Porte-parole d’Amnesty International, Nadia Boehlen s’épanouit aussi dans l’écriture. Une plume à l’encre militante.
Un travail prenant à Amnesty International. Une passion pour l’écriture concrétisée par la publication de trois livres. Deux enfants de 14 et 16 ans. Une nature sportive. Une vie sociale et culturelle bien remplie. Nadia Boehlen, 50 ans, cumule les activités. Aujourd’hui, la dynamique porte-parole de l’ONG et mère envisage, en marge de son travail, de rédiger des chroniques sur des sujets donnés. Au lendemain de l’élection de Trump, on ne résiste pas à lui demander son ressenti. «Affligeant! C’est un reliquat des Trente glorieuses, un anachronisme. Mais il ne représente pas toute une frange de la population, capable de réagir», commente la militante. Son actualité littéraire a, quant à elle, été marquée par la parution, en début d’année, de son dernier recueil de nouvelles, Après la forêt de mangroves. Un opus racontant l’histoire de femmes courageuses en quête d’elles-mêmes. «Je ne projette pas de grand roman dans l’immédiat, préférant ne pas trop charger le bateau», sourit la Lausannoise d’adoption, qui consacre volontiers sa plume aux questions d’appartenance, d’identité et de genre. «Je m’intéresse en particulier à la thématique de transfuge social. A la manière dont le milieu, le statut, la composante de genre influent sur les trajectoires de vie. Et comment on peut les dépasser», précise l’auteure, explorant volontiers les moments de bascule qui permettent aux protagonistes de ses récits de s’écarter de rôles assignés. Une approche aussi inspirée par son parcours.
Barre haut placée
Fille d’un mécanicien bernois et d’une mère tessinoise, Nadia Boehlen, originaire de Thoune, a grandi en Valais. «Mon père avait trouvé du travail dans une entreprise sédunoise, assurant la maintenance technique de cars et de dameuses de pistes. Ma mère était femme au foyer. Issue du monde paysan, membre d’une fratrie de neuf enfants, elle n’a pas eu accès à l’éducation.» Un milieu familial modeste qui aura des répercussions sur ses choix et son positionnement. Aux études, Nadia Boehlen va s’investir à fond, plaçant haut la barre. Sa maman regrette de n’avoir pu se former. Elle agira aussi en son nom. «Je me suis mise une forte pression. Je devais prendre mes responsabilités par rapport aux possibilités refusées à ma mère. C’était aussi une question de loyauté», raconte-t-elle, même si l’adolescente rêveuse d’alors aimait beaucoup sortir. «Des échappatoires... Je veillais toutefois à rester dans les rails», ajoute celle qui effectuera un doctorat en histoire et politique internationale, avec pour objet les politiques d’immigration française et allemande au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Un travail où perce déjà sa sensibilité pour les minorités, les personnes vivant à la marge.
Réconcilier deux histoires
Au terme de son cursus, en 2005, Nadia Boehlen s’envole pour le Brésil, motivée par sa pratique de la danse d’ascendance africaine. Elle décroche un poste de professeure de français à l’Université de Bahia et va passer plus d’une année dans ce pays. «Ce séjour a aussi été le moyen de réconcilier deux histoires. Je venais d’un monde doctoral très élitiste, au top en matière d’enseignement, mais non humainement. J’ai trouvé au Brésil une ouverture, une spontanéité, une culture populaire davantage en phase avec mon milieu.» Et propre à faire écho à sa nature cordiale, franche et directe, aux antipodes de mondanités ou de manœuvres de couloir qui l’irritent. La quinquagénaire, à l’aspect juvénile, tire aussi un parallèle avec le fonctionnement d’Amnesty International, jetant des ponts entre le monde académique et la militance. Une ONG qui s’est tournée vers une gouvernance abolissant la hiérarchie traditionnelle et attentive à promouvoir une mixité sociale. De quoi séduire la porte-parole, allergique aux jeux de pouvoir et à l’autorité, s’élevant contre toute forme d’injustice, qui apprécie la manière de travailler de l’organisation comme les thématiques traitées.
Mouvement et art
«Amnesty International mène des enquêtes variées, solides et étayées. Les conséquences du dérèglement climatique ou encore la perte de la biodiversité y sont abordées sous l’angle des droits humains», précise l’ancienne collaboratrice de Greenpeace, sensible à l’écologie – elle note ne pas posséder de voiture, mais avoue adorer le ski et la luge. «Je sais, dans le contexte actuel, c’est absurde», sourit Nadia Boehlen, qui a aussi passé par la case professeure de glisse. Reste à cette réaliste, comme elle se définit elle-même, d’autres sports participant à son bien-être. Comme les randonnées en nature, au milieu des mélèzes qu’elle chérit, la danse classique et le yoga ou encore la nage dans les lacs et rivières. Un besoin de mouvement mais également de nourriture artistique. «J’aime ce domaine qui lit la vie de manière non dogmatique et propose parfois des visions inspirantes.» Cette attirance explique encore son entrée en littérature en 2019. Un moyen pour elle de saisir les nombreuses pensées «qui volent dans ma tête». De chercher non pas des sujets inédits, mais de les aborder avec originalité et à travers le prisme de sa sensibilité. «Une aspiration que je portais depuis longtemps. J’ai fini par la concrétiser», indique l’auteure, qui partagerait volontiers un café avec Virginie Despentes. Outre son envie de rédiger aujourd’hui des chroniques, elle aimerait vivre plus près de la nature. Au rang de ses utopies, cet esprit vif et libre rêve «d’une société davantage ouverte, moins agrippée aux modèles familiaux traditionnels. Et confie son intérêt pour les structures communautaires. A défaut, Nadia Boehlen, adepte du lâcher-prise, son maître-mot, sait s’approcher du bonheur: «Je l’associe à l’idée de faire du mieux qu’on peut avec ce que l’on a. De savourer la vie à cette aune.» Une posture qui participe à sa nature solaire...