Site du musicien sur: guyjaccottet.com
Promouvant un large répertoire, Guy-Baptiste Jaccottet travaille comme organiste dans différents milieux et rêve de briser les carcans de concerts jugés trop traditionnels et élitistes
Ses parents l’ont obligé, comme pour le reste de la fratrie et en dépit de ses réticences, à faire de la musique. Ils ont eu le nez fin. A 25 ans, Guy-Baptiste Jaccottet gagne sa vie comme organiste professionnel polyvalent. Et manifeste de la reconnaissance envers sa famille. «J’ai commencé par étudier la flûte à bec à l’âge de 7 ans. Puis, à 13 ans, participant à un concert avec des organistes, j’ai souhaité changer d’instrument sur un coup de tête. J’ai adoré», raconte le jeune homme, fasciné par «la dimension physique du son» de l’orgue. Il aime aussi son odeur de bois et celle du papier des partitions. Mais note qu’il n’y a rien d’instinctif dans l’apprentissage de cet instrument. «La démarche se révèle assez intellectuelle. On travaille avec une machine.» Depuis, le Vaudois a tracé sa route pour devenir organiste titulaire du temple de La Tour-de-Peilz, concertiste, professeur aux Conservatoires de Lausanne et de Montreux-Vevey-Riviera ou encore responsable de l’orgue du théâtre Barnabé. Autant de casquettes qui lui permettent d’appréhender son art dans différentes déclinaisons. De s’écarter du seul cadre liturgique et de l’image une peu vieillotte souvent associés, dans l’imaginaire collectif, à son instrument. Tout en exprimant une gamme d’émotions. Un moyen bienvenu pour cet être de nature plutôt réservée qui, petit à petit, s’affranchit d’une éducation protestante, laissant plus facilement couler ses larmes ou éclater ses rires...
Entre réconfort et divertissement
«J’apprécie de me produire dans les lieux de culte, bénéficiant d’une acoustique magnifique», précise le Vaudois qui, questionné de savoir s’il a la foi, hésite, s’interrogeant sur le nombre d’interprétations différentes d’un même texte religieux. «Je ne joue pas pour autant avec moins de conviction. Certaines cérémonies me touchent beaucoup humainement parlant. Lors d’enterrements, c’est parfois très dur. On ressent la tristesse des participants. Bouleversant.» Il s’agit alors pour le musicien d’exécuter des morceaux «qui réconfortent, qui se révèlent plein d’affection».
Changement de registre au théâtre Barnabé où Guy-Baptiste Jaccottet accompagne la projection de films muets au grand orgue de la salle. «Je regarde au préalable plusieurs fois le film, ses thèmes, et compose sur cette base.» Un exercice qui plaît à ce féru de cinéma, fan de l’œuvre de Chaplin, appelé notamment dans ce contexte à accentuer le burlesque des scènes. «On a alors un tout autre rapport avec le public, créant des clins d’œil, suscitant des rires. Il m’arrive de passer d’un accompagnement discret de personnes en deuil à une ambiance complètement différente de show et de rigolade. J’apprécie cette diversité», déclare le musicien, chargé aussi de veiller au bon entretien de l’instrument de Barnabé.
Emu par une volonté du beau
L’artiste trouve encore dans l’enseignement un moyen de satisfaire son goût pour la transmission. «Je m’investis beaucoup dans ce domaine. Le monde de l’orgue se développe de plus en plus, les élèves sont nombreux.» Parallèlement, Guy-Baptiste Jaccottet suit un cursus de master soliste, travaille régulièrement l’improvisation dans une école près de Paris, participe à l’enregistrement de CD, donne une quarantaine de concerts par année, en solo ou en ensemble, dans nos frontières et à l’étranger. Des occasions pour lui de découvrir des édifices religieux à l’architecture magnifique. «Des bâtiments qui ont traversé les siècles, caractérisés par cette volonté du beau. Emouvant.» Il crée aussi des courtes vidéos sur YouTube, histoire de communiquer avec un public différent. Des personnes de sa génération, «qui n’écoutent plus de CD et qui, sans images, ne sont pas touchées». «J’ai là une carte à jouer avec l’orgue, entre les mouvements des pieds, des mains, les tuyaux, les boutons qu’on actionne...» Une activité qualifiée néanmoins de chronophage... Autant dire que l’emploi du temps de ce musicien fondamentalement optimiste, en couple, accompagné aussi de ses deux chats – il n’imagine pas sa vie sans la présence de félins – se révèle bien chargé.
Génération conso
«Je peine à m’arrêter. A faire de vraies coupures, confie-t-il. J’essaie de me corriger.» Pour se ressourcer, l’organiste compte sur son art, sa compagne et ses proches. Sans oublier la nature. Il apprécie particulièrement les randonnées en montagne, propices «à se vider la tête», et manifeste une forte sensibilité écologique. «Comme la plupart des jeunes, je me préoccupe pour le climat. J’essaie de diminuer mon empreinte carbone. En Europe, je voyage uniquement en train.» Guy-Baptiste Jaccottet s’inquiète aussi du creusement des inégalités, de la guerre, du chemin pris par l’humanité... Et souligne que rien ne l’irrite davantage que le manque de respect, de bienveillance et d’attention. Quant au monde du travail, il génère, dans son domaine, un regard positif. Et l’artiste de se réjouir de voir de plus en plus de femmes concertistes, de professionnelles occupant des postes prestigieux. Pas comme, déplore-t-il, dans d’autres secteurs. «Je pense à la vente où les travailleuses sont le plus souvent déconsidérées et traitées de manière révoltante», s’indigne-t-il, comptant dans son entourage des personnes concernées. Mesurant sa chance, heureux – «Le bonheur c’est de réaliser des projets sans limite avec d’autres personnes» –, l’acteur culturel rêve d’élargir les espaces de communication avec le public; de sortir les concerts de cadres trop traditionnels et élitistes, et d’offrir aux intéressés des formats plus courts. «Une heure, en silence, c’est long pour les nouvelles générations et les quadragénaires. On vit dans une société de consommation. Il faut en tirer les leçons», affirme Guy-Baptiste Jaccottet, ressentant un besoin de partage – «sinon, cela n’a pas de sens» – plus étendu encore...