L’écrivaine et chroniqueuse Isabelle Guisan aborde dans son seule-en-scène la question de l’attente de la mort. La thématique de la fin de vie l’a toujours habitée
A-t-on le droit d’attendre la mort d’un proche, centenaire ou non; et de l’exprimer? Et que dire lors des obsèques qui finiront bien par arriver? Des questions qu’aborde avec délicatesse et humour Isabelle Guisan, 75 ans, dans son seule-en-scène «Increvable!» Un spectacle où l’écrivaine, chroniqueuse et animatrice d’ateliers d’écriture, évoque la complexité du lien. Où l’amour, la tendresse portés à un parent très âgé n’empêchent pas l’expectative de sa disparition. Et ce malgré la tristesse qu’elle peut engendrer. «Les sentiments considérés comme coupables demeurent un tabou. On garde le silence pour sauvegarder la bienséance», précise la Vaudoise, qui a conçu la représentation comme un «brouillon d’oraison funèbre» inspirée par une situation personnelle élargie à d’autres expériences analogues. «J’ai parlé avec beaucoup de personnes. Ces échanges m’ont servi de matériau d’écriture. Une manière de faire journalistique», ajoute l’ancienne reporter indépendante, qui a collaboré avec plusieurs titres romands ainsi qu’avec la télévision romande. «J’ai connu l’âge d’or des médias. J’ai réalisé nombre de reportages à l’étranger, privilégiant des sujets hors actualité. J’ai eu beaucoup de chance», raconte Isabelle Guisan, qui assure toujours des chroniques dans Générations et 24 Heures. «Je me vois comme une littéraire sociale», précise encore l’auteure d’une quinzaine de livres, pour qui écrire «c’est sortir les choses du silence».
Que la parole s’ouvre!
La vieillesse, la mémoire, la mort – un questionnement qui l’a toujours habité – mais aussi la migration, l’identité, l’intégration... sont autant de thématiques inspirantes pour la septuagénaire qui s’est également beaucoup passionnée pour la Grèce, origine de sa mère. Et a, entre autres, rédigé deux livres de portraits de jeunes de ce pays sur fond de crise économique. «J’ai appris la langue et possède le passeport grec. J’ai souvent passé deux à trois mois dans ma maison, sur une île des Cyclades», souligne l’écrivaine, qui a toujours par ailleurs manifesté de l’intérêt pour les autres cultures. «J’ai beaucoup voyagé. De quoi élargir l’esprit. Se confronter à la différence. On comprend mieux les migrants quand on se retrouve comme eux dans un pays dont on ne parle pas la langue», affirme-t-elle, tout en soulignant que les exilés ne bénéficient pas forcément de suffisamment de soutien dans leur apprentissage du français. «Le maîtriser attire le respect», note celle qui a conduit des moments de conversation pour les migrants et envisage de reprendre cette activité. Isabelle Guisan a animé de nombreux ateliers d’écriture à visée sociale. Elle en a mené avec des chômeurs, des femmes victimes de violences, des séniors. «Mon fil rouge: accompagner des gens qui ont besoin de se faire entendre. Comme dans mon spectacle: que la parole s’ouvre!» La femme de plume propose également son aide aux personnes poursuivant des objectifs littéraires. «Certaines ont publié. Il y a une belle solidarité qui se crée.»
Sortir de l’invisibilité
Parmi les projets qui lui tiennent à cœur, outre la recherche d’un éditeur pour un livre de textes et d’images à finaliser, Isabelle Guisan mentionne la question des femmes âgées. Et plus particulièrement de celles qui, comme elle, ne sont pas mariées et n’ont pas d’enfants. «Cette catégorie-là est transparente. Que leur propose-t-on pour sortir de l’invisibilité?», interroge-t-elle, fustigeant la persistance de l’âgisme. «Ça devrait clairement être un thème féministe», ajoute cette forte tête, aussi déterminée et obstinée que pleine de doutes. «Le paradoxe... Je ne suis pas pessimiste, car on peut encore lancer des projets, se faire entendre. Mais je suis lucide. Je n’ai plus d’illusions sur beaucoup de choses entre les guerres, les conflits oubliés, la problématique climatique. Le monde va mal», se désole Isabelle Guisan, persuadée que sa génération déjà verra l’accélération de changements environnementaux catastrophiques. Et se positionnant en faveur de mesures écologiques plus radicales comme l’interdiction des voitures en ville ou un quota de voyages en avion par personne. Des dispositions impératives pour cette ancienne conseillère communale de Rolle qui a fait de la politique à gauche, mais hors parti, et adhère aujourd’hui aux Verts.
Question de partage
Cash, irritée par «le mensonge, l’hypocrisie, les doubles discours», Isabelle Guisan défend des valeurs de respect, de solidarité et de courage. «Ce courage d’être qui on est et de l’exprimer», ajoute-t-elle, non sans préciser plusieurs fois au cours de l’entretien ne pas aimer les étiquettes, les cases. «Je suis un puzzle... J’ai besoin d’échapper aux définitions... Ne m’enfermez pas dans une image. Je crois à la complexité du monde, des gens, les connaître prend du temps, pour éviter les stéréotypes.» Estimant impossible de définir le bonheur, qualifié «de fluctuant, d’insaisissable», Isabelle Guisan ne confiera pas davantage si elle est heureuse. «Ça ne veut rien dire, mais je me sens privilégiée quand je lis les journaux.» Malgré un sentiment de solitude chevillé au corps qui l’a accompagnée toute sa vie, Isabelle Guisan ne nourrit pas de regrets. «J’ai mené une vie sociale et professionnelle qui m’a convenue. J’aime la diversité, les changements, les rencontres et les nouvelles expériences que mon parcours a favorisés.» Pour ses vieux jours, Isabelle Guisan rêve de résider dans une habitation où elle disposerait d’un lieu à elle tout en bénéficiant d’espaces communs avec d’autres locataires. Un souhait en phase avec ce besoin de partage que cette soixante-huitarde a concrétisé durant sa jeunesse en vivant souvent en communauté. Et cela alors qu’elle a pris position pour les résidents en EMS, défendant leur citoyenneté et critiquant ces «casernes et leurs horaires»...
«Increvable!», représentations les 27, 28 et 29 octobre à Morges et le 4 novembre à Lausanne. Informations sur: isabelleguisan.ch/evenements