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Acteur de sa vie

portrait
© Thierry Porchet

«Tourner des films, c’est raconter un petit morceau du monde à travers un personnage pour ce qu’il présente de singulier, de non généralisable et donc de génial» déclare Frédéric Mermoud.

Avec son dernier long métrage, La voie royale, le réalisateur valaisan Frédéric Mermoud signe son film le plus politique. Plan rapproché

C’est l’histoire de deux mondes, du centre et de la périphérie. De milieux sociaux et de codes différents, sur fond de méritocratie et d’élitisme. C’est une histoire d’espoir, d’échecs, de préjugés, de défi et de concurrence féroce. Sophie, fille d’éleveurs et brillante étudiante, aspire à intégrer une prestigieuse école polytechnique. Elle doit d’abord passer par la très sélective et impitoyable classe des préparatoires. Pour son troisième long métrage, La voie royale, Frédéric Mermoud signe une œuvre plus politique que ses réalisations précédentes. «Une évolution sur mon parcours. Ce récit d’apprentissage reflète un questionnement. Son caractère, de style balzacien, interroge sur le désir d’émancipation et d’ascension sociale confronté à une organisation pyramidale», précise le Parisien d’adoption de passage à Lausanne pour présenter La voie royale à des gymnasiens. Ce dernier filme ne déroge pas à une constante: le cinéaste valaisan de 54 ans aime mettre en scène des personnes se trouvant à des carrefours charnière de leur existence. «Je m’intéresse à ces moments clés où l’on fait ses premières expériences, où l’on décide de ce qu’on va devenir», précise-t-il, privilégiant dans son art, au-delà du genre choisi, une approche intimiste.

Géniale singularité

«Tourner des films, c’est raconter un petit morceau du monde à travers un personnage pour ce qu’il présente de singulier, de non généralisable et donc de génial. Un être auquel alors on s’attache, inépuisable et irréductible», ajoute-t-il, cédant volontiers à un élan de chercheur, non sans souligner l’aspect jouissif de la démarche. Le travail n’en nécessite pas moins une grande rigueur, le cinéaste défendant le réalisme des univers choisis, le premier degré. Les acteurs, eux, bénéficient d’une marge de manœuvre dans leur interprétation. «J’ai besoin d’être surpris et crée les conditions pour que cela se produise à travers une préparation soutenue en amont. Dans La voie royale, l’immersion s’avère quasi documentaire. Le comédien connaît son personnage de l’intérieur, mieux que moi. Il va plus loin que je ne l’imagine... un petit côté épiphanique... mais je maîtrise son trajet. Les costumes jouent aussi un rôle majeur dans l’appropriation des profils, comme une deuxième peau», indique Frédéric Mermoud, confiant avoir été bluffé par le jeu de la protagoniste de son film, Suzanne Jouannet, alors que, parmi ses comédiens fétiches, il cite le regretté Jean-Pierre Bacri avec qui il aurait rêvé tourner.

Rattrapé par son rêve

Auteur de plusieurs séries, Frédéric Mermoud ne hiérarchise pas les supports. «C’est seulement un langage différent, beaucoup plus rapide, qui innerve la collectivité. La formule possède l’avantage d’attirer nettement plus les jeunes. La majeure partie des personnes qui se rendent au cinéma ont 55 ans et plus.» De son côté, Frédéric Mermoud fréquente les salles obscures depuis son plus jeune âge. «Mon parrain exploitait les cinémas sédunois. Mes parents étaient aussi captivés par le grand écran. Nous y allions en moyenne une à deux fois par semaine voir toutes sortes de films.» Ce plaisir, il va aussi le cultiver au ciné-club du collège alors qu’il joue également dans une troupe de théâtre. «La comédie et la mise en scène m’attiraient. Mais à l’époque, je ne m’autorisais pas à me projeter dans de telles professions», confie le titulaire d’une licence en Lettres et d’un master en philosophie du langage à l’Université de Genève, qui imagine, dans un premier temps, poursuivre dans la recherche. Avant d’être rattrapé par son rêve. «J’ai commencé par travailler comme assistant à l’Uni, mais cette activité ne me nourrissait pas. J’avais le sentiment de tourner en rond.» A 24 ans, l’universitaire entreprend une formation de réalisateur à l’Ecole cantonale des Beaux-Arts. Ses deux premiers courts métrages, primés, sont largement diffusés. La carrière de Frédéric Mermoud est lancée. «Le cinéma m’est toujours apparu, avec du recul, comme une vocation, mais je m’interrogeais sur ma légitimité en la matière», confie le passionné qui, suivant sa compagne d’origine française devenue son épouse et la mère de leurs trois fils, s’installe ensuite à Paris. Et enchaîne avec bonheur films et séries.

L’extase des hauteurs

D’une nature plutôt optimiste, accordant facilement sa confiance, Frédéric Mermoud veut croire qu’on peut être acteur de son existence. Ou tout au moins donner un sens à ce que l’on fait. L’amical quinquagénaire, le verbe aisé, se définit encore comme une personne rigoureuse, patiente dans le travail mais pas dans la vie, et pugnace. Mais aussi rêveuse et parfois repliée dans son monde. Pas de quoi l’éloigner de ses proches. Frédéric Mermoud cultive une vision forte de la famille – «J’aime l’idée d’une aventure commune avec les miens». Le bonheur, le Valaisan l’associe à «un horizon qui se révèle à des moments inattendus où prédomine le sentiment d’avoir achevé quelque chose avec amour et justesse». Heureux, affirmant ne pas craindre grand-chose, il nuance néanmoins son dernier propos. «Je redoute les menaces qui avanceraient masquées, pareilles à une maladie insidieuse qui couverait et se développerait sans que l’on en prenne conscience», image-t-il. Pour se ressourcer, cet amoureux de la Grèce, de la richesse de son histoire et de la beauté de ses paysages, en a fait une destination de vacances privilégiée. Mais pour l’heure, il réfléchit déjà à son prochain film. Celui-ci racontera un épisode de la vie de la femme de lettres britannique, Mary Shelley, surtout connue pour son roman Frankenstein. Cette fille de féministe, qui a séjourné au début du XIXe siècle à Genève, fut l’amante, puis l’épouse du poète Shelley. Au rang de ses projets également, une série pour la RTS, un thriller qui se déroulera dans la station de Crans-Montana. De quoi encore réjouir et inspirer le Valaisan nostalgique des paysages alpins, «d’une certaine extase sur les hauteurs». Un hors-champ que suggéreront peut-être les prochaines scènes du talentueux réalisateur...