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Tridel: l'ogre avaleur d'ordures

Voyage dans une usine flambant neuve, fleuron de l'écologie, qui brûle les déchets de quelque 150 communes vaudoises

Au cœur d'un quartier d'habitation de Lausanne, l'usine Tridel consume les déchets ménagers par milliers de tonnes et produit assez d'énergie pour chauffer 18000 personnes. Visite d'un monstre écologique.

L'ogre de la Sallaz a l'estomac solide. Jour après jour, il avale sans réticence les déchets les plus indigestes: briques de jus d'orange, emballages divers, vieux meubles, jouets usagés. Bref, tout ce que notre société de consommation nous contraint de rejeter. Pour le nourrir, une caravane de camions poubelle - minuscules à l'échelle du lieu - gravit rituellement la rampe hélicoïdale qui mène à sa bouche et alimente une monumentale fosse à ordures. C'est là que les déchets attendent l'incinération. Maître de ce cloaque vertigineux, un gigantesque grappin jaune pioche sans discontinuer dans la montagne d'immondices, puis relâche son contenu au-dessus des trappes qui conduisent au four. En route vers l'enfer, une combustion à plus de 1100 degrés.
C'est ainsi que disparaissent les ordures de près de 150 communes de la région lausannoise, du Gros-de-Vaud et du Nord Vaudois. L'usine, gérée par la société anonyme Tridel SA, a été mise en service le 11 janvier 2006 pour remplacer l'ancien centre d'incinération du Vallon, désuet et vétuste. Durant sa première année de fonctionnement, elle a traité 156000 tonnes de déchets, dont plus de 70% provenaient des ménages. Le reste se compose avant tout d'ordures industrielles, mais aussi de résidus spéciaux comme ceux des hôpitaux, ou d'éléments confidentiels, tels des documents d'entreprises ou des saisies de police. L'usine a mis en place des procédures particulières pour éliminer chaque type de détritus, qu'ils soient infectieux ou jugés top secret.

Acheminement par le rail
Pilier du concept de Tridel, l'acheminement des ordures par le rail a débuté en avril 2007, grâce à un tunnel de 3,8 kilomètres creusé au cœur de Lausanne, reliant l'usine à la gare marchandises de Sébeillon. L'expérience se révèle déjà prometteuse: en janvier 2008, le tonnage des déchets livrés par le rail a dépassé pour la première fois les apports par camions. Ceux-ci ne prennent le relais qu'à la fin du parcours, dans le périmètre de traitement. A terme, toutes les ordures des communes concernées seront centralisées dans quelques points de chargement répartis dans le canton de Vaud, et poursuivront leur trajet vers le centre d'incinération par le train. Une contribution au désengorgement du trafic et à la protection de l'air.

L'écologie avant tout
Usine d'incinération de toute dernière génération, Tridel se veut un fleuron en matière d'écologie. Plusieurs techniques complexes sont mises en œuvre pour épurer les fumées dégagées par la combustion. Les poussières macroscopiques encore présentes après le filtrage des cendres sont récupérées sur des plaques métalliques grâce à des champs d'électricité statique à une tension de 80000 volts. Les métaux lourds et les acides résiduels sont ensuite lavés par pulvérisation d'eau et neutralisés par l'adjonction de soude caustique. Enfin, un catalyseur capte les oxydes d'azote. Au final, la proportion de gaz rejetée par la cheminée est inférieure de 60 à 90% aux exigences de l'ordonnance sur la protection de l'air. Quant aux cendres et autres scories solides résultant de la combustion (180 kg de résidus pour une tonne de déchets), elles sont transportées vers la décharge bioactive de St-Triphon. Pour diminuer sa consommation provenant du réseau d'eau potable, Tridel récupère la pluie tombant sur le parking et la toiture. L'usine dispose également de sa propre station d'épuration pour assainir les eaux ayant servi au lavage des fumées.

Des ordures à la place du mazout
Rien ne se perd à Tridel. L'énergie produite par la combustion de 10 kg d'ordures équivaut à celle de 2,5 litres de mazout. Un capital que l'usine exploite jusqu'au bout. La vapeur servant au lavage des fumées, elle-même retirée de l'incinération des déchets, entraîne une turbine grâce à laquelle Tridel satisfait ses propres besoins en électricité. Le surplus est ensuite injecté dans le réseau des services industriels: 17 mégawatts au maximum, qui peuvent suffire à la consommation de 23000 personnes. Mais ce n'est pas tout. La chaleur acquise permet aussi de produire de l'eau surchauffée à 175 degrés utilisée pour le chauffage de bâtiments. Une conduite reliant Tridel à des canalisations souterraines alimente le réseau lausannois de chauffage à distance, desservant le CHUV et d'autres immeubles locatifs ou administratifs. De quoi couvrir les besoins de 18000 personnes. C'est précisément la possibilité de redistribuer l'énergie issue de la combustion des déchets qui a justifié le choix d'une zone d'habitation pour la construction de l'usine.

48 personnes au travail
Si Tridel ressemble à un immense robot automatisé et informatisé, les compétences humaines demeurent indispensables. Le personnel se compose de 48 personnes, sans compter les collaborateurs administratifs. Avant tout des chauffeurs poids lourds, qui alternent leurs tâches avec l'entretien de l'usine. En permanence, un chef d'équipe et un opérateur pilotent cette gigantesque mécanique et réagissent immédiatement aux multiples données communiquées par les ordinateurs: température, pression de la vapeur, état des innombrables vannes et tuyaux. Mais des fonctions apparemment simples, comme le maniement du grappin qui saisit les ordures pour alimenter le four, représentent une opération délicate que l'informatique ne prend en charge que la nuit: seul un être humain peut «gérer» l'homogénéité de la masse de déchets, les choisir en fonction de leur nature et de leur grosseur, afin de maintenir la stabilité du feu. L'univers high-tech de Tridel ne saurait se passer de neurones.

Bertrand Cottet