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La grève chez Berger a porté ses fruits

La direction de l'entreprise a fini par concéder un plan social équitable. Retour sur les points forts de cette lutte exemplaire

Au terme d'une grève et d'un bras de fer d'une semaine, le personnel de Berger & Co à Delémont, soutenu par Unia, a fini par obtenir un plan social correct et équitable. La détermination des salariés et du syndicat ont été les facteurs clé de ce succès.

«C'est un bon résultat. Nous sommes sortis de ce bras de fer la tête haute!» Jérôme Robert, responsable de production chez Berger & Co à Delémont, ne cachait pas son soulagement vendredi dernier, au moment où la direction acceptait enfin de signer un plan social conforme aux revendications du personnel, mettant ainsi fin à un conflit marqué par une grève de plusieurs jours et une douzaine d'heures de négociations serrées. «Avec Unia, je représentais les salariés dans la négociation. Au début, la direction voulait exclure le syndicat et ne concéder que des indemnités dérisoires. Mais au final, notre lutte a abouti à des indemnités correctes et équitables. Nous remercions tous ceux qui nous ont soutenus.» Chargé de cette affaire, Achille Renaud, secrétaire syndical à Unia Transjurane, partage cette satisfaction. «J'admire ces hommes et ces femmes qui ont su se battre avec force et dignité, sans se laisser intimider malgré les fortes pressions qu'ils ont subies. Sans lutte, il n'auraient rien obtenu.»

Une grève courageuse
Pour mémoire, cette usine jurassienne spécialisée dans le décolletage de précision, filiale du groupe allemand Berger, sera délocalisée en Pologne et en Allemagne à la fin du mois de mars.
Petit retour en arrière: le bras de fer entre la direction et le personnel commence par un débrayage de deux heures, en fin de matinée le lundi 21 janvier. Les quinze employés de l'usine protestent ainsi contre le refus de la direction d'entrer en matière sur un plan social, pour la négociation duquel ils ont mandaté le syndicat Unia et désigné deux représentants du personnel. La direction refuse de discuter avec Unia. Les salariés lui lancent un nouvel ultimatum, fixé au mercredi 23 janvier. Mais la veille, deux coups de théâtre viennent envenimer ce bras de fer.
Premier acte, une personne travaillant dans une entreprise voisine constate, en soirée, que des employés provenant des unités polonaises et allemandes de Berger tenteraient de sortir de l'usine de l'outillage et des éléments clés destinés à la fabrication de pièces. Ce témoin avertit les ouvriers rentrés chez eux. Et ces derniers reviennent immédiatement sur les lieux. Ils y organisent un piquet de surveillance pour prévenir et empêcher la délocalisation sauvage de leur outil de travail.
Deuxième acte, vers 23 heures, la police jurassienne déboule dans l'usine. Le commandant Hubert Thalmann somme les ouvriers et les syndicalistes qui les défendent d'évacuer immédiatement les lieux. Il se prévaut d'une plainte pénale pour violation de domicile, mais ne dispose d'aucun mandat légitimant son intervention. Sourd aux protestations des ouvriers et ouvrières qui font valoir leur liberté de défendre leurs droits, il durcit le ton et menace d'appeler des renforts. «Ces méthodes de cow-boy sont totalement injustifiées et disproportionnées» tonne Achille Renaud. «Je ne comprends pas cette attitude policière à défendre avec autant de zèle une entreprise qui délocalise sa production alors qu'elle fait des bénéfices.»

La police menaçante
Jean-Pierre Bill, 61 ans, décolleteur chez Berger, devait prendre la relève du piquet à minuit. «Je me suis retrouvé devant une porte fermée et mes collègues dans la rue. Je trouve déplorable qu'on envoie la police pour déloger et menacer des ouvriers qui ne font que défendre pacifiquement leurs droits les plus élémentaires. On nous a traités comme des délinquants.»
Le lendemain, dès 6 heures le matin, le personnel revient à l'usine et poursuit son occupation. Les syndicalistes apportent café et croissants et, plus tard, des pizzas. Rien ne bouge, sinon dans les médias où le commandant de la police, soudain plus consensuel, tente de minimiser la dureté de son intervention. Dans la matinée, le maire de Delémont, Pierre Kohler, vient assurer le personnel de son soutien et révèle qu'il avait proposé des solutions permettant d'éviter la délocalisation, par le biais de repreneurs intéressés, mais que la direction de Berger n'y avait donné aucune suite. L'ancien directeur du site, Jean-Marc Liechti, vient à son tour soutenir le personnel. «Cela me fait mal de voir que tout ce qu'on avait fait depuis 25 ans est fichu», déplore-t-il, en larmes, devant les caméras de la TV romande.
Vers 11 heures, la direction sort enfin du mutisme et de l'impasse où elle s'enferme. Elle accepte d'ouvrir les négociations avec Unia. Côté employeur, ces négociations sont menées par le directeur du site, l'Allemand Andreas Nickel aidé par son avocate. Du côté des salariés, elles sont conduites par deux représentants du personnel et par Achille Renaud d'Unia accompagné de l'avocat du syndicat, Christophe Schaffter.

Grévistes en colère
Nouveau coup de théâtre: à 14h30, alors que les négociations sont toujours en cours dans l'entreprise, quatre agents Securitas entrent dans l'usine. Sans explications. Les grévistes sont atterrés. «Non seulement, ils nous prennent tout notre savoir-faire, ils nous jettent à la porte, mais voilà maintenant qu'ils nous surveillent comme si on était des voleurs», tonne un ouvrier en colère. «Une fois de plus, tout se passe dans notre dos», ajoute une employée. Les explications qui suivront ne suffiront pas à convaincre tout le monde. «Les Securitas sont soi-disant là pour contrôler les allées et venues dans l'usine, dit un décolleteur, mais je crois que c'est avant tout pour protéger le matériel destiné à être délocalisé, en particulier l'appareillage de mise en train qui représente un véritable trésor, le concentré de notre savoir-faire.» Peu avant 16 heures, les négociations entrent dans l'impasse. Achille Renaud explique aux grévistes que la direction campe sur un plan social doté d'une somme globale inacceptable et qu'en plus, elle entend le gérer à sa convenance, de manière individuelle. Déçus mais déterminés, les grévistes votent à l'unanimité et sans l'ombre d'une hésitation la poursuite de leur grève et maintiennent leurs revendications initiales. «La direction ne nous parle plus. On n'existe plus. C'est un manque de respect total», lâche Claude, décolleteur, metteur en train. «Cela fait un an qu'on s'attendait au pire. On voyait que tout était fait pour préparer une délocalisation. Cinq machines étaient déjà parties en 2012 en Pologne. Notre travail, ce n'est pas seulement 8 heures par jour à l'usine. On y pense encore à la maison, c'est quelque chose qui fait partie de notre vie, de notre fierté. On fait cette grève pour que l'on puisse sortir la tête haute. Perdre son travail, ce n'est déjà pas facile. Un plan social, ce n'est donc pas un cadeau, c'est un minimum.» Doyen de l'usine avec 26 ans d'ancienneté, le polymécanicien Saverio Lusa, 59 ans, se dit dégoûté. «Comme mes collègues, je me suis toujours donné à fond pour l'entreprise. On a travaillé parfois jour et nuit. Tout fonctionne bien, le carnet de commandes est plein pour plusieurs mois. On va profiter de notre savoir-faire ailleurs et on nous jette à la porte. Je ne peux pas accepter qu'on me chasse du jour au lendemain, sans rien!» Valérie Frund, contrôleuse qualité aurait voulu «qu'au moins cela se passe sans heurts, qu'on nous dédommage correctement. Mais on est jeté dehors comme si on était des numéros, des moins que rien.» Jean-Pierre Bill, 61 ans, décolleteur, constate «qu'on nous pique notre savoir-faire sans se préoccuper de ce que nous subissons. Comment fait la direction pour ne pas trouver d'argent pour un plan social décent alors que toutes les machines sont payées, que rien n'est en leasing et que le groupe fait des bénéfices? On ne sortira pas d'ici sans avoir obtenu quelque chose de satisfaisant.»
Cet avertissement était lancé mercredi 23 janvier. Deux jours plus tard, il finissait par faire mouche.

Texte et photos  Pierre Noverraz