Marraine de la Marche bleue qui s’élance le 1er avril, Bastienne Joerchel estime que la révolution verte est indissociable d’une mobilisation sociale
Le 1er avril, de nombreuses femmes partiront de la place des Nations à Genève pour marcher jusqu'au Palais fédéral à Berne. Parmi elles, Bastienne Joerchel. Si la Marche bleue est résolument féminine, elle est ouverte à tous et a-partisane. Son message à l'intention des autorités: respecter l'Accord de Paris en «mettant tout en oeuvre, avec une priorité absolue, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de moitié d'ici à 2030 et atteindre le niveau net zéro avant 2050, tout en protégeant nos écosystèmes». A l’origine de ce mouvement, Me Irène Wettstein, avocate du climat, mais aussi l’économiste Julia Steinberger et la médecin Valérie d’Acremont, trois figures vaudoises connues du militantisme écologiste. Moins exposée médiatiquement sur ce thème, Bastienne Joerchel incarne le volet social. Directrice du Centre social protestant (CSP) Vaud, coprésidente de Swissaid, ancienne présidente de la Fedevaco, sa carrière suit le fil rouge d’une justice sociale qui prend racine dans ses convictions écologistes. Dans son bureau lausannois, elle nous reçoit chaleureusement, davantage pour parler des causes qu’elle défend plutôt que d’elle-même. Dans sa chronologie, elle évoque une année charnière: 1992. «J’avais 27 ans quand le Sommet de la Terre à Rio a lancé le concept de développement durable. On ne parlait plus seulement de la nature, mais de toutes les dimensions liées à l’écologie», se souvient la politologue, qui finit à cette même époque son mandat dans le Jura comme euro-déléguée, poste créé pour promouvoir l’adhésion à l’Espace économique européen…
Une carrière tambours battants
Celle qui a grandi et étudié à Genève s’installe alors à Renens, se marie et donne naissance à trois garçons tout en continuant de mener sa carrière de front. Engagée à Helvetas, puis à Alliance Sud, Bastienne Joerchel sensibilise et fait du lobbying pour les œuvres d’entraide, notamment sur les thèmes du commerce international et de l’agriculture. Femme de conviction à l’énergie communicative, elle milite aussi dans la rue en participant à l’organisation des manifestations contre l’OMC en 1998 à Genève. Des sphères politiques et internationalistes, elle change de cap pour se lancer dans la formation de base d’adultes sur le terrain. A la tête de l’association Lire et Ecrire, elle entre en lien avec des personnes illettrées, découvre la richesse de leurs expériences tout comme l’importance de l’écriture pour mieux parler le français. Sept ans plus tard, elle devient directrice du CSP Vaud avec toujours ce souci d’offrir un soutien aux précaires. «La plupart des bénéficiaires de nos services travaillent et sont insérés dans la société. Ces dernières années, nous sommes témoins de la fragilisation de cette tranche de la population, de l’accroissement des inégalités, de ce fossé toujours plus grand entre riches et pauvres. Le Covid a été très dur pour les personnes sans statut légal qui, du jour au lendemain, ont été coupées de tout revenu... Au sein de notre équipe, on ressent l’épuisement maintenant. En écho au secteur de la santé, celui du travail social souffre aussi.»
Une marche mobilisatrice
Conseillère communale Verte à Renens depuis une quinzaine d’années (ponctuées d’une pause le temps d’une législature), Bastienne Joerchel se réjouit de marcher pour la planète. Une manière aussi de faire pression avant la votation en juin sur la Loi sur la protection du climat, à la suite du référendum déposé par l’UDC. «La marche a été prévue avant cette votation. Pour nous, le message doit rester simple pour ne pas se disperser. Mais j’inviterai aussi celles que je rencontrerai à voter oui, car cette loi est bonne.» Pour elle, marcher est déjà en soi un acte militant mobilisateur. «Notre projet me fait penser à ces marches de femmes indiennes qui sortent des campagnes pour faire entendre leurs revendications dans les centres de pouvoir. Dans les pays du Sud, les ONG misent beaucoup sur elles, car elles sont davantage responsables que les hommes, et plus concernées par les générations futures», souligne la coprésidente de Swissaid, avant de rappeler que les conséquences du réchauffement climatique affectent en premier lieu les plus pauvres, au Sud d’abord, mais aussi ici. Alors que, de surcroît, ce sont les plus riches qui émettent la majorité des gaz à effet de serre.
Et de souligner deux principaux enjeux face à la crise climatique: mettre un frein aux multinationales qui ont mené une politique de désinformation systématique afin d’empêcher le virage vert; et trouver l’adhésion sociale de celles et ceux qui pensent à la fin du mois plutôt qu’à la fin du monde. «La redistribution des richesses et des ressources est inhérente à la transition. La question climatique est éminemment sociale et politique», indique-t-elle, forte de ses convictions qui évoluent. «Il y a quelques années, j’étais contre l’idée de transports publics gratuits, car je pensais que leur reconnaissance passait par un prix à payer. Aujourd’hui, face à l’urgence climatique, je pense que la gratuité est nécessaire! Idem pour les produits bios qui doivent devenir beaucoup moins chers, grâce à une action politique forte. Avec la loi du marché, on n’y arrivera pas. Les autorités doivent prendre leurs responsabilités et poser un cadre légal.» Bastienne Joerchel n’en perd pas son sourire pour autant. «Je ne suis pas alarmiste, car optimiste de nature. Mais j’espère que nous serons beaucoup, de toutes les classes sociales, à marcher sur Berne…»
Pour le programme de la Marche bleue, ponctuée de conférences et de rencontres, ainsi que pour signer l’Appel, aller sur: marchebleue.ch