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Des bidonvilles chiliens aux éco-lieux suisses encore à créer, Christian Palma Allende œuvre à un habitat écologique et à un autre mode de vie
Si son nom fait écho au 50e anniversaire du coup d’Etat au Chili, son arbre généalogique ne fait pas mention du président Allende, mort le 11 septembre 1973. «J’avais 5 ans, une famille peu politisée, mais je me souviens des militaires dans la rue de ma ville, à 500 kilomètres de Santiago. L’atmosphère était étrange. Plus tard, j’ai su que ma tante avait été arrêtée dans la capitale à cause de son nom. Heureusement, un policier la connaissant a pu la faire libérer», précise Christian Palma Allende. Sur la dictature, il lui a fallu du temps pour mettre des mots. «Quand on est enfant, tout semble normal. C’est seulement avec le recul que je réalise ce que nous avons vécu: le silence, l’hymne national chaque lundi matin à l’école, l’obligation de porter les cheveux courts et, surtout, le lavage de cerveau. La théorie néolibérale a été très efficace au Chili, jusqu’à aujourd’hui. La droite est soutenue même par des gens qu’elle appauvrit. Et les grands médias transmettent ses discours tels quels.» Il ne cache pas sa déception face au rejet dans les urnes de la nouvelle Constitution en septembre 2022. «Elle aurait pu être un exemple pour le monde entier… mais les mensonges de la droite ont été crus.»
Des bidonvilles chiliens…
Au début des années 1990, Christian Palma Allende devient père d’une petite fille et l’un des premiers ingénieurs en environnement du pays. Il travaille pour une ONG à Valparaíso – sa ville de cœur – dans des quartiers défavorisés, collaborant à des actions de sensibilisation aux déchets, de création de potagers collectifs, ou encore de travail sur la mémoire et l’histoire de leurs habitants… A Santiago, il œuvre auprès des «cartoneros», ceux qui, comme leur nom l’indique, ramassent les cartons dans les poubelles. «Notre mission était de les soutenir pour améliorer leurs conditions de travail – ils vivaient dans des bidonvilles ou dans la rue – et leur estime de soi. J’ai appris beaucoup et découvert leur incroyable liberté.»
L’environnement et l’amélioration des conditions de vie sont le fil rouge de l’ingénieur qui ne réussira toutefois pas à concrétiser ses projets foisonnants, notamment autour de l’habitat. «Avec la fin de la dictature et le début de la “démocratie”, les aides internationales se sont taries pour les ONG», souligne celui qui émigrera cependant ni pour des raisons politiques ni professionnelles, mais amoureuses. Suisso-chilienne, sa future épouse et mère de ses deux autres enfants, décide de retourner en Suisse pour finir ses études. Christian Palma Allende la rejoint en octobre 2002. A son arrivée en terre genevoise, ses diplômes n’étant pas reconnus, il travaille dans la restauration, notamment comme pizzaiolo. «J’ai adoré faire des pizzas, être en lien avec le feu, et ne pas devoir réfléchir», sourit celui qui n’est jamais à court d’idées. Les horaires étant trop contraignants, il décide de se former comme masseur, avant de se perfectionner. «J’avais besoin de mieux comprendre l’humain, donc j’ai repris des études de médecine chinoise.» Soigner les êtres et la planète vont ainsi de pair pour celui qui n’aime pas la notion de développement personnel. «Prendre soin de soi, prendre conscience de ses blessures et de ses blocages est un premier pas vers la guérison et la créativité. On peut pleurer toute sa vie le fait d’avoir vécu la dictature ou tenter d’aller au-delà. On a tous les outils en nous.»
… aux éco-lieux
Depuis six ans, le thérapeute, divorcé, vit entre la France voisine et le camping de Le Vaud, sa résidence secondaire, où il aime se sentir proche de la nature et des éléments. «Je n’ai plus envie d’habiter dans le béton», souligne-t-il, prônant une sobriété heureuse.
En 2019, avec d’autres campeurs, il crée l’association Halege pour développer l’habitat léger ou impermanent, rare en Suisse du fait de lois strictes, comme l’obligation coûteuse de se raccorder aux égouts – alors que des toilettes sèches et des filtres naturels pour les eaux grises suffiraient –, et du manque de terrain. Pour l’heure, tiny houses, dômes géodésiques, yourtes, roulottes, n’ont souvent pas d’autres choix que de s’installer dans des campings, du reste encore peu nombreux à accepter ce type d’habitat.
Le rêve de Christian Palma Allende a évolué depuis quatre ans, tout comme l’association dont les membres ont changé. «Nous souhaitons créer une coopérative avec des micro-maisons sur pilotis, construites avec des matériaux naturels, de 20 m2 environ, pas déplaçables, mais réversibles. C’est-à-dire qui ne laisse aucune trace si nous partons. L’espace cuisine et la salle de bain seraient mutualisés.» Plus largement, le projet tend à la création d’une société différente où la gouvernance, l’agriculture, l’éducation seraient respectueuses de la terre et de l’humain. Elle se base aussi sur le low-tech, autrement dit, des technologies appropriées qui nécessitent peu de moyens, facilitent les réparations, dépendent de ressources locales. «L’idée est de proposer un habitat innovant, bioclimatique, pour chauffer le moins possible, et qui s’intègre dans l’écosystème. Nous prônons une densification douce, en lien avec le tissu social et économique de la commune qui nous accueillerait. C’est un engagement politique», résume avec enthousiasme Christian Palma Allende. Loin de vouloir se couper du monde, l’association souhaite proposer un autre modèle, rendu possible notamment par le temps libéré du travail salarié, le coût du logement étant largement réduit. «Mon utopie, c’est que tout le monde puisse faire ce qu’il a envie, et alors l’argent n’aura plus de raison d’être», lance-t-il, la tête dans les étoiles, mais les pieds bien sur Terre. «Peut-être que je ne verrai jamais ce hameau imaginé, mais en parler autour d’un apéro, c’est déjà bien. Même si j’aime que les choses avancent vite…»