon, qui travaille comme chef d’équipe pour le compte d’une succursale de l’entreprise de construction Walo, dans le canton de Vaud, accroche au sommet de la grue du chantier un drapeau de sa patrie. Une manière pour cet homme, syndiqué chez Unia, d’exprimer sa solidarité avec son peuple, tout en pensant à sa mère et à son frère demeurés au pays... Son épouse est également sous le choc. «Je me suis demandée comment Russes et Ukrainiens qui formaient par le passé “une même famille” ont pu en arriver là. Un non-sens.» Mais pas question pour le couple, parents de deux enfants de 16 et 25 ans, de rester les bras croisés. Le premier effroi passé, les Shevchenko activent leur réseau avec l’idée d’acheminer de l’aide humanitaire en Ukraine. Ils sont informés, via les réseaux sociaux, du départ de deux véhicules pour la Moldavie. «Nous avons alors acheté de la nourriture et rassemblé des vêtements.» Le début d’un engagement qui sera suivi par de nombreuses autres actions.

Donner des coups de main

Le couple commence alors à collecter du matériel. Produits d’hygiène, conserves, médicaments... sont stockés dans un garage à Orbe appartenant à Eugenia Sidorenko, une compatriote qu’il connaissait déjà: «La guerre nous a rapprochés. Nous avons décidé d’agir ensemble», note cette dernière, précisant que toute sa famille vit dans la région de Donetsk et Kharkiv. «Pas facile de dormir la nuit...» Eugenia Sidorenko se charge de la logistique du projet comprenant l’étiquetage dans les deux langues, en ukrainien et en russe, des articles rassemblés. Et va mettre les Shevchenko en contact avec Alessandro Pian. Cet entrepreneur, propriétaire d’une société de courtage en assurances, projette en effet de se rendre à la frontière ukrainienne pour ramener des personnes désireuses de fuir le pays. «Il s’agissait d’amis de mon associé professionnel. Plutôt que de rouler à vide, j’ai cherché un bus. Et suis parti avec Anatoliy Shevchenko et la marchandise.»

De père italien et de mère belge, Alessandro Pian souligne être particulièrement affecté par le conflit. «Il a remué mon histoire familiale, évoqué des souvenirs de récits de guerre de mes parents. Je pleurais tous les soirs. Et voilà que ça me reprend», explique-t-il d’une voix étranglée tout en séchant ses yeux humides. «J’ai choisi de devenir entrepreneur pour donner des coups de main», affirme-t-il encore, avant de poursuivre le récit.

Une vie dans un sac de sport

Alessandro Pian et Anatoliy Schevchenko ont rendez-vous à la frontière à la hauteur de Lviv, dans une zone neutre, où des connaissances provenant de Kiev viennent récupérer la cargaison. Quant aux personnes que les voyageurs sont censés ramener en Suisse, elles ne parviendront finalement pas à quitter l’Ukraine. Pas question de se décourager. Les deux compères veulent se rendre utiles jusqu’au bout. Ils rejoignent un ancien centre commercial réaménagé pour accueillir des réfugiés à la frontière polonaise. Et propose leurs bons offices pour véhiculer une famille souhaitant aller en Suisse. «Ludwilla, 42 ans de vie tenant dans un sac de sport, son fils de 19 ans, étudiant en droit, et leur chat ont pris place dans le bus. Mais pas seulement», raconte Alessandro Pian, précisant que le groupe fera encore un large détour en République tchèque pour gagner un autre centre pour réfugiés où se trouvent le deuxième enfant de Ludwilla – une adolescente de 13 ans – et sa mère de 62 ans. «Les retrouvailles ont été intenses.» La famille réunie – «des gens formidables» – vivra un mois sous le toit de l’entrepreneur avant d’être relogée dans un appartement.

Fini pour cent ans...

Depuis ce premier voyage en mars, l’équipe continue à rassembler du matériel et effectue périodiquement des allers-retours, en fonction des disponibilités et des arrivages. A ce jour, cinq traversées ont déjà été réalisées avec l’aide de différents chauffeurs. Anatoliy Shevchenko souligne la formidable générosité de ses collègues à Walo qui alimentent largement les collectes – dont également des appareils électroménagers pour les arrivants – et aussi des dons en espèces pour payer les frais d’essence et les péages. Il peut aussi compter sur son réseau d’amis au Portugal. Avant de venir en Suisse, l’Ukrainien a en effet travaillé douze ans dans ce pays... «Je suis touché par cette solidarité. Un immense merci aux collègues.» «Bien sûr, ce n’est qu’une goutte d’eau dans la mer, mais c’est important de témoigner de notre soutien, de notre humanité», renchérit Alessandro Pian. Anatoliy Shevchenko ajoute encore: «Je n’accorde plus le même intérêt aux valeurs d’avant: argent, maison, etc. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi des Ukrainiens doivent mourir. Nous étions autrefois très liés avec les Russes. Maintenant, pour cent ans en tout cas, c’est fini», ajoute le maçon, qui avait aussi bossé plusieurs années à Moscou. Kateryna acquiesce en silence. A de nombreuses reprises, elle essuiera ses larmes. «Nous n’avions pas de problèmes par le passé. L’unique responsable de cette guerre, c’est Poutine. Le droit à la parole n’existe pas en Russie.» Entre colère et tristesse, chacun tente encore une lecture des événements. Non sans s’interroger aussi sur les politiques de tous les pays. Et Anatoliy Shevchenko de manifester son admiration pour le président Volodymyr Zelensky. «Il a fait plus en trois ans que ses homologues précédents en 27 ans. Avec lui, l’Ukraine a cessé de chuter même s’il reste beaucoup à entreprendre pour lutter contre la corruption. C’est un grand homme. Il est resté défendre le pays. Il peut gagner la guerre.»

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