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Le féminisme, sa tasse de thé

Portrait de Vanessa Cojocaru.
© Olivier Vogelsang

Tout en nuances, la militante Vanessa Cojocaru aime manifester, la beauté et le thé.

Militante de la Grève féministe Fribourg, Vanessa Cojocaru a créé Tea Room, des podcasts enregistrés en direct et en public

«Nous étions 10000 dans les rues à Fribourg! témoigne Vanessa Cojocaru par téléphone, au lendemain du 14 juin. C’est énorme, bien au-delà de nos espérances. L’ambiance était formidable! Le pouvoir de mobiliser est toujours là. Dans le secteur public, une cinquantaine d’actions syndicales ont eu lieu, bien plus qu’en 2019. C’était magique!»

Deux jours auparavant, la militante de la Grève féministe Fribourg racontait, sur une terrasse de café, son parcours et son émotion à l’idée de manifester. «Il n’y a rien de plus fort que d’être dans la rue, le poing levé, pour lutter ensemble, sentir qu’on n’est pas seule!»

Son militantisme a germé à l’écoute de podcasts féministes français portés par la vague #MeToo.

Fin 2018, elle participe à une séance organisée par la Grève féministe. Une militante est née. Pendant six mois, la graphiste de métier s’occupera à plein temps de la communication et de la mobilisation, bénévolement, pour le 14 juin 2019. Elle apprend à tracter, à sensibiliser, à communiquer, à débattre, à organiser des événements. Une école de vie pour celle qui, en plus de son bagage théorique, découvre l’action. «On acquiert tellement de compétences. C’est enrichissant! résume celle qui a été transformée. Quand on met les lunettes féministes, tout change. On se positionne tout à fait différemment.»

Depuis quatre ans, la militante fribourgeoise estime que les choses ont évolué positivement, même si tout est trop lent. «Je fais le choix de regarder ce qui bouge pour ne pas tomber dans le désespoir. Le mouvement persiste dans le temps, et l’évolution des jeunes est impressionnante. A 20 ans, j’aurais aimé être aussi à l’aise sur les questions de genre, la sexualité, et être aussi révoltée… mais l’époque était différente et je ne traînais peut-être pas dans les bons milieux», lance la trentenaire en souriant.

Le salon de thé, cet espace subversif

Cette année, Vanessa Cojocaru et sa camarade Emma Conti sont les créatrices du nouveau logo. «L’idée était d’être plus inclusives, de tenir compte des personnes non binaires, trans, queer… tout en gardant un logo reconnaissable par rapport à l’ancien.»

Pro de la communication, elle regrette que les médias relaient majoritairement des propos sensationnalistes, jamais assez nuancés, voire mal expliqués. «Je suis toujours frustrée du temps de parole, d’où mon choix de podcasts longs», souligne la créatrice des événements radiophoniques publics Tea Room. Ceux-ci, depuis 2020, proposent des ponts entre domaines culturels et féminisme dans une ambiance feutrée et chaleureuse en écho à ces lieux surannés, dont l’histoire est paradoxalement subversive. «C’est en Angleterre et aux Etats-Unis que les premiers tea-rooms ont fleuri. Tout d’abord dans les maisons de femmes bourgeoises qui invitaient leurs convives pour le thé chez elles, dans une pièce dédiée, avant qu’elles ne les délocalisent dans des espaces en ville. En ce temps-là, les femmes ne pouvaient pas entrer dans un restaurant sans un homme… Ces lieux leur ont permis de s’affranchir du foyer et de gagner leur premier argent de poche», explique Vanessa Cojocaru, en sirotant un thé froid.

Fin avril, lors du premier festival de Tea Room, elle a organisé des débats où ses interlocutrices devenaient conseillères fédérales et étaient donc invitées à prendre des mesures politiques. «Pour ma part, en fonction des problèmes à résoudre, je commencerais par nommer les personnes concernées, qui ont une expérience de vie et de terrain. Je valoriserais aussi le travail des associations souvent invisible et pourtant essentiel à la société. Je suivrais toutes les revendications de l’Appel de la Grève féministe à commencer par la mise en place de mesures de lutte contre les violences sexistes et sexuelles.»

Une question de posture

Tout juste de retour d’un voyage en Roumanie, pays dont sont originaires ses parents, elle souligne les manquements de la Suisse: «Je sais que ma mère était très étonnée des salaires inégaux à son arrivée ici, à la fin des années 1970.» La militante, qui a le sens des nuances, ajoute: «Actuellement, un congé parental pouvant aller jusqu’à deux ans existe déjà en Roumanie. Ce qui est intéressant, c’est qu’avec cette condition idéale, une femme sans enfants est mal perçue. Alors qu’en Suisse, c’est plutôt le contraire: un congé maternité minuscule et des femmes culpabilisées dès leur retour sur les lieux de travail.»

Clarifier sa posture est essentiel pour la militante: «Je suis blanche, cis et privilégiée. Je fais les choses depuis mon point de vue. Je ne peux pas expérimenter ce que vivent les femmes noires, précarisées, handicapées... Par contre, je m’intéresse à leur réalité pour mieux les comprendre. La force du mouvement féministe actuel repose sur cette intersectionnalité théorisée déjà dans les années 1980 aux Etats-Unis. Si on me dit: “Tu penses cela parce que tu es cis!” Cela va me questionner et je vais apprendre…»

Cette curiosité vis-à-vis des autres l’a poussée à plonger dans ses propres origines, d’où ses séjours fréquents en Roumanie pour un projet d’écriture sur l’histoire de sa famille dans le contexte de régimes autoritaires.

A Fribourg, en tant que graphiste indépendante, elle travaille régulièrement pour des projets associatifs ou culturels. «En fait, je rêverais de ne travailler que pour la Grève féministe, lance-t-elle, les yeux pétillants. Comment faire passer nos idées au plus grand nombre? Comment vulgariser nos discours? Quel graphisme utiliser pour parler à toutes et à tous?» Autant de questions qui la passionnent.

Pour en savoir plus sur les événements et écouter les podcasts Tea Room: tearoom.live