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Au Japon, des chauffeurs de taxi au volant à 75 ans

Le pays du soleil levant est confronté au défi du vieillissement de sa population, source de problèmes économiques et sociaux.

«Au Japon, beaucoup de chauffeurs de taxi ont 75 ans et quelques-uns même 80.» Cette affirmation d’une réceptionniste d’hôtel exprime bien l’un des plus grands défis auxquels le Japon est aujourd’hui confronté, celui du vieillissement de sa population. Ce phénomène est à la source de bien d’autres problèmes sociaux: financement des retraites, manque de main-d’œuvre, inégalités sociales. 

Travailler longtemps après 65 ans n’a rien d’exceptionnel au Japon. Un tiers de la population a plus de 65 ans et 10% des 125 millions d’habitants ont même plus de 80 ans. «Face à la grave pénurie de main-d’œuvre frappant les entreprises, notait récemment Philippe Mesmer dans Le Monde, le gouvernement enchaîne les assouplissements de textes pour autoriser à exercer de plus en plus tard.» Certes, officiellement, il est possible de prendre sa retraite à 65 ans, mais dans beaucoup de cas, les pensions ne permettent pas de vivre, de sorte que beaucoup de retraités enchaînent les petits boulots. De plus, le travail est sanctifié, car il est un élément prédominant du mode de vie japonais.

Dix fois moins d’étrangers qu’en Suisse

La difficulté de renouveler la population active menace l’ensemble des prestations du système social. Elle tient en partie au fait que, pour des raisons culturelles, les Japonais sont quelque peu xénophobes, ou du moins repliés sur eux-mêmes, le Japon tenant un discours sur la nécessité de «l’homogénéité». A l’exception des touristes, ils ne sont guère ouverts aux immigrés. La conséquence, c’est que, dans ce pays, il y a dix fois moins d’étrangers (2,4%) qu’en Suisse (25%). Combinée au vieillissement de la population, cette attitude de repli a des effets socioéconomiques néfastes. Longtemps considérée comme la troisième puissance économique mondiale, le Japon n’occupe plus que le quatrième rang du classement, derrière les Etats-Unis, la Chine et l’Allemagne. Mais surtout, avec un revenu annuel moyen de 35000 francs par habitant, le Japon pointe au 26e rang de la hiérarchie mondiale, alors que la Suisse, avec 81000 francs par habitant, occupe la troisième marche du podium. Ces statistiques nous obligent à ouvrir une petite parenthèse helvético-helvétique. Quoi qu’en disent les caciques de l’UDC, l’immigration et la libre circulation des personnes sont source de richesse, ce qui n’enlève évidemment rien à la nécessité de protéger les salaires suisses. Quant aux salaires nippons, ils stagnent depuis 2010. A Tokyo, ils sont en moyenne de 2000 francs par mois pour les hommes, mais de 700 francs pour les femmes, soit trois fois moins. Les femmes n’ont d’ailleurs pas encore trouvé leur place dans la société japonaise.

Les vacances comme congé maladie

Une autre particularité sociale japonaise tient à la durée du travail et aux vacances. Légalement, les Japonais travaillent 40 heures par semaine, mais beaucoup de salariés triment durant 60 heures, et le surplus n’est pas forcément rétribué comme des heures supplémentaires. Car il est très mal vu de partir du bureau à l’heure, et surtout avant le patron! Plus incompréhensible encore pour nous, la durée annuelle des vacances est fixée à 20 jours. Comme le samedi et le dimanche sont compris dans ce total, les vacances s’élèvent en réalité à 3 semaines et un jour. En outre, explique un chauffeur de bus, beaucoup de Japonais ne prennent pas toutes leurs vacances. Par manque de moyens ou par amour du travail. Mais le comble, c’est que certains Japonais, par peur d’être assimilés à de mauvais travailleurs, utilisent des jours de vacances lorsqu’ils sont malades!

Peu de contestation

Malgré cela, le Japon connaît peu de grèves et de mouvements sociaux. Pour expliquer ce calme social, on peut avancer les hypothèses suivantes: sauf durant une brève période, le système politique a toujours été dominé, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, par le Parti libéral-démocrate (PLD, conservateur), ses clans et les lobbies industriels et financiers. Le centre-gauche et les sociaux-démocrates ne jouent qu’un rôle secondaire. En comparaison internationale, le mouvement syndical est en outre assez faible. En 2020, au tout début de la crise sanitaire, le taux de syndicalisation était un temps remonté, mais depuis 2021 et sur trois années consécutives, la chute est constante. Ainsi, avec 16,3% de syndiqués en 2023, il s’agit de la plus faible proportion jamais enregistrée depuis 1947, date de la première étude sur le sujet. En 2023, la population active du Japon était de 61,9 millions de personnes, alors que l’Archipel compte 9,93 millions de syndiqués, soit 55000 personnes de moins que l’année précédente. Enfin, bien qu’importante, la presse se montre assez peu critique. Alors qu’en 2020, le Japon occupait la 12e place du classement de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse, il était tombé au 68e rang en 2023.

Gérontocratie

Mais pour Karyn Nishimura-Poupée, journaliste française établie au Japon depuis plus de vingt ans, cette absence de contestation résulte d’une pression sociale, de «la crainte que suscite en chacun le regard d’autrui, la hantise du qu’en-dira-t-on et la peur de se distinguer. On se conforme ainsi à un modèle social, à une norme non écrite, tacite, acceptée» (Japon, la face cachée de la perfection, Editions Tallandier, 2023). A cela s’ajoute une organisation sociale obsolète, très hiérarchisée en fonction de l’âge. Raison pour laquelle la même observatrice estime qu’il n’est pas exagéré de parler de «gérontocratie d’indéboulonnables».

Un robot et Swatch

Même s’il a perdu du terrain ces dernières années par rapport à ses concurrents, le Japon reste un pays avancé sur le plan technologique et les robots prennent une place toujours plus importante dans le fonctionnement de la société. Dans un restaurant, certains de nos plats nous ont été servis par un robot! On ne peut qu’admirer la prouesse, tout en espérant que, dans un avenir plus ou moins proche, il y aura encore des serveuses, des serveurs et du personnel en cuisine dans cet établissement. Le quartier de Ginza est celui du luxe, des magasins prestigieux et… de l’horlogerie. La plupart des grandes marques suisses (Richard Mille, Rolex, Audemars Piguet, Jaeger-LeCoultre, etc.) y sont représentées. Mais la présence la plus spectaculaire est celle de Swatch Group. Le Centre Nicolas G. Hayek est formé de sept stands tout en verre et chacun est dédié à une prestigieuse marque (Breguet, Omega, Tissot, etc.). Il s’agit en réalité d’ascenseurs qui mènent directement à chacune des enseignes. Projet démesuré? Peut-être, mais n’oublions pas qu’une branche économique qui vit essentiellement de ses exportations doit s’affirmer partout dans le monde.

À 75 ans, il est encore au volant de son taxi. 

Photo : CR

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